L’ANSM favorable à l’utilisation du cannabis à visée thérapeutique

Philippe Anaton

4 janvier 2019

 

ACTUALISATION — Fin décembre, l’ANSM a entériné la position du CSST considérant pertinent d’autoriser l’usage du cannabis à visée thérapeutique dans certaines situations (voir article ci-dessous).

Cinq réunions du CSST auront lieu avant l’été pour émettre un avis sur les modalités de prise en charge médicale des patients (définition du type de prescripteurs, du circuit de distribution et de délivrance, des modalités d’administration et des formes pharmaceutiques, des dosages et concentrations en principe actif dispensés) et les modalités de suivi des patients.

L’ANSM précise que, dans un premier temps, l’accès à l’usage du cannabis à visée thérapeutique devrait faire l’objet d’une expérimentation. AL

 

L’ANSM favorable à l’utilisation du cannabis à visée thérapeutique

Saint-Denis, France/20 décembre 2018 -- Le cannabis thérapeutique sera-t-il autorisé en France ? après avoir créé un comité pour évaluer la pertinence et la faisabilité de sa mise à disposition en France, le comité scientifique spécialisé temporaire (CSST) de l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) vient de rendre ses premières conclusions qui laissent la porte ouverte à un usage dans certaines conditions.

Pertinent dans certaines situations cliniques

Après avoir analysé les expériences d’autres pays l'ayant déjà mis en place, fait un état des lieux de la réglementation nationale et internationale sur le sujet (voir encadré) et auditionné les parties prenantes pour recueillir notamment les témoignages et points de vue des représentants de professionnels de santé et des patients sur la question, le comité considère  « pertinent d’autoriser l’usage du cannabis à visée thérapeutique pour les patients dans certaines situations cliniques et en cas de soulagement insuffisant ou d’une mauvaise tolérance des thérapeutiques, médicamenteuses ou non, accessibles (et notamment des spécialités à base de cannabis ou de cannabinoïdes disponibles)». En France, ces dernières sont (en théorie) au nombre de trois : il s'agit du Sativex®, de l'Epidiolex® et du Cannador®. Mais il faut savoir que Sativex®, bien qu’ayant obtenu une AMM en janvier 2014, n’est toujours pas commercialisé en France, faute d'accord entre le laboratoire Almirall et le Comité économique des produits de santé (CEPS). Selon le Pr Serge Perrot, spécialiste de la douleur, interrogé par Allo Docteur l’an dernier, que le Sativex® contienne du cannabis, ne serait pas étranger avec le fait que les négociations patinent.

Sans surprise, les situations thérapeutiques retenues par les experts pour l'usage du cannabis thérapeutique sont les suivantes :

« dans les douleurs réfractaires aux thérapies (médicamenteuses ou non) accessibles ;

- dans certaines formes d’épilepsie sévères et pharmaco-résistantes ;

- dans le cadre des soins de support en oncologie ;

- dans les situations palliatives ;

- dans la spasticité douloureuse de la sclérose en plaques. »

Pour le suivi des patients sous cannabis thérapeutique, la CSST souhaite la mise en place d'un registre national pour évaluer le bénéfice/risque, une évaluation des effets indésirables par les réseaux de pharmacovigilance et d'addictovigilance, et l'encouragement de la recherche. Le Comité exclut, par ailleurs, « l’administration du cannabis sous forme de fumée », mais reconnait que pour que « l’ensemble de ces propositions soit appliqué », « une évolution de la législation » est nécessaire.

Une quinzaine de pays a déjà adopté le cannabis thérapeutique, dans le traitement de la sclérose en plaque, du cancer et du sida : le Canada, l'Australie, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Nouvelle Zélande, l'Allemagne, l'Espagne, le Portugal, l'Italie, la République Tchèque, la Roumanie, la Finlande, le Chili, la Colombie, Israël et aux États-Unis dans 23 États américains ainsi que dans la capitale fédérale.

Efficaces sur certaines douleurs mais pas toutes

Que sait-on des effets et de l’intérêt du cannabis thérapeutiques ? Les trois réunions du CSST qui en ont débattu au travers des interventions des représentants de professionnels de santé et des patients sur l’utilisation du cannabis à visée thérapeutique sont disponibles en video sur la chaine YouTube de l’ANSM. Dans celle du 2 novembre, le Pr Alain Serrie, de l'Académie nationale de médecine a rappelé que les douleurs neuropathiques sont rebelles aux traitements : « on estime à 6,9% de la population française les patients atteints de douleurs neuropathiques », ajoutant que si le THC présentait une efficacité thérapeutique dans le traitement de ces douleurs, il n'avait, en revanche, pas d'intérêt dans d'autres douleurs, notamment ostéo-articulaires.

Jean-Claude Alvarez, de l'Académie nationale de pharmacie, a, lui, fait le point sur les risques des cannabinoïdes qui « présentent des effets toxiques, notamment tachycardies, hypertension artérielle, douleurs thoraciques, anxiété, troubles psychotiques, pertes de connaissance, nausées et/ou vomissements, hypokaliémie ». Leur consommation peut également entrainer une dépendance et des signes de sevrage à l'arrêt. Pour le Dr Claude Bronner, du Collège de médecine générale, les « effets sur la douleur ne sont pas géniaux », « mais pour certaines situations aigües comme des crises d'épilepsie, le cannabis peut être intéressant » mais difficilement accessible, a-t-il regretté.

S’exprimant au nom de la Fédération française d'addictologie, le Dr Bernard Basset, a considéré que « le cannabis est moins dangereux pour la santé que le tabac et l'alcool, mais présente des effets sur les fonctions cognitives, diminution des performances scolaires, troubles de l'attention, et dans de rares cas, développement de psychoses ».

Des complications psychiatriques et cardiaques

Dans le traitement de l'épilepsie – une des indications reconnues des dérivés du cannabis – , le THC peut avoir des effets « proconvulsiviants alors que ses effets positifs sont prouvés pour certains.  Des patients ont des crises après la prise, d'autres au contraire en ont moins », a rappelé Patrick Baudru, de l'association épilepsie France. Mais ces remarques sont également valables pour d'autres traitements. « À partir du moment où des patients et des chercheurs en arrivent à l'observation d'effets positifs il faut faire une place au cannabis thérapeutique dans la pharmacopée préconisée », a-t-il ajouté.

Dans le cadre d'une enquête d'addictovigilance portant sur le cannabis, Émilie Bouquet, du centre d'addictovigilance du CHU de Poitiers, a montré que les principales complications sont d'ordre psychiatriques (dépendance, troubles psychotiques, syndrome de sevrage, agressivité...), neurologiques (troubles de la conscience mnésique, épilepsie, convulsions), gastro-intestinaux (nausées, vomissements, pancréatites...)  ou encore cardiaques (tachycardie, infarctus du myocarde, douleurs thoraciques, palpitations...).

Le Dr Émilie Jouanjus, du centre d'addictovigilance du CHU de Toulouse, a quant à elle, insisté sur le fait que « l'évaluation de la pertinence et de la faisabilité de la mise à disposition du cannabis thérapeutique en France doit impérativement tenir compte du risque de complications cardiovasculaires graves chez les éventuels futurs patients exposés au cannabis thérapeutique ».

Après avoir pris connaissance des conclusions du CSST, l’Agence « décidera dans les prochains jours des suites à donner à ces travaux, notamment sur les modalités éventuelles de la mise à disposition du cannabis à visée thérapeutique en France ». A suivre en 2019 donc.
 

 

 

 

 

 

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