Revascularisation endovasculaire périphérique : alerte sur les stents et ballons actifs au paclitaxel aux Etats-Unis

Dr Jean-Pierre Usdin

4 février 2019

Grèce, Allemagne -- Une récente méta-analyse mettant en cause la sécurité de l’angioplastie des artères périphériques avec les stents et les ballons au paclitaxel a incité la FDA a publié une lettre d'alerte aux professionnels de santé [1,2]. Toutefois, peu après, une nouvelle méta-analyse n'a pas retrouvé de corrélation entre l’utilisation des ballons au paclitaxel et la mortalité, ajoutant un peu plus à la confusion[3]. Commentaires des Prs Didier Carrié (Hôpital de Rangueil. CHU Toulouse) et Amine Bahnini (département de chirurgie vasculaire, Hôpital Américain de Paris).

Surmortalité avec le paclitaxel

Les ballons et stent actifs utilisant le paclitaxel (Taxus Element®, Boston Scientific) sont approuvés pour l’endo-revascularisation des artères des jambes (et des artères coronaires) Ils diminuent le risque de resténose mais quelques études de moyenne importance ont suggéré un risque accru de mortalité tardive.

Le 6 décembre dernier, une méta-analyse concernant 28 essais randomisés comparant les ballons d’angioplastie et les stents actifs utilisant le paclitaxel aux autres types d’endo-revascularisations périphériques au niveau des artères fémoro-poplitées a été publiée dans le Journal of the American Heart Association  par K. Katsanos et coll.[1].  A un an, il en ressort qu’aucune différence de mortalité n’a été retrouvée. En revanche, en s’appuyant sur les 12 études qui ont poursuivi la surveillance, les chercheurs ont observé un risque de décès majoré de 68% dans le groupe paclitaxel par rapport aux autres techniques d’endo-revascularisation. En outre, ce risque augmente dans le temps, il a quasiment doublé (93%) dans 3 études dont le terme est de 5 ans. Le risque annuel est évalué à 3,1% contre 1,9% pour les études témoins. La différence concernant le risque absolu est de 3,5% et 7,2% à 2 ans et 5 ans respectivement : soit 1 décès pour 24 traités (à 2 ans) et 1 décès pour 14 traités à 5 ans.

Les causes de décès ne sont pas analysées précisément. Une relation de cause à effet spécifique existerait entre la dose de paclitaxel délivrée dans le temps et le risque absolu de décès (0,4% de sur-risque pour chaque mg/année) [4]. Il n’est pas possible de différencier dans les études les patients ayant eu une intervention avec le ballon seul et celui des patients implantés. Cela pourrait être intéressant si l’on tient compte de la durée d’exposition…

Conséquences : suspension de 2 essais randomisés européens et alerte de la FDA

Suite aux résultats de cette méta-analyse, l’édition US de Medscape a rapporté, le 19 décembre dernier, l’arrêt, en attendant plus ample information, de 2 essais concernant la revascularisation artérielle des membres inférieurs. Les chercheurs ont suspendu le recrutement des patients pour BASIL-3, SWEDPAD 1, SWEDPAD 2[5] .

Pour l’étude britannique BASIL 3, les chercheurs ont interrompu le recrutement en attendant de réunir le comité de pilotage, ils annoncent qu’ils vont compléter l’analyse de la littérature. BASIL 3 qui a commencé en 2016 doit comparer l’efficacité des ballons et stents actifs à celle des stents nus lors de la revascularisation fémoro-poplité chez des patients ayant une ischémie sévère des membres inférieurs (403 pts, 34 sites). Une note d’information va être transmise aux patients déjà recrutés.

Les chercheurs suédois des deux essais SWEDPAD 1 (ischémie critique) et SWEDPAD 2 (claudication intermittente) ont décidé dès le 13 décembre 2018 – soit une semaine après la publication de la méta-analyse de Katsanos K. et coll. – de mettre en attente leurs études qui avaient enrôlé quelques 3800 patients. Là aussi, le comité de pilotage doit faire le point sur l’avancement de l’essai et annoncer les actions futures concernant ce projet.

De son côté, la Food and Drug Administration (FDA) a rédigé une lettre d’information/recommandations aux spécialistes des maladies vasculaires périphériques préconisant de continuer à suivre de près les patients ayant bénéficié de ces procédures et incitant les professionnels de santé à déclarer tout effet indésirable observé avec les ballons ou les stents enrobés de paclitaxel [2]

Enfin, VIVA Physicians, organisation à but non lucratif, a annoncé la tenue d’un forum « Drug Elution in Peripheral Artery Disease: A Critical Analysis From a Multispecialty Consortium » réunissant des experts reconnus de la revascularisation endo vasculaire périphérique avec des stents et des ballons actifs en février prochain à Washington DC [6].

Pas de tels effets observés en France

Du côté européen, bien que la méta-analyse ait été réalisée par une équipe grecque, le retentissement est faible. Le Pr Didier Carrié a précisé pour l’édition française de Medscape : « avec quelques années de recul sur le Paclitaxel au niveau coronaire, il n’y a jamais eu d’études scientifiques prouvant la surmortalité avec cette drogue. Le Paclitaxel a été arrêté dans les années 2010 sur le plan coronaire car il y avait plus de resténoses qu’avec les « limus » [il est encore utilisé au niveau des ballons actifs] mais je n’ai jamais entendu parler de surmortalité dû au produit…et pourtant beaucoup de patients ont été traités dans le monde avec le Paclitaxel. Idem pour le ballon actif coaté au Paclitaxel dont ont bénéficié beaucoup de patients sans signal d’alarme de ce côté-là.

Peut-être qu’à partir de ces résultats-là, d’autres méta-analyses en rétrospectif verront le jour sur cette thématique dans les coronaires. Les grandes revues de la littérature type NEJM, Lancet… n’ont jamais mis en évidence une surmortalité due au Paclitaxel dans les nombreuses études avec implantation de stents actifs Taxus® ou avec ballon actif coaté au Paclitaxel… Donc je crois qu’il faut rester très prudent par rapport à cette méta-analyse… sous peine d’affoler des milliers de patients qui ont été traités un jour ou l’autre par du Paclitaxel.»

Egalement interrogé par l’édition française de Medscape, le Pr Amine Bahnini tempère lui aussi : « je n’ai pas eu connaissance de tels effets désastreux avec les stents ou ballons actifs utilisant le paclitaxel mais il est important de garder un œil attentif à ce sujet ».

Je crois qu’il faut rester très prudent par rapport à cette méta-analyse… sous peine d’affoler des milliers de patients qui ont été traités un jour ou l’autre par du Paclitaxel Pr Didier Carrié

Résultats non retrouvés dans une autre méta-analyse (ballons actifs seulement)

D’autres études à long terme semblent nécessaires pour confirmer ou infirmer ce signal de sécurité. Et, il semble qu’elles soient en cours. En effet, quelques jours après la publication de la méta-analyse de K. Katsanos et coll., une nouvelle méta-analyse a, en partie, remis en question ces résultats. L’étude, menée par des chercheurs majoritairement allemands et américains, a été publiée dans le J Am Coll Cardiol. le 25 janvier[3]. Il s’agit de 4 essais prospectifs contrôlés indépendants portant sur plus de 1 900 patients (ballons paclitaxel, n=1837 vs ballons nus, n=143). Précisons qu’il s’agissait uniquement de ballons actifs et non de stents. Aucune différence statistique n’est ressortie sur la mortalité toutes causes entre les angioplasties réalisées avec les ballons actifs (au paclitaxel) et les angioplasties effectuées avec les ballons non actifs à 5 ans (9,3% vs 11,2%, p= 0,399). L’analyse selon les doses délivrées stratifiées en 3 groupes n’indique pas de sur risque avec les hautes doses.

« Cette méta-analyse indépendante démontre que l’utilisation des ballons recouverts de paclitaxel répondent à des critères de sécurité. Il n’y a pas de corrélation entre la dose de paclitaxel délivrée et la mortalité », ont conclu Peter A. Schneider et coll. Il s’agit ici de ballons actifs ou non et non pas de stents implantés. La différence au long terme concernant la dose délivrée pourrait expliquer les discordances…

Enfin, à notre connaissance, il n’y a pas eu d’alerte similaire à celle lancé par la Food and Drug Administration par les agences européenne et française EMA et ANSM. 

 

Le docteur Katsanos ne déclare pas de conflit d’intérêt au sujet de cette étude.

Schneider is a member of the advisory board for Medtronic, Abbott, and Boston Scientific and a consultant for Surmodics, Silk Road Medical, Medtronic, Cardinal, CSI, and Profusa. He is a Chief Medical Officer for Intact Vascular and Cagent.

Le Docteur Bahnini n’a pas de conflit d’intérêt concernant cette remarque.

 

 

 

 

 

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