Femmes au bloc, discrimination sans équivoque

Valérie Devillaine

21 janvier 2019

Londres, Royaume-Uni – 81 femmes chirurgiennes ont répondu à l’appel de l’Association des chirurgiens de Grande-Bretagne et d’Irlande (Association of Surgeons of 
Great Britain and Ireland, ASGBI), lancé sur Facebook et Twitter. L’association les invitait à partager leur expérience et leur perception du sexisme dans leur milieu professionnel. Le taux de réponse, 42 % des membres du groupe Facebook, témoigne de l’intérêt du sujet et l’analyse qualitative et quantitative de leurs retours a fait l’objet d’un article paru dans le British Medical Journal le 7 janvier 2019 [1].

La médecine se féminise mais reste majoritairement masculine

Dr Marie-Aude Munoz

Une écrasante majorité des femmes concernées, 88 %, déclarent percevoir la chirurgie comme un champ dominé par les hommes et 59 % auraient fait l’expérience de discriminations. 22 % auraient aussi été confrontées à un plafond de verre. L’orthopédie est pointée par 53 % de ces chirurgiennes comme la spécialité la plus sexiste ! Des chiffrent qui n’étonnent guère le Dr Marie-Aude Munoz, chirurgienne orthopédiste à Montpellier : « à quelques pourcents près, ça me semble très transposable à la France. Le monde médical est assez dur, très corporatiste, très hiérarchisé. Et en orthopédie, on est un peu entre le BTP et l’armée, un univers très viril, de mâles dominants. Historiquement, le travail rend comme ça. On utilise des scies, des marteaux… Il faut de la force physique, même si c’est moins vrai maintenant avec les nouvelles technologies. Moi-même, qui mesure 1,63 m pour 50 kg, j’y arrive ! », commente-t-elle.

En France, la médecine se féminise mais reste encore majoritairement masculine. Les femmes représentaient 43 % des médecins en 2016 selon les derniers chiffres de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) du ministère en charge de la Santé ; elles n’étaient que 30 % en 1990. Mais elles ne sont encore que 22 % parmi les chirurgiens, et 5,4 % parmi les chirurgiens orthopédistes, mais 12,5 % chez les 35-39 ans de cette spécialité, preuve encore de la féminisation de la profession.

En orthopédie, on est un peu entre le BTP et l’armée, un univers très viril, de mâles dominants Dr Marie-Aude Munoz

Une question d’équilibre

Parmi les freins à une carrière en chirurgie, 34 % des chirurgiennes britanniques de cette étude citent la difficulté de concilier leur profession avec la maternité, la famille et les enfants. Une question d’équilibre entre vie professionnelle et personnelle qui se pose bien sûr à la société en général, où les tâches familiales sont encore majoritairement dévolues aux femmes, « mais c’est une question de génération », note le Dr Munoz qui fait là aussi figure d’exception : mariée à un médecin, elle est, à 37 ans, mère de trois enfants. Pour elle, la question de la vie de famille doit se poser au couple et non seulement à la femme. « Bien sûr, je travaille beaucoup, mais il ne m’est jamais arrivé de retourner à l’hôpital à 22 h comme certains collègues masculins. Je crois que certains sont mal organisés ou préfèrent traîner à l’hôpital que rentrer chez eux. Quand je partais le soir en disant que j’avais fini ma journée, c’était très mal vu. Après mes cinq ans d’internat, j’ai été chef de clinique pendant deux ans pour pouvoir accéder au secteur 2 en libéral. Puis, j’ai décidé de monter mon cabinet, seule. Cinq ans plus tard, il fonctionne bien. Je travaille 45 à 50 heures par semaine, mais pas 70 ! Et je compte prendre une associée. Oui, j’avoue faire du sexisme à l’envers. »

Je travaille 45 à 50 heures par semaine, mais pas 70 ! Et je compte prendre une associée Dr Munoz

Davantage de mentors et de modèles féminins

« Les jeunes me voient comme un modèle, confie-t-elle, et l’augmentation du nombre de femmes dans la discipline viendra par ce type de modèles ». 42 % des répondantes de l’étude britannique réclament plus de possibilités d’exercer à temps partiel, mais 18 % pensent aussi que davantage de mentors et de modèles féminins pourraient attirer les femmes vers la profession, tandis que 25 % en appellent à ce que la chirurgie projette une image moins masculine. Des clichés qui ont effectivement la vie dure. Nombre de femmes médecins ou chirurgiens sont prises pour des infirmières…

De part et d’autre de la Manche, les femmes ont aussi moins confiance que les hommes dans leurs capacités, ce qui les freine dans leurs ambitions.

58 % dénoncent enfin l’usage d’un langage sexiste en chirurgie : des remarques comme « Vous êtes trop mignonne pour être orthopédiste », rapporte une chirurgienne britannique. Une autre se souvient d’un congrès dans lequel le prix pour la meilleure présentation orale était une cravate ! Le Dr Munoz en a fait aussi l’expérience. « Il y a beaucoup de blagues graveleuses, mais aussi des trucs tout bêtes : en réunion avec 15 chirurgiens hommes et deux femmes, dire “honneur aux femmes”, ce n’est pas leur faire honneur. C’est pointer leur minorité. Dans ce cas, je demande si on se permettrait de dire “honneur aux noirs”. En général, ça fait prendre conscience. J’ai aussi souvent noté qu’on désignait les hommes par “Dr Machin” alors que les femmes étaient appelées par leur prénom. Certaines femmes choisissent de jouer le jeu et de faire les mêmes blagues que les hommes. Moi, je leur demande s’ils feraient les mêmes remarques sur leur sœur ou leur fille et je préfère qu’on ne fasse pas de blague sur moi, quitte à passer pour la fille pas drôle… »

Les femmes ont aussi moins confiance que les hommes dans leurs capacités, ce qui les freine dans leurs ambitions.

 

Les auteurs n’ont déclaré aucun lien d’intérêt.

L’étude a été approuvée et financée par l’Association des chirurgiens de Grande Bretagne et d’Irlande : Association of Surgeons of Great Britain and Ireland (ASGBI).

 

 

 

 

 

 

 

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