Cancer : le traitement par inhibiteur de checkpoint associé à un risque de myocardite

Vincent Richeux

25 janvier 2019

Paris, France L’utilisation des nouvelles immunothérapies dans le traitement des cancers s’est accompagnée d’une hausse des cas de cardiotoxicité. On estime que 1% des patients recevant une combinaison d’inhibiteurs de checkpoint développent une myocardite, généralement mortelle, par suractivation du système immunitaire, a affirmé le Dr Javid Moslehi (Vanderbilt University Medical Center, Nashville, Etats-Unis), au cours d’une présentation particulièrement remarquée aux Journées Européennes de la Société Française de Cardiologie (JESFC 2019) [1].

« Les molécules utilisées dans l'immunothérapie ont la capacité de réveiller le système immunitaire. Mais, chez certains patients, celui-ci devient beaucoup trop réactif. Sans que l’on sache encore pourquoi, les lymphocytes T s’attaquent aux tumeurs, mais aussi aux tissus de l’organisme, dont le cœur », a précisé le cardiologue, auprès de Medscape édition française.

Dans la moitié des cas, la myocardite conduit rapidement à une défaillance cardiaque, généralement avec l’apparition d’une arythmie, puis au décès. « Il s’agit d’un nouveau syndrome, qu’il faut désormais étudier pour comprendre les mécanismes en jeu », l’objectif étant de déterminer le profil des patients à risque.

Davantage de complications cardiaques

Si des signaux laissant suspecter cette cardiotoxicité sont apparus dans les essais cliniques, « c’est surtout l’utilisation croissante des immunothérapies et en particulier les combinaisons de traitement qui ont mis en évidence ce risque », a indiqué le Dr Moslehi.

Après avoir démontré des effets très prometteurs contre certains cancers, comme le mélanome ou le cancer du poumon, les inhibiteurs de checkpoint, des anticorps monoclonaux anti CTLA-4, anti PD-1, anti PD-L1, ont été rapidement mis sur le marché.

En plus des effets indésirables attendus avec ce type de traitement, comme les manifestations gastro-intestinales ou les atteintes endocrines, « nous observons ces dernières années davantage de complications graves [avec les inhibiteurs de checkpoints], notamment sur le plan cardiovasculaire », a ajouté le cardiologue.

Plusieurs cas ont été décrits dans la littérature. Le cardiologue a cité celui d’une femme de 65 ans traitée pour un mélanome métastatique par immunothérapie combinant l’anti-PD1 nivolumab (Opdivo®) et l’anti-CTLA4 ipilimumab (Yervoy®). Après 12 jours de traitement, elle a été prise en charge pour une douleur thoracique. « Une arythmie cardiaque est apparue rapidement et la patiente est décédée peu après ».

En majorité des dysfonctions systoliques

Dans une récente analyse, le Dr Marion Escudier (Assistance Publique-Hôpitaux de Marseille) et son équipe se sont intéressés à ces cas [2]. Ils ont repris les données publiées dans la littérature concernant une trentaine de patients ayant développé un événement cardiovasculaire au cours d’un traitement par inhibiteur de checkpoint.

L’âge moyen des patients inclus est de 72 ans. La moitié ont des antécédents de maladie cardiovasculaire. Les résultats montrent que la cardiotoxicité est diagnostiquée au bout d’un délai médian de 65 jours, avec une incidence accrue après la première et la troisième administration du traitement.

Une dysfonction systolique du ventricule gauche a été rapportée chez 79% des patients. Une fibrillation auriculaire, une arythmie ventriculaire et des troubles de la conduction ont été observés dans respectivement 30%, 27% et 17% des cas. Un quart des patients sont décédés. La majorité d’entre eux (57%) recevaient la bithérapie ipilumab+nivolumab.

Ces défaillances cardiaques seraient principalement liées à une myocardite, une inflammation du myocarde par infiltration de lymphocytes T dans le cœur. C’est ce que suggèrent le Dr Moslehi et ses collègues qui ont, de leur coté, analysé une centaine de cas de patients ayant développé une myocardite sévère consécutive à une immunothérapie par inhibiteurs de checkpoint [3].

Une dysfonction systolique du ventricule gauche a été rapportée chez 79% des patients.

Apparition dans un délai d’un mois

Ces cas ont été majoritairement recensés en 2017. La plupart des patients (âge médian de 69 ans) étaient traités pour un cancer du poumon ou un mélanome. Dans trois-quarts des cas, ils ont reçu une bithérapie associant un anti-PD1 ou un PD-L1 à un anti-CTLA4. Les autres ont été traités par monothérapie (anti-PD1 ou PD-L1).

L’étude montre que 64% des patients ont reçu seulement une ou deux doses avant l’apparition de la myocardite. Celle-ci s’est développée au bout d’une période médiane de 27 jours, avec un minimum de 5 jours et un maximum de 155 jours. La moitié des patients, dont une majorité sous bithérapie, sont décédés des suites de cette complication.

D’autres travaux ont révélé, après autopsie de ces patients, que les tissus cardiaques présentaient des vascularites nécrosantes, associées à une infiltration de lymphocytes au niveau périvasculaire.

« Nous avons tout intérêt à identifier les personnes à risque », a souligné le Dr Moslehi, qui a évoqué la recherche de marqueurs génétiques. « Pour le moment, nous pouvons affirmer que 1% des patients prenant une combinaison d’immunothérapies [par inhibiteurs de checkpoint] ont un risque de développer une myocardite. Et, près de 50% en meurent ».

La plupart des patients étaient traités pour un cancer du poumon ou un mélanome.

Une prise en charge à définir

Etant donné que ces thérapies sont de plus en plus utilisées, « nous sommes amenés à voir davantage de cas », avertit le cardiologue. Selon lui, il faut également définir ce nouveau syndrome, en le décrivant notamment d’un point de vue clinique, pour mieux diagnostiquer la myocardite et assurer une prise en charge adaptée.

« Nous avons besoin de biomarqueurs et la biopsie pourrait être envisagée », estime le Dr Moslehi. En ce qui concerne le dépistage, il suggère d’effectuer un électrocardiogramme et une mesure de la troponine, avant une mise sous bithérapie par inhibiteurs de checkpoint. Des examens qu’il faudrait renouveler après la première et la deuxième dose de traitement administrée.

Le prise en charge thérapeutique de ce syndrome reste à définir. L’administration d’antithymoglobuline (ATG), un médicament anti-rejet habituellement utilisé après une greffe d’organe, a pu donner de bons résultats, qu’il faudrait confirmer. Des thérapies visant les lymphocytes T sont également envisagées.

1% des patients prenant une combinaison d’immunothérapies ont un risque de développer une myocardite. Et, près de 50% en meurent Dr Javid Moslehi

 

 

 

 

 

 

 

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