POINT DE VUE

Cardiologue à la retraite, il a traversé la rue

Dr Jean-Pierre Usdin

18 janvier 2019

Au sortir d’une réunion destinée à promouvoir une nouvelle approche thérapeutique, une collègue lance au petit groupe de médecins participants « Y en aurait-il parmi vous qui seraient intéressés par des vacations dans un centre de santé qui vient d’ouvrir à Paris ? ». Proposition qui recueille très peu d’attention auprès des jeunes notamment cardiologues « interventionnels » ou chirurgiens cardiaques bien implantés dans diverses cliniques et déjà particulièrement occupés.

A l’heure où la retraite sonne…

Cependant Max, le plus âgé du groupe prête une oreille plus attentive. La structure hospitalière où il a exercé la cardiologie clinique pendant plusieurs années lui a notifié, élégamment, ses droits à la retraite il y a quelques mois, lui il a du temps libre !

Il n’a pas totalement décroché, il a la chance d’exercer à mi-temps partageant un cabinet médical avec un ami confrère, il continue à participer à divers congrès et réunions d’enseignements post universitaires. Il a ses après-midi libres, le temps n’est plus aux astreintes et autres gardes inhérentes à la structure où il a exercé. Pour tout dire, il s’ennuie un peu…

« C’est une activité salariée, reversement d’une partie des honoraires conventionnels secteur I. Il n’y a pas encore de cardiologue, le centre est neuf ouvert depuis deux mois » précise la jeune collègue recruteuse.

Rendez-vous est pris pour se faire une idée du centre et évoquer les modalités de participation. A quarante-cinq minutes, RER compris, du cabinet où il exerce. Toujours dans Paris, mais dans un quartier bien moins bien favorisé, en pleine mutation. Y ont surgi de terre, il y a deux ans à peine, centres commerciaux, bureaux, habitations. Bref, ça bouge.

Locaux flambants neufs, cinq bureaux, trois secrétaires. Généralistes, gynéco, pédiatre, psy ont ou vont y exercer. Equipement chiche en cardio : un ECG, un défibrillateur mais suffisant pour débuter la cardiologie clinique! Il est prévu d’acquérir holter, échocardiographe, et on attend les confrères motivés…

Désert du nord parisien

Il existe dans Paris des lieux où les médecins manquent, c’est le cas de ce secteur où il n’y a quasiment pas de cardiologue libéral, lui explique sa consœur enthousiaste. Il y a nombre de patients de différentes classes sociales, des familles, des cadres qui travaillent alentour, des jeunes et des plus âgés. Installée depuis l’ouverture, sa consœur généraliste ayant en charge l’organisation du lieu lui vante le potentiel d’un endroit où il y a tout à créer. Son agenda est plein et on a vraiment besoin d’un cardiologue.

Max pose de nombreuses questions : assez réfractaire au côté administratif, sa collègue le rassure, le centre va faciliter les démarches auprès du Conseil de l’Ordre, s’agissant d’une activité salariée, il peut tout à fait continuer à exercer en libéral dans Paris. Non, il n’a rien à verser à l’entrée, non, il n’y a pas de quota de patients imposé. Oui, il y a des plages libres, les consultations se font le matin de 7:30 à 13:30 h et l’après-midi de 13:30 à 19:30. Le montant du reversement au consultant est identique à celui des autres centres. Les honoraires sont ceux du secteur I mais Il bénéficiera du salariat, des congés payés, mutuelle, transports… Le tapis rouge est déroulé.

L’attrait du nouveau

Max se demande s’il va être capable de changer sa façon d’exercer, vieille de plus de trente années. Il a ses habitudes en secteur II. Les horaires sont imposés, il ne sera plus maître de ses horloges, la demande sera importante.  S’il prend une seule vacation, une demi-journée, il faudra consulter une dizaine de patients, voire même plus, s’il en croit le planning impressionnant de sa consœur. Une demi-heure pour chaque patient, lettre au correspondant comprise cela risque de le bousculer. Et il faut s’habituer au dossier électronique ! Un défi en quelque sorte avec des patients différents de ceux qu’il a connus dans cet endroit protégé, son cocon : l’ouest parisien !

Le centre a des points positifs comme l’ambiance conviviale, la proximité des confrères – même s’il sera (au début) le seul cardiologue –, la présence du laboratoire d’analyses médicales jouxtant le centre, et la possibilité offerte de partager connaissances et compétences entre professionnels de santé. A mettre aussi au compte des avantages, des secrétaires assurent l’accueil, les prises de rendez-vous et la télétransmission, il n’aura donc pas à faire tout ce qui lui pèse (un peu) dans le cabinet médical où il exerce depuis deux ans. La fiche de paye à la fin du mois lui confère un détachement concernant l’encaissement des honoraires. Et surtout l’attrait du nouveau, l’envie de voir autre chose, sans oublier les possibilités de développement dans ce quartier jeune.  

Vous commencez demain !

Il est d’accord pour une période d’essai de trois mois. Le contrat est accepté par le Conseil de l’Ordre.

La vacation dès le premier jour de 13:30 jusqu’à 19:00 est pleine comme un œuf! Il doit s’habituer au rythme rapide, centrer l’interrogatoire sur le seul sujet de la consultation, éviter les digressions. Il faut qu’il s’affranchisse du papier (salvateur), tout doit passer par « AZERTY ». Il faut délaisser le visage du patient au profit de l’écran pour entrer les informations. La réalisation de l’ECG lui prend un temps infini, il lui faudra aller plus vite. Il faut rédiger la lettre au médecin traitant tout en faisant part au patient de ses principales conclusions. Ouf ! Mais l’autre patient est déjà dans la salle d’attente. En fin de journée le retard s’est accumulé, la secrétaire est contrariée car elle va partir en retard. C’est normal : il débute !

Le burnout n’est plus de son âge !

Les vacations des semaines suivantes sont identiques : douze patients prévus ! Ça ne désemplit pas. Dorénavant, il bloque son téléphone pendant l’après-midi de sa vacation, il a enregistré un message précisant qu’il rappellera le soir ou le lendemain. Il est contrarié par ce surbooking et en a fait part à sa collègue et aux secrétaires, il faut lui ménager des plages horaires plus longues. Le burnout n’est plus de son âge !

« Ne consultez pas le planning, Il est habituel que des rendez-vous pris via la toile ne soient pas honorés sans que les patients en informent le secrétariat, on gère ! » C’est vrai, systématiquement chaque semaine, deux ou trois patients manquent à l’appel – tout comme à son cabinet d’ailleurs – rendez-vous non honorés d’accord et non annulés en amont… Bon ! il ne va pas s’offusquer d’une accalmie providentielle. Les pathologies ne sont pas foncièrement différentes de celles qu’il a l’habitude de voir, certes il y a plus de certificats médicaux mais autant d’hypertendus, de patients se plaignant de palpitations et douleurs thoraciques, ou bien de patients souffrant d’insuffisance cardiaque sévère.

La traversée de Paris

Sa période d’essai est terminée, il est confirmé dans ses fonctions « Accepterais-tu une vacation supplémentaire ? » propose sa consœur directrice du centre, les secrétaires seraient d’accord.

Deux activités médicales, deux mi-temps pendant sa retraite ! Le docteur Max sourit, il a de la chance, cela lui fera une belle occasion de traverser…Paris !

 

 

 

 

 

 

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