France -- Nous avons récemment proposé à nos lecteurs de répondre à un sondage sur le burnout et la dépression, et plus de 1000 praticiens français y ont participé. Les réponses ont confirmé que près de la moitié des médecins interrogés était en difficulté, 28% déclarant éprouver des symptômes de burnout, 6% de dépression, et 14% les deux (voir les résultats complets : Enquête Medscape : les médecins français en burnout), en sachant que pour une vaste majorité d’entre eux, le burnout contribuait directement à leur état dépressif. Des chiffres qui corroborent une étude récente ayant synthétisé 37 études portant sur plus de 15000 médecins exerçant en France métropolitaine confirmant qu’un médecin sur deux est en épuisement professionnel, et dont 5% en burnout sévère [1].
Porter haut et fort la parole de médecins en détresse
La souffrance des médecins, leur vécu au quotidien de ce sentiment d’épuisement physique, émotionnel ou mental, créé par le travail, et leurs doutes sur leurs compétences et la valeur de leur métier sont difficiles à saisir dans une analyse statistique, même si les chiffres sont en eux-mêmes déjà très alarmistes. C’est pourquoi le sondage que nous avons envoyé laissait la possibilité à chaque médecin de s’exprimer librement sur chacun des items, une liberté dont nombre d’entre vous se sont saisis. Les témoignages que nous nous avez confiés sont retranscrits ici, pour porter haut et fort comme beaucoup l’ont souhaité, la parole de médecins en détresse, continuant, pour la plupart, d’exercer même au bout du rouleau. Bien entendu, pour respecter la confiance que vous nous avez faite, l’anonymat des praticiens qui se sont exprimés est totalement préservé.
Nous publions donc ces propos, en rappelant que l’enquête Medscape n’est pas représentative de l’ensemble de la population de médecins, et comporte forcément des biais de recrutement, la population en burnout/déprimée ayant peut-être été plus désireuse d’y répondre. Pour être complets, précisons aussi que de nombreux médecins, épanouis, passionnés par leur métier, se sont aussi exprimés, avec beaucoup d’enthousiasme, sur les raisons qui leur font aimer l’exercice médical. Nous consacrerons un deuxième article à ce qui rend les heureux, en mettant en avant les solutions (changer de mode d’exercice, de rythme de vie, etc..) qu’ils ont trouvées pour se rendre la vie plus belle – certains après avoir été échaudés par un burnout ou l’ayant frôlé – comme autant d’astuces à partager avec leurs confrères qui traversent une mauvaise passe.
Ce que les médecins ressentent
Les termes que vous avez utilisés dans notre sondage pour décrire le sentiment de burnout ne laissent que peu de place au doute tant le champ lexical utilisé recoupe tous les domaines de la définition de l’épuisement au travail. Vous faites état de symptômes typiques : une grande fatigue avec des « phases de lassitude intense », une « asthénie importante le soir et le week-end », un « manque d'énergie pour vivre ma vie » associés à des troubles du sommeil, des difficultés de concentration. Mais aussi, des « troubles somatiques avec successions de pathologies », des « troubles de la mémoire », « brûlures d’estomac », « idées obsessionnelles », des « nausées et des céphalées avant la journée de travail ».
Bien sûr, il est question de « manque de motivation » avec de la « difficulté à se lever le matin ». Le deuxième stade du burnout, qui se traduit par un état de dépersonnalisation (ou plutôt de déshumanisation) est flagrant : « froideur », « sentiment de deshumanisation », « diminution de l'empathie » « cynisme ». La perte du sentiment de réalisation de soi est aussi bien présente dans les verbatim. On nous parle ainsi de « questionnements sur le sens de ce qu'on fait et notre vocation avec remise en cause du métier ». S’y ajoutent, pêle-mêle, l’« insatisfaction», la « perte de confiance, d’intérêt », « l’impression de ne plus être performant », « de ne jamais faire assez bien », la « sensation d’être un robot », le « rejet », voire même le « dégoût » d’un métier pour lequel on s’est pourtant battu.
« Je travaille plus tard, je dors moins, j'arrive en retard le matin, j'ai l'angoisse des échéances (déclaration des impôts, à l'Urssaf & Co, j'ai l'angoisse de la mise à jour du logiciel métier et de l'ordinateur, je n'arrive plus à partir en vacances car trop de travail s'accumule au retour », résume ce médecin généraliste.
Comment le burnout a impacté leur vie
Les répercussions, bien évidemment, se font sentir au travail. Certains évoquent « une sensation d’isolement », un « manque de communication avec les collègues » et d’autres « la peur de faire des erreurs médicales ». Le colloque singulier est impacté : nervosité, irritabilité et stress face aux patients.
Au quotidien, les conséquences sont loin d’être négligeables. Dans le meilleur des cas, cela se traduit, à la maison, par « moins de patience pour les enfants et le conjoint » ou une « vie familiale suspendue quelque part ». Une femme médecin nous dit que le « relation avec son conjoint est devenue très difficile. D’autres qui ont été jusqu’à la « séparation » ou au « divorce » considèrent que la dépression (liée à des raisons professionnelles) a eu raison de leur couple. La vie sociale est impactée : plus de temps ou d’intérêt pour les relations amicales, nous disent de nombreux médecins.
Plus grave, un médecin attribue la cause de son infarctus du myocarde à son stress professionnel. Tandis qu’un autre confesse « un accident lié à un moment de fatigue, qui m'a valu 3 mois d'arrêt maladie ». Plusieurs évoquent un recours à des expédients : « drogues » sans plus de détails, mais aussi « alcool à visée palliative ». L’un reconnait s’être « traité par l'addiction au sport, au sucre, et au Tramadol ».
« Ma vie est très difficile. Je souffre constamment. Tout me coûte. Je ne sais pas combien de temps je vais tenir, je rêve de cesser cette activité qui pourtant me passionne(ait) » nous confie une psychiatre.
« J'ai démissionné de mon poste de PH pour ne pas y laisser ma santé mentale et physique. Je ne travaille plus, je me sens rétractée comme une plante dans le désert », témoigne, de façon imagée mais parlante, cette médecin généraliste.
A quoi l’attribuent-ils ?
Le cahier de doléance est long et associe « violence institutionnelle » – terme qui revient comme un leitmotiv –, charge de travail élevée, et relationnel difficile pouvant aller jusqu’au harcèlement moral.
A l’instar d’un récent sondage chez les professionnels de santé, le « travail empêché » est une réalité. Un médecin se plaint d’« injonctions paradoxales », un autre « d’actes et demandes en contradiction avec ses principes » souvent dans une ambiance jugée délétère où le « manque de respect et d'empathie des institutionnels et pouvoirs publics » pèse lourdement. Clairement, l’administratif a pris le dessus, le témoignage de ce médecin urgentiste qui évoque une « administration pendue au-dessus de votre tête comme une épée de Damoclès qui n'attend que le premier écart pour vous casser » est assez révélateur. Même sentiment en médecine libérale où « les contraintes de la CNAM, l'URSSAF, la CARMF, les Médecins Conseils, des institutions comme l'ARS, la HAS, pourrissent la vie quotidienne et sont certainement à l'origine des burnout » accuse ce médecin généraliste.
L’organisation et son impact sur la qualité des soins sont fortement remis en question. A l’hôpital, un médecin explique que « le travail se fait dans de mauvaises conditions, il faut aller de plus en plus vite pour pouvoir gérer tous les patients », un autre évoque l’absence « de moyens en matériel et personnel pour effectuer une médecine de qualité », ou « trop de gardes ». Et il faut clairement être multi-tâches. « Dans les hôpitaux périphériques du fait de manque des spécialistes, on doit être à la fois et vasculaire, et chirurgien pédiatre... et qui sait peut-être un jour, anesthésiste... » anticipe ce chirurgien.
L’informatisation n’aide pas : « trop d’identifiants/mots de passe », « l’ordinateur et les logiciels ne sont pas au service des soignants » nous dit-on.
Quelles solutions ?
Face à cette situation préoccupante, certains voient tout en noir : il n’y a « pas de solution, c’est marche ou crève (demandez à l’ARS) » nous conseille ce généraliste. Difficile également d’envisager une prise en charge psy quand « les psychiatres eux-mêmes sont en burnout ». « Rien (blocage et sidération) » répond un autre, tandis qu’un gynécologue-obstétricien nous glisse ce message sibyllin mais néanmoins désespérant : « J’attends la fin ».
D’autres sont « en arrêt », « ont dû démissionner » ou attendent la retraite avec impatience « plus que 3 ans à tenir ». Option plus radicale : « quitter la France ».
Adopter un comportement cynique est parfois tentant : « agir comme un fonctionnaire bête et méchant qui vient prendre sa paye et se fout du reste ». Avant que le naturel ne reprenne vite le dessus « mais cela n'est pas dans ma personnalité et c'est bien pour cela que survient cette souffrance au travail » poursuit, avec lucidité, cet endocrinologue.
Certains essaient d’agir à leur niveau. Soit en modifiant eux-mêmes l’organisation de leur travail, c’est-à-dire essentiellement en zappant les réunions vues comme stériles pour dégager du temps professionnel et personnel vécu comme plus enrichissant : « Je me concentre sur mon activité clinique, je néglige tout ce qui est administratif, j'évite toutes les CME et autres réunions pseudo-démocratiques au sens où cela ne change rien » considère cette femme urgentiste. Tandis que ce neurologue nous confie : « Je me consacre plus à mes passions en dégageant du temps pris sur le temps des réunions stériles et de tous les comités dont j'ai démissionné. Je me consacre plus à la lecture des publications récentes ».
Quand une autre, courageuse, tente « de mobiliser la communauté médicale de l’établissement, quasi entièrement concernée à des degrés divers, pour changer les rapports avec la direction » en choisissant notamment « d’adhérer à un syndicat » pour faire bouger les choses.
Pour ceux qui travaillent en libéral, chercher (et trouver) un associé est une option. Mettre en place « un projet de reconversion professionnelle » en est une autre.
Pour la majorité, la solution la plus évidente ou la plus facile à mettre en place a été de réduire leur temps de travail (parfois malgré une demande importante des patients) et de prendre un temps partiel. L’idée : « moins surinvestir le travail » et « prendre soin de moi », « avoir des loisirs compensateurs », « cultiver son jardin secret », « démarrer une formation passionnante », faire « du yoga, de la méditation », « prendre des vacances ». Cela s’accompagne parfois d’un changement de mode d’exercice, de l’hôpital au libéral, en EPHAD, ou par « l’instauration de l’hypnose médicale » dans la pratique.
En conclusion, impuissant à changer le système qui les broit, beaucoup ont choisi d'aménager leur vie et leur pratique, tout en sachant, comme le résume cette urgentiste que « ce n'est pas moi le problème, mais le système de santé. Je ne vois pas l'intérêt d'un traitement symptomatique d'un système défaillant en traitant les professionnels de santé. La solution c'est un traitement étiologique : améliorer le contexte professionnel ».
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Citer cet article: Burnout : des médecins français témoignent - Medscape - 23 janv 2019.
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