Addictions : un nouveau plan national en trompe l’œil

Julien Moschetti

Auteurs et déclarations

17 janvier 2019

Paris, France -- Présenté le 8 janvier après un an d’atermoiement, le Plan national de mobilisation contre les addictions 2018-2022 (plan MILDECA) ressemble à un vaste catalogue de propositions rempli de bonnes intentions. Mais il n’a pas réussi à convaincre les spécialistes de l’addiction qui regrettent l’absence de mesures fortes, notamment en matière de lutte contre la consommation d'alcool et de tabac.

La déception est d’autant plus grande que le plan dresse un constat réaliste et approfondi des enjeux actuels (voir encadré).

 « Il n’y aura pas de mesure contraignante, comme l’instauration d’un prix minimum de l’alcool, l’interdiction des publicités pour l’alcool autour des écoles ou l’encadrement de la publicité sur Internet », prédisait il y a quelques semaines Nelly David, la directrice générale de l'Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA). Elle avait vu juste : le plan national de mobilisation contre les addictions 2018-2022 (plan MILDECA) n’a pas répondu aux attentes de la plupart des spécialistes de l'addiction.

Pour le Dr Michel Reynaud, addictologue et président du Fonds Actions Addictions, « le plan est nettement insuffisant dans le domaine de la prévention des dommages liés à l’alcool. Il y a consensus international pour dire qu’il doit y avoir trois axes dans une politique alcool : le prix minimum de l’alcool, le contrôle et la diminution de la publicité et du marketing et le contrôle de l’accessibilité. » Or, ne figurent dans le plan ni l’augmentation du prix minimum, considéré pourtant comme la « meilleure façon de limiter la consommation des jeunes et les consommations excessives » d’après le Dr Reynaud, ni le contrôle et la taxation de la publicité « qui aurait limité la consommation ». 

Le plan est nettement insuffisant dans le domaine de la prévention des dommages liés à l’alcool Dr Michel Reynaud

Alcool et tabac : peu de mesure concrètes

Parmi les mesures concrètes, le gouvernement désire renforcer l’encadrement de la vente des boissons alcooliques et réguler la vie festive : vérification de l’enregistrement des licences III et IV des débits de boisson, meilleur encadrement de la pratique des « happy hours »…

Enfin, la législation sur l’ivresse publique et manifeste (IPM) sera adaptée. Le gouvernement désire porter le montant de l’amende d’IPM au niveau de celle encourue pour avoir fumé dans les lieux publics, pour la faire passer de 150 à 450 € au maximum.

Il est aussi question d’agir sur le prix de l’alcool et du tabac pour réduire la consommation. Or, si l’objectif du paquet de cigarettes à 10 euros à l’horizon 2020 est clairement affiché, la mise en place d'un prix minimum pour l’alcool comme en Ecosse ne fait pas l’objet d’engagement concret. Le plan se contente de citer les derniers rapports de l’OCDE : « une hausse des taxes ayant pour résultat l’augmentation de 10 % du prix des boissons alcoolisées et l’adoption d’une série de mesures réglementaires pourraient produire des effets considérables ».

Le poids des lobbys

La Fédération Française d’Addictologie (FFA) considère que « la pression des alcooliers a fini par payer » et « vider de toute portée » les mesures les plus efficaces pour réduire les risques et les dommages causés par l’alcool. A titre d’exemple, « les engagements publics et anciens sur la visibilité du pictogramme "Femme enceinte" n’ont toujours pas de traduction concrète, l'évolution de l'avertissement sanitaire sur les contenants de boissons alcooliques est également formulée sous forme d'intention, renvoyant aux calendes grecques les véritables décisions », fustige la FFA.

Et de conclure : « aucune contrainte ne viendra gêner un secteur économique (la filière alcoolière. ndlr) qui a pesé de tout son poids au sommet de l'Etat. Ainsi, la publicité pourra se donner libre cours autour des écoles, le marketing des produits destinés à faire entrer les jeunes dans la consommation d'alcool se poursuivra sans limitation. » C’est notamment le cas des publicités pour le vin, la bière ou le prémix (mélange l’alcool et de boissons de type soda ou jus de fruit) qui sont autorisées dans l’espace public.

En novembre dernier, le prémix à base de vin avait d’ailleurs fait l’objet d’un amendement visant à instituer une taxe de 11 euros par décilitre d’alcool. Comme d’autres amendements destinés à lutter contre la consommation d'alcool, il avait été retoqué devant l'Assemblée Nationale, dans l’attente du plan présenté par la MILDECA. Quelques mois plus tard, il n’y a pas la moindre trace du terme « prémix » dans le fameux plan. A l’exception d’une note de bas de page…

La publicité pourra se donner libre cours autour des écoles, le marketing des produits destinés à faire entrer les jeunes dans la consommation d'alcool se poursuivra sans limitation Fédération Française d’Addictologie

Cannabis : le système de contraventionalisation contesté

Concernant la lutte contre la consommation de cannabis, les spécialistes de l’addiction regrettent, là aussi, que le délit de possession de cannabis consacre une approche plus répressive que sanitaire, à l’heure où de plus en plus de pays évoluent vers la légalisation.  

Selon la Fédération Française d’Addictologie (FFA), la lutte contre la consommation de cannabis qui entre désormais dans le cadre de la contraventionnalisation* est « un dispositif dont l'efficacité est sujette à forte interrogation, qui risque de rompre le lien entre le système répressif et le système de soins, et est porteur d'inégalités sociales (les amendes sont gérables par les plus aisés qui, de plus, pourront toujours se faire livrer à domicile). » C’est l’une des raisons pour lesquelles le plan MILDECA laisse « un sentiment d'inachevé tellement le fossé est grand entre, d'une part, le brio des analyses et, d'autre part, la maigreur des actions, méthodes et moyens sur les problèmes de santé les plus dommageables », résume la FFA.

 

*La contraventionnalisation consiste à infliger des contraventions immédiates plutôt que de sanctionner pénalement une action considérée comme un crime ou un délit.

 

Tabac, alcool, cannabis : les jeunes frappés de plein fouet

Le tabac et l’alcool sont respectivement responsables du décès de 73 000 et de 49 000 personnes en France, rappelle le Premier ministre, dans l’éditorial du rapport. Des morts prématurées qui guettent une jeunesse particulièrement exposée et vulnérable aux addictions, rappelle Edouard Philippe.

Les consommations de tabac, d’alcool et de drogues illicites, en particulier de cannabis, chez les jeunes sont en effet très préoccupantes. A 17 ans, 25 % des adolescents fument quotidiennement du tabac et 8 % consomment de l’alcool plus de 10 fois par mois, poursuit le plan. Quant à l’usage des écrans, il peut mener à des conduites addictives, notamment au travers de la pratique des jeux vidéo (46 % des adolescents jouent un peu plus de 3 heures en moyenne chaque semaine).  Le « trouble du jeu vidéo » est d’ailleurs reconnu depuis juin 2018 comme une maladie par l’OMS.

 

Les 6 grands axes du plan

Le plan présente un catalogue de mesures (200) qui s’articule autour de six grands défis:

- Protéger dès le plus jeune âge

- Mieux répondre aux conséquences des addictions pour les citoyens et la société

- Améliorer l’efficacité de la lutte contre le trafic

- Renforcer les connaissances et favoriser leur diffusion

- Renforcer la coopération internationale

- Créer les conditions de l’efficacité de l’action publique sur l’ensemble du territoire

 

 

 

 

 

 

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