Paris, France— La volonté d’élargir les prérogatives des pharmaciens en leur octroyant des missions jusque là réservées aux médecins inquiète de plus en plus le corps médical.
Si fin octobre, le droit de prescrire certains médicaments n’a finalement pas été accordé aux pharmaciens, d’autres décisions prises auparavant, comme l’autorisation de vacciner contre la grippe, ou l’habilitation à réaliser des « bilans partagés de médication » chez les patients polymédicamentés âgés, sont les signes forts d’un transfert des rôles.
Dans cette mouvance, le conseil national de l'ordre des pharmaciens (CNOP) vient de mettre en ligne trois rapports « avec pour objectif de mettre le pharmacien au cœur de la transformation du système de santé français amorcée en 2018 »[1].
Ces trois textes portent sur la prévention, les nouvelles technologies, ainsi que la pharmacie clinique. En matière de prévention, le CNOP formule 15 propositions, dont certaines reprennent des prérogatives médicales. Ces propositions sont ordonnées en trois chapitres : prévention primaire, secondaire et tertiaire. Pour ce qui est de la prévention primaire, les propositions de l'ordre des pharmaciens portent notamment sur les addictions, la nutrition, et la vaccination.
Ces rapports ont pour le peu irrité les médecins, comme l’indique le communiqué de la confédération des syndicats médicaux français (CSMF) intitulé : « Rôle du pharmacien : à chacun sa place dans une équipe coordonnée » [2]qui souligne que « les modifications des contours de métier et des rôles de chacun ne peuvent intervenir […] sans tenir compte des impacts sur les autres professions. »
Renforcer le rôle des pharmaciens dans la prévention : 15 propositions
En prévention primaire
Outre la mise en place de bilans généraux de prévention à différents âges de la vie, l'Ordre considère que le pharmacien est en première ligne face aux fumeurs : à ce titre, le CNOP propose de formaliser des entretiens pharmaciens en matière de tabacologie. Aussi, le pharmacien pourrait être amené à prescrire des substituts nicotiniques, selon les vœux du CNOP. Pour ce qui est des problèmes liés à l’alimentation et à la nutrition, là encore le pharmacien pourrait intervenir dans un premier temps lors d'un entretien professionnel, puis orienter ensuite son « patient » vers une prise en charge pluridisciplinaire adaptée. Dans le domaine de la vaccination, la proposition la plus polémique du conseil de l'ordre des pharmaciens reste celle de la population adulte par les pharmaciens. Il s'agit là d'étendre l'expérimentation actuellement menée dans deux régions (Auvergne-Rhône-Alpes et Nouvelle-Aquitaine) à l'ensemble de la France.
En prévention secondaire
En prévention secondaire, le CNOP s'attarde sur le cancer, le diabète, le VIH&Hépatites, ainsi que sur l'antibiorésistance. Pour mieux dépister le cancer colorectal, le rapport propose de simplifier le parcours d'accès à ce dépistage en organisant la remise du kit de dépistage dans les pharmacies d'officines. Dans le domaine du cancer du col de l'utérus, pour un meilleur dépistage, autoriser les pharmaciens biologistes à réaliser des frottis cervico-utérins faciliterait le dépistage. Les prérogatives du pharmacien pourraient être renforcées également dans le dépistage du diabète en leur permettant de réaliser des tests capillaires d'évaluation de la glycémie en pharmacie en dehors des campagnes de prévention. L'Ordre, sur la même lancée, préconise la réalisation de tests de dépistages (TROD) VIH, VHB, VHC en officine, et un accès direct en laboratoire de biologie médicale à un dépistage VIH, VHB, VHC pris en charge par l'assurance maladie. Les pharmaciens pourraient aussi être amenés à dépister les angines à streptocoques en prévention de l'antibiorésistance.
En prévention tertiaire
Dernier chapitre, la prévention tertiaire. Au contact des personnes âgées, les pharmaciens sont les plus à même, pour l'Ordre, de promouvoir le dépistage de la fragilité dans l’officine. Pourquoi pas élargir la prévention pharmaceutique à la diminution de la iatrogénie médicamenteuse, et à la prévention des complications des maladies. Et aussi, tant qu’à faire, impliquer le pharmacien d'officine dans la conciliation médicamenteuse d'entrée dans le cadre des hospitalisations programmées.
CSMF : Chacun à sa place…
L'ensemble de ces propositions tend à étendre le rôle du pharmacien dans le domaine de la prescription médicale. Ce qui n'a pas l'heur de plaire à la confédération des syndicats médicaux français (CSMF). Dans un communiqué, elle rappelle « qu'une consultation globale de prévention est demandée depuis fort longtemps par la CSMF, à des âges clés de la vie. Sans nier l’apport des pharmaciens, l’accorder aux pharmaciens alors qu’elle ne l’a pas été aux médecins serait pour le moins saugrenu » [1]. La prévention primaire des pharmaciens doit être effectuée sous la houlette des médecins pour la CSMF. « Les modifications des contours de métier et des rôles de chacun ne peuvent intervenir que par le dialogue entre les représentations professionnelles, et non au décours d’un quelconque projet de loi ou de modification unilatérale, sans tenir compte des impacts sur les autres professions », analyse la confédération médicale.
Développer la pharmacie clinique et la e-santé
Deux autres rapports ont été rendus publics par le CNOP. Dans le deuxième, l'ordre des pharmaciens formule 9 propositions pour développer la pharmacie clinique en France, afin de recentrer l'exercice professionnel du pharmacien autour du patient et non plus du produit. « À l’officine, les activités de pharmacie clinique formalisées se multiplient comme, à titre d’exemples, l’analyse de l’ordonnance, les entretiens pharmaceutiques, les bilans partagés de médication, le développement de la prévention, mais nécessitent encore d’être encouragées », constate l'Ordre. Il s'agit de poursuivre ces avancées en proposant de nouveaux domaines d'expertise pour la pharmacie clinique, où on retrouve notamment le droit de dispenser certains médicaments sur la base d’arbres décisionnels... Dans un troisième rapport, « Pharmacie connectée et télépharmacie », l'ordre propose 12 recommandations et douze initiatives autour de trois axes complémentaires : lancer de nouveaux services aux patients (téléconsultation, utilisation d'objets connectés, etc.), renforcer la coordination des soins (généraliser l'usage du dossier pharmaceutique), maitriser les données et les algorithmes (identité numérique en santé, application du RGPD…)
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Citer cet article: Les pharmaciens veulent-ils faire de l'ombre aux médecins ? - Medscape - 12 déc 2018.
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