Prescription d’IPP en ville: une utilisation massive inappropriée, selon l’ANSM

Vincent Richeux

27 décembre 2018

Paris, France En France, en 2015, près de 16 millions de personnes ont eu une prescription d’inhibiteurs de la pompe à protons (IPP), selon une étude observationnelle de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) [1]. Dans environ 40% des cas, le traitement, qui n’est pas sans risque à long terme, est prescrit inutilement.

L’agence rappelle l’importance de ne pas banaliser les IPP. « Outre son caractère inapproprié, cette utilisation massive est potentiellement problématique en raison des risques potentiels d’effets indésirables associés, en particulier chez les patients âgés et dans le cas de traitements au long cours. »

Les IPP sont principalement indiqués dans le traitement du reflux gastro-oesophagien, des ulcères gastro-duodénaux, dans le traitement (préventif ou non) des lésions gastroduodénales provoquées par les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) et dans l’éradication d’Helicobacter pylori, en association avec des antibiotiques.

En France, en 2015, près de 16 millions de personnes ont eu une prescription d’IPP. Dans environ 40% des cas, le traitement est prescrit inutilement.

85 millions de boites vendues

L’étude de l’ANSM montre que la moitié des prescriptions d’IPP est associée à un traitement par AINS, dans un objectif de prévention puisque les deux traitements sont presque toujours initiés au même moment. Or, l’agence révèle que dans 80% des cas, aucun facteur de risque n’a été identifié pour justifier l’ajout d’un IPP.

Pour rappel, la prévention des lésions gastroduodénales en cas de traitement par AINS est recommandée chez les patients adultes à risque. Trois facteurs de risque ont été définis: être âgé de plus de 65 ans, avoir un antécédent d’ulcère gastrique ou duodénal ou être traité par antiagrégant plaquettaire, anticoagulant ou corticoïde.

Entre 2010 et 2015, les ventes d’IPP en France ont augmenté d’environ 27% pour atteindre 85 millions de boites vendues sous ordonnance en 2015, selon l’ANSM. Si ces médicaments sont bien tolérés à court terme, plusieurs études ont alerté sur un risque potentiel à plus long terme.

Dans de récents travaux, les IPP ont ainsi été associés à un sur-risque de 15 à 20% d’infarctus du myocarde. Les auteurs ont mis en cause une baisse de la production de monoxyde d’azote (NO), qui favoriserait l’agglutination des plaquettes sanguines, et une altération de l’endothélium vasculaire.

Selon une autre étude observationnelle, les IPP seraient également associés à un sur-risque d’AVC. Une corrélation a également été observée avec le risque infectieux à l’hôpital, les démences, les fractures de hanche et même la dépression. Mais, les résultats sont à prendre avec précaution, le lien de cause à effet n’étant pas établi.

Longtemps banalisée, l’utilisation de ces médicaments est désormais dans le collimateur des autorités sanitaires. Au Canada, des recommandations ont été récemment émises pour favoriser la déprescription des IPP, en particulier chez les seniors.

Trop souvent associés aux AINS

En France, l’ANSM a lancé un programme d’études visant à décrire l’utilisation des IPP à l’échelle nationale. Ce premier volet, consacré à la prescription d’IPP en ville, a analysé les données des personnes ayant bénéficié d’au moins un remboursement pour une délivrance d’IPP en 2015, à partir du Système national des données de santé (SNDS).

Selon les résultats, « plus de 15,8 millions de patients ont utilisé un IPP délivré en ville sur prescription médicale, soit près d’un quart de la population française ». Dans près de la moitié des cas (49%), la prescription concerne un début de traitement. L’âge moyen des utilisateurs est alors de 49 ans.

Une majorité de patients (54%, soit 4 millions d’utilisateurs) ont eu une prescription d’IPP pour prévenir ou traiter des lésions gastroduodénales associées à la prise d’AINS. « Parmi eux, dans plus de 90% des cas, l’initiation de l’IPP et de l’AINS était concomitante, suggérant un traitement à visée préventive », précise l’ANSM.

Pour 32% des nouveaux utilisateurs, l’indication du traitement n’a pas pu être déterminée. Une proportion importante a probablement été traité pour un reflux gastro-œsophagien, estime l’agence. « Toutefois, dans ce sous-groupe, seuls 8% des patients âgés de plus de 65 ans avaient bénéficié d’une endoscopie digestive haute », conformément aux recommandations.

Pour 32% des nouveaux utilisateurs, l’indication du traitement n’a pas pu être déterminée.

Quid du milieu hospitalier?

Les molécules les plus utilisées à l’initiation du traitement étaient l’oméprazole, l’ésoméprazole, et le pantoprazole, qui représentent respectivement 44%, 30% et 14% des délivrances.

La durée de traitement est variable selon les indications. Il va de 25 jours en moyenne pour  pour l’éradication d’Helicobacter pylori et pour la prévention ou le traitement des lésions gastroduodénales dues aux AINS, à 133 jours pour la prévention ou le traitement des lésions dues aux antiagrégants plaquettaires ou aux anticoagulants.

En moyenne, la durée du traitement était de 41 jours pour ceux qui ont commencé à prendre des IPP. Elle atteint  65 jours chez les plus de 65 ans.

Au regard de ces résultats, la prescription des IPP en ville « ne semble pas toujours correspondre aux recommandations », souligne l’ANSM, qui pointe l’absence de facteurs de risque chez de nombreux patients dans la prévention des lésions sous AINS et une endoscopie digestive non systématique chez les sujets âgés dans le traitement du reflux gastro-œsophagien.

Selon les recommandations de bonne pratique de la Haute autorité de santé (HAS), la réalisation d’une endoscopie digestive haute est préconisée chez les patients âgés de plus de 50 ans pour la prise en charge du reflux gastro-œsophagien et chez ceux âgés de plus de 45 ans pour l’ulcère gastro-duodénal.

On attend désormais les résultats concernant les prescriptions en milieu hospitalier. Les quelques données disponibles font état d’une situation tout aussi préoccupante. Selon une enquête menée en 2009 au CHRU de Montpellier, les prescriptions d’IPP étaient « non conformes » dans 82% des cas [2].

La prescription des IPP en ville « ne semble pas toujours correspondre aux recommandations  ANSM

 

 

 

 

 

  

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