Strasbourg, France -- Mais que se passe-t-il donc chez les gynécologues ? Après l'affaire De Rochambeau, du nom de ce praticien hospitalier, président du Syndicat national des gynécologues (Syngof) assimilant l'interruption volontaire de grossesse à un assassinat et expliquant qu’il refusait d'en pratiquer, voilà qu’une citation comparant les femmes à des juments s’est « glissée » dans une présentation des Journées Nationales du Collège national des gynécologues et des obstétriciens français (CNGOF).
Hashtag #JeNeSuisPasUneJument
Les faits se sont déroulés le 7 décembre dernier, à Strasbourg, au palais de la musique, rapporte l'AFP. Dans la session des Recommandations pour la Pratique Clinique sur la Prévention et Protection Périnéale Obstétricale, un jeune agrégé a cru bon de citer un roman historique d’Yves Aubard, Le Seigneur de Châlus . Dans ce roman historique se déroulant au XIe et XIIe, l’auteur contemporain – féru d'histoire mais également chef du service gynécologie du CHU de Limoges – fait dire à l’un de ses personnages, se remémorant les dernières heures de l’accouchement de l’une des protagonistes : « Les femmes, c'est comme les juments, celles qui ont de grosses hanches ne sont pas les plus agréables à monter, mais c'est celles qui mettent bas le plus facilement ».
Présenté à 1200 congressistes, la diapositive dont la teneur, sortie de son contexte, a été jugée sexiste et misogyne, a immédiatement fait réagir les réseaux sociaux. Dans les minutes qui ont suivi, la diapositive incriminée a circulé sur les réseaux agrémenté du hashtag #JeNeSuisPasUneJument et de commentaires furieux.

Des demandes d'excuses par dizaines ont fleuri sur les réseaux sociaux.Certains se sont offusqués du manque de réactions d'Agnès Buzyn, ministre de la santé ou encore de Marlène Schiappa, secrétaire d'État chargé de l'égalité entre les hommes et les femmes.
Excuses
Le Collège national des gynécologues et obstétriciens français – qui se serait bien passé d’un tel épisode, aux vus des précédents en la matière ces derniers mois – s’est, en revanche, lui, fendu d’un mot d’excuse de son président, le Pr Israël Nisand . « Je souhaite très officiellement dire au nom du CNGOF que toute notre profession est arc-boutée sur la défense des femmes, de leur santé et de leur dignité, affirme-t-il. Je prie donc tous ceux qui ont pu être choqués par l’affichage inapproprié de cette phrase moyenâgeuse d’accepter les excuses du CNGOF qui, bien sûr, regrette cet acte déplacé. » Le Pr Renaud de Tayrac, auteur de cette dispositive, a abondé, en expliquant que son « intention n'était absolument pas d'être provocateur ou polémique, mais de faire un rappel historique sur la vision de l'anatomie du bassin féminin et des difficultés de l'accouchement au moyen-âge ». Ajoutant « mon objectif était de démontrer au cours de la présentation qui suivait que les connaissances obstétricales avaient beaucoup progressé depuis ». Avant de finir « la phrase citée est celle d'un personnage de roman et ne correspond pas à ma vision des femmes et de l'obstétrique, ni à celle de l'auteur que je cite. » Qu’en pense-t-il l’auteur justement ? Il ne s’est, à notre connaissance, pas exprimé sur le sujet, tout au plus le CHU de Limoges où exerce l'auteur du livre a tenu à faire savoir qu’il était « absolument étranger à cette polémique ».
Actes sexistes durant le suivi gynécologique et obstétrical : des précédents
Si cette affaire a eu un tel retentissement, c’est probablement prend racine dans un contexte particulier, celui de la mise en cause de l'IVG, mais aussi de la dénonciation des violences obstétricales.
Publié cet été, le rapport du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes a réalisé un état des lieux des « actes sexistes durant le suivi gynécologique et obstétrical » et conclu, chiffres à l’appui, non seulement à leur véracité mais à leur caractère courant. Ce document officiel venait ainsi objectiver les quelque 7000 témoignages de femmes apparus en 24 heures sur les réseaux sociaux en 2014 (#PayeTonUterus) dénonçant pêle-mêle, violences verbales, mais aussi physiques lors d'examens gynécologiques. Il faisait suite aussi aux documents de la Faculté de médecine de l’Université Lyon-Sud qui avaient révélé en 2015 qu’il était attendu, que dans le cadre de leur formation, les étudiant.e.s pratiquent des touchers vaginaux sur des patientes « endormies », donc sans leur consentement.
Le HCE a identifié six types d'actes sexistes dans le suivi gynécologique :
-non prise en compte de la gêne de la patiente,
-propos désobligeants,
-injures sexistes,
-actes exercés sans recueillir le consentement de la patiente,
-actes non justifiés médicalement,
-violences sexuelles.
Ce document appelait à « une prise de conscience des pouvoirs publics pour reconnaitre les actes sexistes durant le suivi gynécologique et obstétrical, les prévenir, faciliter les procédures de signalements et condamner les pratiques sanctionnées par la loi. »
Humour de salle de garde
La diapositive du Pr de Tayrac s'inscrit-elle dans ce contexte ? Outre les réactions outragées, la citation a aussi ses défenseurs avec des arguments qui pourront être qualifiés « d’ultra-machistes » par les uns et de défense de « l’esprit carabin » par les autres. Pour s’en faire une idée, on pourra lire les commentaires des médecins suite à l'article sur la question publié par le Quotidien du médecin : « Honte à la "consœur" manquant d'humour qui a balancé et pitié pour les PU-PH Nisand et de Tayrac qui sont obligés de faire acte de contrition », « Eh bien, en tant que fille, je trouve ça plutôt rigolo, mais le second degré, ça n’est pas donné à tous en ces temps de politiquement correct », « Les hommes sont en permanence assimilés à des porcs par les femmes et les médias sans que personne n'y trouve jamais rien à redire... ».
Certains verront ce type d’« humour » comme le digne héritier d'un esprit carabin, très masculin, qui s'exprime notamment dans les salles de garde aux travers de fresques à connotation sexuelle voire pornographique et dont le médecin et écrivain Martin Winckler avait relevé sur son site qu’elles « confortent des valeurs machistes et sexistes » et ne sont « que la (toute petite) partie émergée d’un très gros iceberg ».
Actualités Medscape © 2018
Citer cet article: Gynécologie : les femmes ne sont pas des juments - Medscape - 19 déc 2018.
Commenter