Barcelone, Espagne – Comment expliquer la variabilité de l’efficacité des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) ? A cette question, qui taraude les psychiatres, des chercheurs italiens apportent une possible explication.
Selon Igor Branchi et coll. (Centre des sciences du comportement et de la santé mentale, Istituto Superior di Sanità, Rome, Italie), les ISRS n’agiraient pas en soi sur l’humeur mais amplifieraient l'impact des conditions de vie/environnement sur le moral des patients souffrant d'un trouble dépressif majeur. Ainsi ceux qui vivent dans un environnement positif auraient plus de chance de connaitre une rémission de leur pathologie que ceux dont l'environnement est défavorable. Une hypothèse qui pourrait permettre, à terme, de mieux personnaliser les traitements.
Ces résultats ont été présentés lors de la 31ème édition du congrès de l'European College of Neuropsychopharmacology (ECNP 2018)[1].
Les répercussions cliniques de cette découverte sont cependant « délicates », a reconnu Igor Branchi interrogé par Medscape Medical News. Une implication possible de ce travail serait en effet « de ne pas traiter par ISRS les patients vivant dans un climat défavorable car ils pourraient ne pas en tirer de bénéfice » a-t-il expliqué. Cependant, ajoute-t-il, des études supplémentaires devraient être conduites avant que des conclusions solides ne soient tirées de l’utilisation de tel médicament à tel ou tel sous-groupe de patients.
Comprendre l'efficacité « variable et incomplète » des ISRS
Les ISRS sont le traitement de référence du trouble dépressif majeur. Néanmoins, leur efficacité est à la fois « variable et incomplète », dans la mesure où 60 à 70 % des patients n'atteignent pas la rémission et que 30 à 40% ne montrent pas de réponse significative à ce traitement.
De nombreux travaux qui ont cherché à décrypter le mécanisme d'action des ISRS dans le but d'améliorer leur efficacité ont montré que la sérotonine augmente la plasticité corticale.
Mais, il a été montré, en outre, qu’un polymorphisme génétique d'une région régulatrice du gène du transporteur de la sérotonine était susceptible d’affecter la façon dont les patients répondent à leur environnement.
Ces observations ont conduit Igor Branchi et ses collègues à émettre l'hypothèse que la plasticité neuronale liée à la sérotonine serait une « arme à double tranchant » dans la mesure où des niveaux élevés de sérotonine conduiraient à la fois à une plus grande vulnérabilité mais aussi à une plus forte capacité de guérir d'un trouble dépressif majeur.
Plus précisément, Igor Branchi a expliqué que des niveaux élevés de sérotonine augmentaient la plasticité cérébrale, favorisant la capacité à changer ses habitudes comportementales. Dans un environnement porteur, l’effet sera vertueux, alors que dans un environnement défavorable, cela pourrait conduire à une détérioration de la situation.
Autrement dit, les ISRS amplifient l'impact de l'environnement sur l'humeur, mais c'est la nature de cet environnement qui confère la direction du changement.
Après avoir travaillé sur des modèles précliniques, Igor Branchi et ses collègues ont voulu tester cette hypothèse chez des personnes dépressives.
STAR*D : environnement sociodémographique et réponse au traitement
En utilisant les données de l'étude Sequenced Treatment Alternatives to Relieve Depression (STAR*D), les chercheurs ont comparé l'efficacité relative de plusieurs traitements pour identifier des facteurs prédictifs de rémission.
STAR*D a inclus 4000 patients âgés de 18 à 75 ans avec un premier diagnostic de trouble dépressif majeur sans symptôme psychotique, un score supérieur ou égal à 14 sur l'échelle de dépression de Hamilton et un suivi pour des soins médicaux généraux et spécialisés.
Les caractéristiques sociodémographiques ont été enregistrées au début du suivi et les patients ont été évalués au cours des semaines 0, 2, 4, 6, 9 et 12 à l'aide d'un questionnaire d'auto-évaluation, le « Quick Inventory of Depressive Symptomatology - Self Report » (QIDS16-SR).
Une amélioration des symptômes a été définie comme une réduction du score QIDS16-SR d'au moins un point. Les patients stationnaires étaient sans changement de score. Une aggravation des symptômes a été définie comme une augmentation du score d'un point ou plus. Enfin, la rémission comme une réduction du score d'au moins 5 points.
Un premier résultat publié l'année dernière
Dans une première analyse, les chercheurs ont examiné les douze premières semaines de traitement avec le citalopram, en se concentrant sur les patients traités avec du citalopram 40mg/jour pendant quatre semaines puis 20 mg ou 40mg/jour pendant deux semaines. Soit un total de 357 patients traités avec la dose la plus basse entre les semaines 4 et 6, et 234 ayant reçu la dose plus élevée pendant la même période.
Publiés l'année dernière, les résultats de cette analyse préliminaire ont montré que pour les patients traités avec de faibles doses, 20mg/jour de citalopram, l'emploi, les revenus ou l'éducation n’ont pas eu d’influence sur la capacité du patient à obtenir une amélioration, une stabilisation ou encore une aggravation [2].
En revanche, tous ces facteurs ont eu un impact significatif sur le fait que les patients qui prenaient la dose quotidienne de 40 mg connaissent ou non une amélioration de leur humeur. D'un point de point quantitatif, il a été établi par les chercheurs que le chômage pouvait multiplier par 5 la capacité d’un patient à voir une amélioration de ses symptômes, que les revenus multipliaient cet impact par six tandis que le niveau d'éducation le multipliait par 37 (P<0,05 pour tous). Un effet identique a été observé quant à l’impact de l'emploi, des revenus et du niveau d'éducation sur le facteur rémission (impact X2 à X8).
Un effet dose-dépendant
Pour la présente analyse, les chercheurs ne se sont pas contenté de 591 patients mais ont élargi leur recherche aux 4000 patients de STAR*D traités pendant douze semaines avec du citalopram afin de déterminer la corrélation entre la qualité de l'environnement des patients et leur humeur.
Les résultats ont confirmé ceux de l’analyse préliminaire et montré que l'impact de l'environnement/conditions de vie sur l'humeur augmentait avec l'augmentation des doses cumulées de citalopram, avec un coefficient de corrélation r de 0,88 (P=0,0000143), ce qui est tout à fait significatif.
L'environnement n'était pas prédictif d'une rémission à la douzième semaine pour les patients avec la faible dose de citalopram (aire sous la courbe ROC 0,54), mais l’était fortement pour ceux avec la dose la plus forte (aire sous la courbe ROC 0,81).
Igor Branchi en tire des conclusions sur l'importance de l'environnement sur l'humeur et propose un nouveau cadre théorique dans lequel les facteurs biologiques et psychosociaux sont considérés comme des déterminants essentiels pour guérir d'un trouble dépressif majeur.
Selon lui, la meilleure approche consisterait à continuer à traiter les patients dont l'environnement de vie est défavorable avec des ISRS tout en leur « donnant la possibilité de mieux lui faire face, par exemple grâce à une psychothérapie ou une thérapie comportementale, ou toute autre moyen qui leur permettre de mieux affronter les difficultés ».
« La littérature montre qu'associer antidépresseurs et approches psychothérapeutiques est plus efficace que la seule prise d'antidépresseurs, » souligne-t-il.
Au final, les investigateurs indiquent que leurs travaux apportent une explication potentielle à la variabilité de l'efficacité des ISRS et pourraient conduire au développement de stratégies personnalisées.
Des données qui font sens
Invité à commenter ces résultats pour Medscape Medical News, le Dr Andreas Meyer-Lindenberg (Central Institute of Mental Health, Mannheim, Allemagne) qui coprésidait le symposium a dit que ces résultats faisaient sens d’un point de vue clinique.
Il a expliqué qu'il avait également étudié le gène du transporteur à la sérotonine et découvert qu'il jouait effectivement un rôle de médiateur de l'effet de l'environnement sur l'humeur.
Pour lui, les études ultérieures devront s'intéresser à un aspect en particulier, celui de l'arrêt des antidépresseurs, « un sujet d'actualité très discuté ces temps-ci ».
Actualités Medscape © 2018
Citer cet article: Dépression : l’effet à double tranchant des ISRS - Medscape - 31 oct 2018.
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