Brisbane, Australie — En utilisant les modifications épigénétiques de l’ADN tumoral, plus précisément des « paysages de méthylation » spécifiques qui se retrouveraient dans tout type de cancer, des chercheurs australiens ont mis au point une méthode permettant un diagnostic rapide du cancer, à partir d’une simple prise de sang. Leurs travaux sont publiés dans Nature Communication[1]. Une nouvelle étape avant le test de dépistage universel du cancer ?
Interrogé par Medscape édition française, le Pr Jean-Yves Pierga (Institut Curie, Paris) a souligné l’intérêt de cette étude. « C’est une piste de recherche tout à fait intéressante. Il y a beaucoup de travaux pour essayer de voir si, selon le profil de méthylation de l’ADN, on peut différentier l’ADN de cellules cancéreuses de l’ADN de cellules normales. »
Depuis quelques années, les travaux de recherche se multiplient pour mettre au point des techniques fiables de recherche et de quantification de l’ADN tumoral circulant (ctDNA) à partir d’un prélèvement sanguin avec l’objectif notamment de faciliter le diagnostic précoce du cancer. Ces recherches visent essentiellement à identifier des séquences d’ADN mutées spécifiques.
Perçue comme une possible alternative à la biopsie tissulaire, cette biopsie liquide suscite beaucoup d’enthousiasme, mais présente pour le moment des limites. C’est du moins l’avis de plusieurs oncologues et pathologistes américains, qui ont récemment émis des réserves sur l’utilité clinique de ces tests sanguins après une analyse de la littérature.
Affinité de l’ADN tumoral pour l’or
Alors que les techniques habituelles s’appuient sur la détection de séquences d’ADN muté circulant (par exemple mutation KRAS pour le cancer colorectal ou BRAF dans le cas du mélanome), c’est une tout autre approche que proposent le Dr Abu Sina et ses collègues (Institute for Bioengineering and Nanotechnology, University of Queesland, Brisbane, Australie).
« Nous avons observé que l’ADN des cellules normales présente une plus forte tendance à l’agrégation en milieu aqueux que l’ADN des cellules cancéreuses », expliquent les chercheurs. Ils ont également constaté que l’ADN tumoral a plus d’affinité pour les surfaces métalliques et adhère notamment plus facilement à des particules d’or.
Ces propriétés sont liées au processus d’épigénétique impliqué dans la cancérogenèse qui conduit à réguler l’expression de certains gènes, dont des gènes suppresseurs de tumeurs, en ajoutant des groupements méthyles. C’est la configuration spécifique apportée par la méthylation qui donne à l’ADN tumoral les propriétés physicochimiques exploitées par l’équipe.
« La reprogrammation épigénétique du génome des cellules cancéreuses crée des paysages de méthylation distincts comprenant des accumulations de méthylation sur des régions régulatrices, séparées par de larges séquences hypométhylées », précisent les chercheurs. Ce qui rendrait notamment ces séquences moins hydrophobes que celles d’un ADN normal.
Methylscape, un biomarqueur universel?
Selon les auteurs, ce « paysage de méthylation » spécifique, qu’ils ont baptisé « Methylscape », se retrouve dans la plupart des cancers. Par conséquent, il pourrait être utilisé comme un potentiel biomarqueur universel du cancer.
Dans leur étude, les chercheurs ont tout d’abord comparé des fragments d’ADN purifiés issus de tissu prostatique d’un individu sain d’un coté et d’un patient atteint d’un cancer de la prostate de l’autre. Ils ont ainsi constaté que l’ADN tumoral a tendance à former des agrégats plus fins dans une solution aqueuse, comparativement à l’ADN normal.
Ils ont ensuite étudié le comportement de fragments d’ADN avec divers niveaux de méthylation en appliquant une électrostimulation pendant dix minutes, à l’aide d’une électrode couverte d’or plongée dans l’échantillon.
Comparativement à l’ADN normal, l’ADN tumoral s’est davantage accumulé sur la surface de l’électrode, ce qui induit des variations électriques permettant ainsi de confirmer la présence d’ADN tumoral, voire de le quantifier.
Variations électriques et test à l’oeil nu
Afin de tester l’intérêt de cette méthode dans le diagnostic du cancer par biopsie liquide, les chercheurs ont utilisé des échantillons de plasma d’une centaine de patients atteints de cancer du sein ou de la prostate. Ils ont également testé près de 200 échantillons d’ADN tumoral provenant de différents types de cancers.
Les résultats révèlent, après dix minutes de test, des différences de variations électriques significatives entre les échantillons de sang des patients atteints de cancer et ceux provenant d’individus en bonne santé (groupe contrôle). La précision de la méthode atteint près de 90%, tandis que la sensibilité et la spécificité sont élevées.
Néanmoins, une autre expérience menée avec des échantillons de plasma contenant diverses concentrations en ctADN montrent que le test a ses limites lorsque la proportion d’ADN tumoral circulant est très faible. « Avec la version actuelle de cette méthode, nous ne sommes pas en mesure de détecter un cancer à un stade très précoce », précisent les auteurs.
Enfin, les chercheurs ont testé une autre technique utilisant un substrat colloïdal à base de particules d’or qui change de couleur lorsque de l’ADN s’y fixe. Si elle s’avère moins sensible que la précédente, « les données indiquent clairement que ce test à l’œil nu pourrait être un moyen rapide et économique de détecter la présence d’un cancer ».
Pas besoin de PCR
Cette nouvelle méthode de recherche d’ADN tumoral dans le sang « pourrait constituer une bonne alternative aux techniques actuelles de diagnostic du cancer », ont conclu les chercheurs, qui précisent toutefois que des examens plus poussés restent nécessaires pour connaitre le type de cancer et son stade de développement.
Pour le Pr Pierga, ces résultats sont d’autant plus intéressants que les recherches de séquences d’ADN muté dans le sang ne sont pas concluantes. « Il y a eu énormément d’investissement à ce sujet, mais finalement, la performance obtenue pour le moment reste relativement médiocre. Et, il a été montré à plusieurs reprises que, plus on vieillit, plus on trouve des mutations dans le sang sans nécessairement avoir un cancer (P53, Kraf,…). »
« Beaucoup pensent que cette nouvelle piste de recherche sur la méthylation de l'ADN tumorale pourrait être la bonne », ajoute le cancérologue. Elle a aussi l’avantage de ne pas utiliser des techniques complexes comme le séquençage de l’ADN par PCR. Il faudra toutefois attendre de nouveaux essais et un perfectionnement de la méthode avant d’espérer avoir un test de dépistage universel du cancer.
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Citer cet article: Epigénétique de l'ADN tumoral : de l’or pour un test de dépistage universel du cancer? - Medscape - 10 janv 2019.
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