Hypertension et dysfonction érectile : les nouvelles recommandations de la SFHTA

Aude Lecrubier

Auteurs et déclarations

17 décembre 2018

Paris, France – Un à deux tiers des hypertendus souffrent de dysfonction érectile (DE)[1,2]. Pourtant, dans cette population, la maladie reste insuffisamment dépistée et traitée. Pour y remédier, un nouveau consensus d’experts intitulé « Chemin clinique pour le dépistage et la prise en charge de la dysfonction érectile des hypertendus » vient d’être présenté par la Société Française d’Hypertension Artérielle (SFHTA) lors des Journées de l’hypertension artérielle (JHTA)[3,4]. Le texte préconise de dépister la DE chez tous les hypertendus avec pour question centrale : « la DE est-elle liée à l’hypertension, à son traitement ou à une autre cause ? »

Dysfonction érectile : la double/triple peine

La dysfonction érectile est définie par l’incapacité persistante ou répétée à obtenir et/ou à maintenir une érection suffisante pour permettre une activité sexuelle satisfaisante pendant une durée minimale de 6 mois. Elle est associée à une souffrance psychologique importante du patient et/ou du couple (baisse de la qualité de vie, anxiété, dépression…)[5,6].

Les thérapeutiques utilisées dans l’hypertension artérielle sont susceptibles d’engendrer ou d’aggraver une dysfonction érectile. Et, il existe un lien étroit entre dysfonction endothéliale et DE.

La dysfonction érectile est un marqueur indépendant de maladies cardiovasculaires (MCV).

Dépistage de la DE : quand y penser ?

Selon le consensus d’experts, le dépistage doit être systématique lors de la consultation d’annonce de l’HTA, dans les 6 mois qui suivent l’introduction d’un nouvel antihypertenseur, au moins une fois par an lors du renouvellement du traitement et au décours d’une complication CV ou rénale.

En parallèle, le dossier médical du patient, mais aussi les comportements et les plaintes du patient doivent attirer l’attention, a souligné le Dr Marie-Hélène Colson (sexologue, Marseille) lors de la session des JHTA.

Selon la sexologue, il existe plusieurs signes d’alerte de la présence d’une DE chez le patient :

-la présence de maladies ou de traitements chroniques associés à des prévalences importantes de troubles sexuels (association diabète/HTA, traitement antidépresseur, MCV pour lesquelles la survenue d’une DE est un marqueur de risque) ;

-la moins bonne observance ou si le patient remet en cause la nécessité de son traitement antihypertenseur ;

-des plaintes relatives à un état de fatigue ou dépressif, de difficultés conjugales peu précises…

Le dépistage en lui-même repose sur les échanges au cours de l’entretien clinique. Des questions non intrusives et ouvertes sont recommandées comme : « Les troubles sexuels sont fréquents chez les hypertendus, souhaitez-vous recevoir des informations sur ce sujet ? » ou « Certains médicaments contre l’hypertension peuvent avoir des effets sur la sexualité. Est-ce que vous souhaitez que l’on en parle ? » Les auto-questionnaires comme l’IIEF 6 peuvent être utilisés en complément.

La DE est-elle liée à l’hypertension, à son traitement ou à une autre cause ? 

Réaliser un bilan pour évaluer les risques associés

Le bilan à réaliser n’a pas vocation à établir le diagnostic de DE, posé grâce à l’entretien, mais à évaluer les risques associés : comorbidités, risque CV...

Il doit comporter un examen général (cardiovasculaire, neurologique simple), un examen génital (seins, testicules, TR si troubles mictionnels et systématiques après 50 ans). Mais aussi, un bilan biologique (glycémie, HbA1c, profil lipidique). Le dosage de testostérone ne doit être réalisé, par un spécialiste, qu’en cas de suspicion clinique d’hypogonadisme.

En complément, des examens supplémentaires peuvent être nécessaires en fonction des facteurs de comorbidité et des traitements en cours.

Le consensus de Princeton sur la prise en charge de la DE et de la maladie CV préconise la recherche d’une ischémie myocardique notamment à l’effort chez les patients dits à risque intermédiaire ou élevé.

Déterminer la sévérité de la DE pour orienter les prise en charge

Pour cibler la prise en charge et orienter au mieux le patient, il est nécessaire d’évaluer la sévérité de la DE car une DE « simple » pourra être prise en charge directement par un non-spécialiste alors qu’une DE « complexe » nécessitera une prise en charge en réseau avec un sexologue.

Pour cela, le Dr Colson propose de poser 4 questions simples au patient:

1. Depuis quand souffrez-vous de DE ? (pour faire le tri entre une DE primaire ou secondaire) ;

2. Souffrez-vous d’autres difficultés sexuelles ?;

3. Avez-vous toujours des érections conservées dans certaines situations, matinales ou autres ?;

4. Est-ce que votre partenaire souffre de la situation ? Et est-elle (il) désireuse(x) d’une prise en charge ?

La DE est considérée comme simple si la DE est secondaire, sans autres dysfonctions sexuelles, avec des érections conservées, et un(e) partenaire « pro-active (f) », « motivé.e ».

La DE est considérée comme plus complexe en cas de DE primaire, de présence d’autres troubles sexuels, de l’absence d’érections conservées, et/ou quand la/le partenaire est absent.e, non motivé.e…

Faut-il changer de traitement antihypertenseur ?

Dans environ 80 % des cas, la DE est simple et peut être prise en charge par un « non-spécialiste ».

La prise en charge consiste avant tout, à discuter avec le patient, à l’informer et « à évaluer l’état du désir, la motivation et le couple », souligne le Dr Colson.

Mais, une des premières questions qui se pose au cardiologue ou au médecin généraliste est : faut-il changer de traitement antihypertenseur ?

La réponse est « probablement oui » alors même que « le changement de classe de médicament antihypertenseur entraine rarement la restauration de la fonction sexuelle », souligne le consensus d’experts.

Toutefois, il est préférable de tenter un changement de classe avec le patient, plutôt qu’il arrête son traitement sans en référer au médecin. Le changement doit cependant être réalisé avec précaution chez l’hypertendu avec facteur de risque CV (avis cardiologique et/ou néphrologique).

Il est préférable de tenter un changement de classe avec le patient, plutôt qu’il arrête son traitement sans en référer au médecin.

Quels traitements antihypertenseurs aggravent l’HTA ?

Le Dr Béatrice Duly-Bouhanick a répondu à cette question en réalisant une revue de la littérature. Ses conclusions, présentées lors de la session des JHTA, sont les suivantes :

-Les diurétiques semblent aggraver la DE.

-Les bêtabloquants les plus récents pourraient avoir un effet neutre sur la DE. Toutefois, les essais sur le sujet sont de petites tailles.

-Les IEC/ARA 2 semblent neutres sur la DE.

-Les ICA seraient neutres mais les essais dédiés manquent.

-Les alphabloquants seraient non délétères sur la DE.

Quels traitements de la DE ?

En termes de traitement de la dysfonction érectile, dans les cas simples, la prescription provisoire d’inhibiteurs de la phosphodiestérase 5 (sildénafil, tadalafil, avanafil et vardénafil), associée à des conseils d’utilisation et psychologiques est efficace et bien tolérée chez les hypertendus[7,8,9].

« Ces médicaments de la DE, ne sont pas assez prescrits chez les patients souffrant de maladies cardiovasculaires alors qu’ils sont très efficaces, s’ils sont bien utilisés », souligne le Dr Colson.

« Certaines molécules ont une longue durée d’action (tadalafil) alors que d’autres peuvent être prises juste avant l’action (sildénafil, une heure avant). Le patient peut donc choisir en fonction de ces habitudes », précise la sexologue.

Ces médicaments de la DE, ne sont pas assez prescrits chez les patients souffrant de maladies cardiovasculaires alors qu’ils sont très efficaces, s’ils sont bien utilisés Dr Marie-Hélène Colson

Le consensus d’expert précise que la coadministration d’inhibiteurs de la phosphodiestérase 5 et de dérivés nitrés est interdite (respecter 24h après la dernière prise pour le sildenafil, le vardénafil et l’avanafil et 48 heures pour le tadanafil) et qu’il faut éviter la coadministration d’IPDE5 en cas de traitement alpha-bloqueurs (sauf alpha-bloquants uro-sélectifs).

Les alternatives thérapeutiques aux inhibiteurs de la PDE5, plutôt réservées aux spécialistes, sont l’alprostadil par intra-urétral ou intra-caverneuse proposés en cas de contre-indication ou échec du traitement oral, ou de préférence du patient. Il est recommandé de les utiliser avec prudence en cas d’antécédents d’AIT, en cas de troubles CV instables et ou de facteurs de risque d’AVC. Dans les rares cas de DE réfractaire au traitement, la chirurgie de mise en place d’un implant pénien peut également être envisagée.

Des difficultés le plus souvent passagères

En ce qui concerne les échecs thérapeutiques, le Dr Colson souligne qu’ils sont souvent dus aux mauvaises conditions d’utilisation des traitements, mais qu’ils peuvent aussi être dus à une DE plus complexe avec un facteur de gravité qui serait passé inaperçu de prime abord.

Pour conclure, le Dr Colson a insisté sur le fait que la conviction d’incurabilité est le pire ennemi de la guérison : « Il faut bien expliquer que la plupart du temps les difficultés d’érection sont passagères […] et en attendant, le temps qu’on arrive à trouver une solution, on peut rappeler au patient que le plaisir partagé peut se prendre même sans érection et sans pénétration. Il ne faut hésiter à le dire au patient ». Elle a également rappelé l’importance du suivi des patients et sur le rôle central des médecins dans la prise en charge de la DE.

« Ne mésestimez jamais le rôle que vous avez en tant que médecin. Votre action peut être décisive avant même l’instauration d’un traitement. Le simple fait d’aborder la question et d’informer, soulage le patient et souvent cela peut suffire », conclut le Dr Colson.

Ne mésestimez jamais le rôle que vous avez en tant que médecin. Votre action peut être décisive avant même l’instauration d’un traitement Dr Colson

Situations particulières

-Si l’alprostadil est destiné aux patients avec une altération de la coagulation, un trouble de la fonction thrombocytaire, ou traités par un médicament anticoagulant, antiplaquettaire ou thrombolytique, le médecin devra soigneusement éduquer (sur les risques encourus) et suivre son patient.

-La pose de défibrillateur implantable chez certains hypertendus peut être anxiogène mais le risque de choc pendant l’acte est identique à celui du patient ayant une activité physique usuelle modérée.

-Après sternotomie pour pontage, il faut attendre 6 à 8 semaines après une rééducation CV avant de prescrire une thérapeutique contre la DE.

 

 

Les signataires du document « Chemin clinique pour le dépistage et la prise en charge de la dysfonction érectile des hypertendus » ont des liens d’intérêt avec des industriels qui commercialisent des produits de santé consultables sur le site Transparence santé. Ils déclarent avoir réalisé ces recommandations en toute indépendance.

 

 

 

 

 

 

Commenter

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE
Les commentaires peuvent être sujets à modération. Veuillez consulter les Conditions d'utilisation du forum.

Traitement....