Exacerbation sévère d’asthme : nouvelles recommandations

Dr Nicolas Terzi, Dr Dominique Savary

Auteurs et déclarations

7 février 2019

Enregistré le 24 janvier 2019, à Paris, France

À l’occasion du congrès 2019 de la Société de Réanimation de Langue Française (SRLF), le Pr Nicolas Terzi résume les points à retenir des nouvelles recommandations conjointes de la SRLF et de la SFMU sur la prise en charge de l’exacerbation sévère d’asthme aux urgences

TRANSCRIPTION

Dominique Savary — Bonjour, je suis le Dr Dominique Savary, urgentiste au centre hospitalier Annecy Genevois, et je suis aujourd’hui à Paris au congrès de la Société de Réanimation de Langue Française (SRLF) avec le Pr Nicolas Terzi.

Nous allons parler des recommandations formalisées d’experts autour de l’exacerbation sévère d’asthme pour lesquels vous étiez l’expert de la SRLF, associé avec Philippe Leconte, qui était l’expert de la Société française de médecine d'urgence (SFMU).

Nicolas Terzi — En effet, nous avons eu l’occasion, avec Philippe Leconte, de revoir ces recommandations formalisées d’experts l’année dernière, en 2018, pour arriver à un document qui est maintenant accessible à l’ensemble de la communauté médicale : des médecins urgentistes, des réanimateurs et des intensivistes français.

Dominique Savary — Ma première et double question est : pourquoi refaire des recommandations formalisées ? Les autres dataient de 2002, je crois. Et quand on parle d’exacerbation sévère, c’est quoi exactement ?

Nicolas Terzi — La première raison pour refaire ces recommandations est qu’en effet, les précédentes dataient de 2002. Il y avait, malgré tout, une évolution d’un certain nombre de thérapeutiques, notamment en réanimation, et puis il y avait besoin de revenir sur la définition de ce qui était appelé l’asthme aigu grave précédemment qui, finalement, quand on regarde la littérature, notamment anglo-saxonne, ne correspond à aucune entité clinique particulière. Il fallait donc revenir déjà sur cette définition d’exacerbation sévère d’asthme tel qu’elle s’appelle maintenant, une exacerbation particulièrement intense qui va mettre en jeu le pronostic vital du patient à l’instant donné.

Dominique Savary — D’accord. Est-ce qu’on a des critères cliniques lorsqu’on voit le patient en salle d’urgence pour dire « c’est une exacerbation sévère » ?

Nicolas Terzi — Les critères n’ont pas vraiment changé par rapport à la définition précédente. La seule chose qui est intégrée, c’est un peu l’histoire de la maladie asthmatique du patient, le nombre d’exacerbations qu’il a pu faire au cours de l’année précédente, savoir s’il a déjà été hospitalisé dans un service de réanimation ou dans un service d’urgence, et puis les caractéristiques de fond de la maladie : l’augmentation de la consommation de bronchodilatateur dans les jours qui précèdent et les critères cliniques habituels d’insuffisance respiratoire aiguë.

Dominique Savary — Très bien. On est passé par les bronchodilatateurs, donc j’imagine qu’on va en parler. Au niveau thérapeutique, y-a-t’il eut des nouveautés dans ces recommandations ?

Nicolas Terzi — On a surtout simplifié le traitement de l’exacerbation sévère d’asthme pour « tordre le cou » à un certain nombre de thérapeutiques qui persistaient et qui, malgré un certain nombre d’éléments qui étaient en leur défaveur, continuaient à être réalisées.

Tout d’abord sur les bronchodilatateurs : les experts se sont clairement positionnés sur le fait que la bronchodilatation et l’utilisation des bronchodilatateurs ne devaient être exclusivement que par voie inhalée et plus du tout par voie intraveineuse. La voie intraveineuse a disparu complètement — elle avait déjà disparu dans les recommandations de 2002, mais on voyait que la pratique avait du mal à changer.

L’autre chose est qu’on s’est aussi positionné sur les autres bronchodilatateurs que sont les atropiniques, et notamment l’ipratropium, pour dire que finalement il y avait une dose maximale par jour d’ipratropium à délivrer et qu’on se limitait à trois aérosols d’ipratropium par jour — c’était largement suffisant dans ce contexte de l’exacerbation sévère d’asthme. Cette bronchodilatation doit être faite sous une modalité continue pendant la première heure, puis les patients sont réévalués. Après, on adapte la dose du bronchodilatateur, donc les bêta-2 mimétiques qui vont être, eux, poursuivis de façon importante, et les atropiniques qui seront juste limités à trois par jour.

Dominique Savary — Quelle est la place des corticoïdes et éventuellement du magnésium, dont on parle de temps en temps ?

Nicolas Terzi — Dans cette spécificité qu’est l’exacerbation sévère d’asthme, les corticoïdes ont une place. Par contre, il est clairement démontré qu’on ne doit pas dépasser 1 mg/kg de poids prédit et on a donné une dose maximale qui était de 80 mg, quel que soit le poids du patient, parce que de toute façon, après, il n’y a plus de bénéfice à aller plus loin.

Pour le sulfate de magnésium : l’ensemble des études n’est pas en faveur d’une amélioration franche avec le sulfate de magnésium, donc les experts se sont positionnés pour dire qu’a priori, dans le traitement initial de l’exacerbation sévère d’asthme, il n’y avait pas besoin d’utiliser ce sulfate de magnésium, on pouvait donc l’oublier. Éventuellement, dans un traitement de deuxième intention, mais pas en première intention, et en tout cas pas aux urgences, il n’y a pas raison de le continuer.

Dominique Savary — Quelle est la place de l’oxygénothérapie, mais aussi de l’oxygénothérapie haut débit dans cette affaire ?

Nicolas Terzi — L’oxygénothérapie haut débit est en effet une thématique très émergente. Il y a un certain nombre d’éléments physiologiques qui pourraient expliquer qu’on soit amené, dans les années à venir, à utiliser cette thérapeutique. Actuellement, les experts n’avaient pas suffisamment de données pour pouvoir donner une recommandation. Ce qui a été dit, c’est qu’en tout cas il fallait délivrer de l’oxygène de manière titrée pour avoir une saturation en oxygène entre 94ؘ % et 96 %, sans dépasser – puisqu’on a aussi des données montrant que l’hyperoxie est plutôt quelque chose délétère.

Dominique Savary — Si le patient ne s’améliore pas avec tout ce qu’on vient de lui donner, j’imagine qu’on va avoir recours à la ventilation. Est-ce qu’il y a une place pour la ventilation non invasive ? Et puis si on fait de la ventilation mécanique, comment induit-on le patient ?

Nicolas Terzi — En effet, quand l’état des patients s’aggravent, la question qui se pose, comme dans beaucoup de ces insuffisances respiratoires aiguës, est la place de la ventilation non invasive. Les experts se sont positionnés en disant qu’il n’y avait pas de place pour la ventilation non invasive — ce qui n’a pas été simple comme recommandation, puisqu’en fait, quand on prend les données de la littérature, toutes les études (ce sont de petites études avec des critères de jugement qui sont plutôt mous, comme l’amélioration de la dyspnée ou du débit expiratoire de pointe) sont plutôt en faveur de la ventilation non invasive. Mais comme il n’y avait pas de données sur des critères forts et qu’il faut quand même que ce soit très encadré, parce que la ventilation après et l’échec, notamment, de la ventilation non invasive dans ce cadre-là, est relativement fréquent, et les experts ont dit qu’il n’y avait pas de place à la ventilation non invasive, qu’il ne fallait probablement pas la recommander en première intention. Si on est obligé de recourir à l’intubation, à la ventilation mécanique, les techniques d’intubation sont les mêmes, les drogues de sédation sont les mêmes, on a plutôt tendance à sédater lourdement les patients, voire à les curariser à la phase initiale de la ventilation mécanique. Et les réglages spécifiques vont être plutôt de favoriser l’expiration, donc d’avoir un temps inspiratoire relativement court, ne pas dépasser des débits inspiratoires qui vont au-delà de 60 L/min — on s’est positionné comme cela — et de baisser la fréquence respiratoire, éventuellement de permettre une hypercapnie qui ne dépassera pas 7,20 de pH.

Dominique Savary — Imaginons cette fois que le patient s’améliore. Qu’est-ce qui fait qu’on va pouvoir le laisser rentrer chez lui ? Y-a-t-il des critères particuliers ?

Nicolas Terzi — Il y a des critères particuliers, parce qu’il y a un certain nombre de pathologies asthmatiques qui vont s’améliorer. Il y a des critères cliniques, il y a aussi la volonté qu’ont eu les experts de donner quelques recommandations sur l’ordonnance de sortie que devait avoir le patient, et notamment que s’il n’avait pas de traitement de fond de sa maladie asthmatique, qu’il soit mis sous un traitement de fond avec un bronchodilatateur et un corticoïde inhalé, qu’il ait la capacité de revoir un médecin traitant dans les 48-72h qui suivent l’exacerbation, et que bien entendu ce ne soit pas quelqu’un d’isolé socialement, parce que cela a fait aussi partie des difficultés d’accès aux soins. Mais en tout cas, s’il y a une amélioration clinique significative, on peut tout à fait laisser repartir le patient, on continuera la corticothérapie pendant cinq jours, à la même dose, sans aller plus loin. Surtout, il faut que le patient puisse être en capacité de re-consulter un médecin généraliste si jamais, de nouveau, il est moins bien.

Dominique Savary — Est-ce que vous voyez d’autres points sur lesquels il faudrait insister ?

Nicolas Terzi — Oui, il y a un autre point important. C’est quelque chose qui reste encore, en tout cas dans les services de médecine intensive/réanimation et peut-être dans certains services d’urgence : ces grosses bouteilles d’hélium qu’on peut voir, qui coûtent extrêmement cher et qui ne servent finalement pas à grand-chose. Les experts ont tordu le cou à cette technique qui était la nébulisation avec l’hélium pour les bronchodilatateurs et vous pouvez donc vous séparer totalement et librement de ces grosses bouteilles et faire de la place pour d’autres choses.

Dominique Savary — On va retenir ce point-là. Je vous remercie, Pr Terzi, pour cet éclairage en direct du congrès de la SRLF.

 

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