Villejuif, France — Les femmes souffrant de migraines répétées ont 30% de risque en moins de développer un diabète de type 2, selon une étude portant sur une large cohorte française (E3N). S’il est encore difficile d’expliquer ce lien, l’une des pistes avancée est la possible implication du peptide relié au gène calcitonine (CGRP) qui joue à la fois un rôle important dans la physiopathologie de la migraine et a des effets sur le métabolisme du glucose.
Souvent associées aux variations hormonales du cycle menstruel, les crises de migraine affectent 15 à 18% des femmes. En plus d’avoir un impact négatif sur la vie quotidienne, les épisodes répétés de céphalées sont corrélés à un risque accru d’événements cardiovasculaires, mais aussi de dépression ou d’anxiété.
Difficile d’imaginer que les migraines puissent avoir un quelconque bénéfice. Et pourtant, c’est bien ce que suggère le Dr Guy Fagherazzi et ses collaborateurs de l’unité de recherche Inserm U1018 (Institut Gustave Roussy, Villejuif) après avoir analysé les données portant sur près de 75 000 femmes françaises. Leurs résultats sont publiés dans le JAMA Neurology[1].
Un suivi de 10 ans
Ces données proviennent de l’étude de cohorte prospective E3N (Etude épidémiologique auprès des femmes de la Mutuelle générale de l’éducation nationale), qui a inclus en 1990 des femmes volontaires nées entre 1925 et 1950, en majorité des enseignantes. Tous les deux à trois ans, elles sont interrogées sur leur mode de vie et leur état de santé.
Les chercheurs ont repris les données de suivi récoltées entre 2004 et 2014, après avoir exclu celles des participantes présentant déjà un diabète de type 2. Les femmes de la cohorte ainsi constituée étaient âgées en moyenne de 61 ans. Au cours de ces dix années de suivi, 2 372 nouveaux cas de diabète ont été recensés.
L’analyse montre que les femmes ayant déclaré des crises de migraine récurrentes ont moins de risque de développer un diabète de type 2, comparativement à celles qui n’en ont pas souffert. Après ajustement multifactoriel, cette baisse du risque est évaluée à 30% (HR=0.70, IC à 95%, [0.58-0.85]).
Par ailleurs, les chercheurs ont pu observer que celles qui ont développé un diabète ont moins souvent déclaré de migraines dans les années précédentes. Ainsi, dans ce groupe, la prévalence des migraines est passée de 22% à 11%, en observant une diminution linéaire pendant les 24 années qui ont précédé le diagnostic.
Possible implication du CGRP
Les femmes déclarant des migraines récurrentes sont en moyenne plus jeunes que celles qui ne souffrent pas de céphalées. Elles sont aussi moins actives physiquement (23 MET/semaine contre 25 MET/semaine), utilisent davantage un moyen de contraception orale (66% vs 59%), sont plus minces (14% avec un IMC<20 vs 12%) et plus souvent fumeuses (39% vs 35,6%).
Il reste difficile d’expliquer cette corrélation entre la migraine et le risque de diabète, soulignent les auteurs. De précédents travaux ont montré que des personnes souffrant de céphalées répétées présentent davantage de polymorphisme sur le gène codant pour le récepteur à insuline, ce qui prédisposerait à une meilleure sensibilité à l’insuline.
D’autres mécanismes liés au métabolisme sont suggérés. Les chercheurs évoquent une possible implication du peptide relié au gène calcitonine (CGRP), un neuropeptide sécrété par les neurones sensoriels « qui semble avoir un rôle important dans la physiopathologie de la migraine ». Or, il a également des effets sur le métabolisme du glucose.
Autre hypothèse avancée à propos de ce neuropeptide: l’apparition d’une résistance à l’insuline et d’une hyperglycémie pourrait avoir des effets négatifs sur l’activité des neurones sensoriels. Ceux-ci produiraient alors moins de CGRP, ce qui ferait disparaitre progressivement les migraines.
Depuis longtemps en débat
Dans un éditorial accompagnant l’étude, les Drs Amy Gelfand (UCSF Benioff Children’s Hospital, San Francisco, Etats-Unis) et Elizabeth Loder (Brigahm and Women’s Hospital, Boston, Etats-Unis) rappellent que ces résultats sont conformes à ce qui est observé en pratique clinique [2].
« Les praticiens se demandent depuis longtemps pourquoi il y a si peu de patients avec un diabète de type 2 dans les cliniques spécialisées dans le traitement des céphalées ». Selon elles, cette étude vient apporter des éléments de réponse, notamment à travers la piste du neuropetide CGRP.
Si l’étude se montre assez robuste d’un point de vue méthodologique, les éditorialistes regrettent que la cohorte ne soit pas représentative de la population générale. Les femmes incluses ne sont pas obèses et sont en majorité des enseignantes. Or, elles rappellent que les crises de migraine sont plus fréquentes chez les personnes défavorisées, également plus à risque d’obésité et donc de diabète.
Les deux spécialistes terminent en s’interrogeant sur le potentiel bénéfice de la migraine d’un point de vue évolutif. « Pour que les gènes de la migraine soient sélectionnées tout au long de l’évolution humaine, ils devaient certainement conférer un avantage en termes de reproduction ou de survie ».
En quoi les migraines peuvent-elles être bénéfiques ?
Et n’hésitent pas à avancer des théories, pour le moins, inattendues. « Chez la femme, les migraines coïncident souvent avec le cycle ovarien. Les femmes souffrant de migraine auraient-elles eu plus de probabilité de tomber enceinte, en raison d’une tendance à s’isoler pendant la période de fertilité dans un endroit sombre et calme, propice aux rapports sexuels ? ».
« Est-ce que le renforcement des aptitudes sensorielles, caractéristique des migraines pendant et entre les crises, a été un avantage pendant la période préhistorique, en permettant aux parents qui en souffraient d’être plus aptes à détecter le danger et ainsi mieux protéger leurs enfants? »
« Ces théories sont, bien entendu, très spéculatives. Cependant, l’épidémiologie de la migraine et les résultats rapportés par des études comme celle du Dr Fagherazzi et ses collègues nous amènent encore une fois à cette question: en quoi les migraines peuvent-elles être bénéfiques ? ».
FA : médiateur possible de l’AVC chez les sujets souffrants de migraine avec aura
Hypertension, hormones et femmes : les nouvelles recommandations de la SFHTA
Prévention des migraines : 4 anticorps monoclonaux anti-CGRP en développement
La migraine, un facteur de risque cardiovasculaire à prendre en compte
Migraine : 6 études qui éclairent sur les causes et les comorbidités
Actualités Medscape © 2019 WebMD, LLC
Citer cet article: Les crises de migraine associées à un moindre risque de diabète de type 2 - Medscape - 2 janv 2019.
Commenter