
Pr Bruno Millet
France -- La série d’attentats qu’a connu la France au cours des dernières années, et en particulier, les attaques très meurtrières de Paris le 13 novembre 2018, ont mis en lumière les lacunes en matière de prise en charge du psycho-traumatisme, hors contexte militaire. Pour y remédier, deux initiatives ont vu le jour : la création d’un réseau national de prise en charge du psychotraumatisme et le lancement de l’étude Paris-MEM qui vise à tester un nouveau traitement de l’état de stress post-traumatique. Détails avec le Pr Bruno Millet (professeur de psychiatrie à la Pitié-Salpétrière, APHP, Paris), principal investigateur français de l’étude, et spécialiste du psycho-traumatisme, qui nous explique comment les attentats terroristes ont fait avancer la prise en charge des états de stress aigu et post-traumatique dans la société civile [1].
Medscape édition française : la création de 10 centres nationaux de psychotrauma coordonnés par un centre national de ressources et de résilience (CN2R) vient d’être annoncé [2]. En quoi est-ce une avancée ?
Pr Bruno Millet : Jusqu’à présent, il n’existait pas, au plan national, de centres dédiés à l'accueil des personnes en état de stress post-traumatique. Ces individus en situation de détresse, parfois de culpabilité, ne savaient pas à qui s’adresser. L’idée a donc été de créer des centres susceptibles de recevoir les victimes d’une agression ou ayant été dans une situation de risque vital ou assimilé, et ce, dans un délai court, par des personnes formées à l’écoute, qu’il s’agisse de stress aigu ou de stress post-traumatique.
Ces dix dispositifs de soin – en mesure de proposer une prise en charge globale du psychotraumatisme de victimes de tout âge et de contextes divers – s’articuleront avec des structures juridiques pour permettre aux victimes d’obtenir réparation, en lien avec des associations afin de bénéficier d’un accompagnement par des personnes ayant connu le traumatisme. Ces centres (liste dans encadré en fin d’article) seront coordonnés par un centre national de ressources et de résilience (CN2R), porté par deux spécialistes du psychotraumatisme, le Pr Guillaume Vaiva (Centre hospitalo-universitaire de Lille) et le Pr Thierry Baubet de l'hôpital Avicenne (AP-HP) [2]. Le CN2R sera en mesure de fournir une expertise clinique et universitaire majeure en provenance d’équipes très expérimentées, en articulation étroite avec les sciences humaines et sociales. Ce sera aussi un institut de veille chargé de définir les grandes orientations sur le psychotraumatisme et les moyens d'y faire face, avec également un rôle pédagogique.
Medscape édition française : de façon plus générale, comment les attentats terroristes commis en France ont-ils transformé la place du psychotraumatisme ?
Pr Bruno Millet : Le psycho-traumatisme a longtemps relevé quasi-exclusivement du champ d’expertise militaire. Nombre d’études ont été menées aux Etats-Unis chez les vétérans – dont on sait qu’environ 30% souffrent d’état de stress post-traumatique quand ils rentrent du front. Les psychiatres de l’armée française ont aussi beaucoup travaillé sur le sujet. Mais aujourd’hui, le domaine du psychotraumatisme connait un regain d’intérêt avec la vague d’attentats terroristes inédite qu’a connu la France ces dernières années qui a fortement impacté non seulement les victimes civiles mais aussi les soignants – qui n’étaient pas habitués à soigner des blessures de guerre –, tout en sachant que le psychotraumatisme concerne tout type de trauma, donc aussi les agressions du quotidien (à type de viols, violences familiales, accidents…).
Dans les états de stress post-traumatique, les personnes sont non seulement débordées, de façon réactionnelle, par ces images très prenantes de reviviscence de l’épisode traumatique, mais elles le sont durablement. Tout se passe comme si l’individu était envahi par l’intrusion de l’événement vécu, le souvenir devient prédominant dans la pensée du sujet, et se traduit par des conduites d’évitement et un cortège de manifestations neurovégétatives et anxieuses. Les expertises montrent d’ailleurs bien que les patients vont en garder des traces plusieurs mois voire plusieurs années, et de façon bien plus prégnante que le traumatisme purement physique (voir encadré ci-dessous).
Mais on peut aussi expliquer le renouveau autour du psychotraumatisme par l’avènement des neurosciences. Aujourd’hui, l’imagerie vient confirmer les données de neuropsychologie. On « voit » comment les souvenirs traumatiques s’intègrent dans la mémoire et resurgissent. Cette meilleure compréhension contribue aussi à ce regain d’intérêt.
13 nov : stress post-traumatique probable chez 54% des menacés directs
Huit à 11 mois après les attentats de novembre 2015, une enquête de santé publique post-attentats (ESPA – 13 novembre) de Santé publique France, réalisée par web-questionnaire et basée sur une participation volontaire auprès d’une population civile dont les expositions répondaient au critère A du trouble de stress post-traumatique (TSPT) tel que défini dans le DSM-5 montre [3] :
- un trouble de stress post-traumatique (TSPT) probable pour 54% des menacés directs (directement visés, blessés), 27% des témoins sur place et 21% des témoins à proximité.
- Pour les endeuillés (c’est-à-dire les personnes ayant perdu une personne qu’elles considéraient comme proche) sans autre exposition, la prévalence du TPST probable était de 54%.
- Parmi les personnes atteintes d’un TSPT probable, 46% déclaraient ne pas avoir engagé de traitement régulier avec un psychologue ou un médecin. Cette proportion était plus importante pour les témoins sur place et à proximité (63%) et pour les endeuillés non exposés directement (46%) que pour les menacés directs (33%).
Medscape édition française : les attentats ont-ils aussi modifié la prise en charge médicale à proprement parlé les personnes souffrant de psychotraumatisme ?
Pr Bruno Millet : Oui, et l’étude Paris-MEM, que je coordonne, s’intègre dans ce contexte. Les attentats ont ému beaucoup de monde, y compris notre confrère québécois, le Pr Alain Brunet, spécialiste du traumatisme à l’Université McGill de Montréal. Promoteur du concept de blocage de reconstruction mnésique par le propranolol, il a pensé qu’il intéresserait les médecins français et l’APHP et s’est adressé à nous pour mettre en place une étude à destination des personnes ayant été victimes des attentats français. La thérapie consiste à associer un médicament et la remise en exposition à l’événement traumatisant et s’attaque au phénomène de reconsolidation mnésique.
Les progrès scientifiques ont, en effet, fait apparaitre qu’un souvenir, loin d’être une construction pérenne et immuable, pouvait être modifié et notamment déchargé de sa valence émotionnelle lors du nouvel encodage qui suit sa réactivation [4]. En parallèle, des chercheurs ont montré que, de par ses propriétés noradrénergiques, le propranolol – un β-bloquant traversant la barrière hémato-encéphalique – est capable de bloquer la reconsolidation mnésique du souvenir, réactivé par la remémoration du souvenir traumatique, spécifiquement quand celui-ci a une valence émotionnelle forte.
Les cliniciens se sont emparés de ce résultat et le Pr Brunet a été le premier à étudier cet effet de blocage de la reconsolidation mnésique avec succès chez des sujets souffrant de stress post-traumatique [5]. D’où l’idée de lancer l’étude Paris-MEM, en collaboration avec l’AP-HP, pour tester cette thérapie – majoritairement chez les victimes de l’attentat de Paris, mais aussi celles de Nice, et d’autres souffrant d’états de stress post-traumatique d'origine diverse. Les 350 personnes inclues dans l’étude se sont vues proposer, soit un blocage par le propranolol, soit les traitements habituels du syndrome de stress PT, c'est-à-dire les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine ou des techniques psycho-comportementales (thérapie comportementale, sensibilisation psycho-sensorielle par EMDR).
L’objectif est de voir si comparativement, le propranolol peut-être aussi efficace que les thérapies habituelles sachant que ce traitement est de courte durée, en moyenne 6 semaines, et n'impose pas de traitement pharmacologique quotidien. Il serait donc plus facile à mettre en place, et moins cher, notamment dans les situations où l'on doit faire face à un grand nombre de victimes. Cette étude avec le propranolol dans le blocage de reconstruction mnésique constitue une première mondiale de par son ampleur. Ses résultats sont attendus en 2019.
Les dix centres régionaux coordonnés par le CN2R :
· Les établissements de l’AP-HP pour ses projets « AP-HP Nord » et « AP-HP Centre/Sud »
· le CHU de Lille
· le CHU de Dijon
· le CHU de Tours
· le CHU de Strasbourg
· le CHU de la Martinique
· les Hospices civils de Lyon
· le projet porté en commun par les trois CHU de la région Occitanie (Toulouse, Montpellier et Nîmes)
· le projet porté conjointement par le CHU de Nice et la Fondation Lenval
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Citer cet article: Psychotraumatisme : quelle prise en charge 3 ans après les attentats de Paris ? - Medscape - 13 nov 2018.
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