Atlanta, Etats-Unis -- La comorbidité fibrillation auriculaire (FA) et cancer est connue. La malignité est associée à un risque thrombotique plus important au cours de la FA. Les patients avec un antécédent de cancer diagnostiqués avec une FA sont-ils mieux suivis d’un point de vue cardiologique, bénéficient-ils d’une prescription d’anticoagulants. La spécialité du praticien intervient-elle dans cette prescription ? Quel effet sur les AVC, quel risque hémorragique ?
Etude clinique rétrospective sur 390 000 patients
C’est ce qu’ont cherché à savoir Wesley T O’Neal (Department of Medicine, Division of Cardiology, Emory University School of Medicine, Atlanta, Georgia) et ses collaborateurs dans le cadre d’une étude clinique rétrospective. Les résultats sont publiés dans le Journal of the American College of Cardiology [1].
A partir des données d’une Assurance de Santé volontaire MarketScan Commercial Claims sur la période se situant entre 2009 et 2014, les chercheurs ont inventoriés la prise en charge de patients ayant une FA (non valvulaire) récente, chez des patients ayant un cancer actif ou non. Ils ont considéré la période de 6 mois minimum avant le diagnostic de FA et regardé quelles était la spécialité des praticiens consultés et ce que ces derniers prescrivaient en termes d’anticoagulants (warfarine ou nouveaux anticoagulants oraux).
Les différentes comorbidités cardio-vasculaires ont également été analysées : l’âge, une affection cardio-vasculaire (sauf AVC) préexistante, les modalités thérapeutiques (à côté des ACO), les hospitalisations, le stade du cancer (actif ou non).
Sur les 390 000 patients (68 ans, 59% hommes) ayant une FA, 64 000 (17%) avaient un cancer (sein et prostate étant les localisations les plus fréquentes).
Patients avec FA + cancer moins suivis par un cardiologue
Les patients avec un antécédent de cancer et diagnostiqué pour une FA étaient moins susceptibles d’être suivis par un cardiologue (54%) que les patients souffrant d’une FA seule (62%), avec un risque relatif [RR] : 0,92 ; [IC95% 95% : 0,91-0,93].
Quel que soit leur praticien, les patients avec un antécédent de cancer et une FA recevaient, là encore, moins souvent un traitement anticoagulant (31%), comparés aux patients ayant une FA (35%), avec un RR 0,89 ; [IC 95% : 0,88-0,90]. Et ce, indépendamment de la localisation du cancer.
En revanche, parmi les patients avec un antécédent de cancer (n = 64016), ceux qui avait un cardiologue au moment du diagnostic avaient une fois et demie plus de chances de se voir prescrire un anticoagulant, que ceux qui n’en avaient pas, soit respectivement 37% vs 23% avec RR 1,48 ; [IC 95% : 1,45-1,52]. Et ce, indépendamment de la localisation du cancer.
Moins d’AVC chez les patients suivis par un cardiologue
Sur un suivi d’environ 1,1 an post-diagnostic, il y a eu moins d’AVC chez les patients sous anticoagulant et suivis par un cardiologue, avec un risque lié au hasard (HR) de 0,89 [IC 95% : 0,81-0,99]. Cela reste vrai quel que soit la localisation du cancer, qu’il soit actif ou non.
Les accidents hémorragiques sévères sous anticoagulant n’étaient pas plus importants sous anticoagulants quand il y avait un cancer : HR 1,04 [IC 95% : 0,95-1,13].
Dans le groupe bénéficiant d’un suivi cardiologique, les patients (plus âgés) étaient plus fréquemment hospitalisés (HR 1,30 ; [IC 95% :1,20-1,41]) pour une décompensation cardiaque et pour FA (HR 1,44 ; [IC95% : 1,34-1,55]). Le taux de conversion en rythme sinusal était plus fréquent dans le groupe de patients suivis par des cardiologues (RR 1,65 ; [IC 95% : 1,60-1,70]) comparé aux autres praticiens.
FA et cancer : une prise en charge cardiologique perfectible
Au final, cette étude rétrospective confirme que FA et cancer sont fréquemment associés puisqu’un patient sur cinq, et malgré cela les cardiologues ne semblent pas être particulièrement impliqués dans la prise en charge de ces patients.
« Cette analyse, dont les données émanent d’une Assurance volontaire, reflète la prise en charge de la FA aux USA, la présence précoce d’un cardiologue et la prescription d’un anticoagulant sont plus rares chez les patients ayant une FA et qui souffrent d’un cancer » affirment les auteurs.
La prise en charge doit être améliorée, que le praticien soit cardiologue ou non. Notamment la prescription d’anticoagulants, qui reste faible 31% (FA et cancer) vs 35% (FA). Ce pourcentage insuffisant (si l’on suit les recommandations) est surprenant pour des patients ayant un score CHA²DS²-VASc > 3 dans les deux groupes : cancer ou non. Le score HAS-BLED est pourtant à 2,4 pour les cancers, et à 1,8 dans l’autre groupe. Le type d’anticoagulant n’est pas différencié au cours de cette étude menée entre 2009 et 2014.
Consultation initiale cardiologique
Opportunément les auteurs suggèrent que « la présence d’un cardiologue auprès des patients ayant une FA et des antécédents de cancer conduit à une prescription plus importante d’anticoagulants, coïncidant avec une diminution du risque d’AVC sans augmentation du risque de saignement ».
Les cardiologues suivent des patients ayant plus de comorbidité (âge, insuffisance cardiaque, maladie vasculaire), ce qui expliquerait le nombre plus important d’hospitalisations. La conversion plus fréquente en rythme sinusal observée témoigne de la nécessaire prise en charge cardiovasculaire globale par un spécialiste (qui s’avère plus efficace) des patients ayant un cancer.
Dans un éditorial accompagnant l’article, les Drs Sean Chen et Chiara Melloni (Duke University, Caroline du Nord) : « les patients ayant une FA et un cancer à haut-risque bénéficieraient sûrement d’une consultation initiale par un cardiologue pour l’évaluation et la discussion des différentes options thérapeutiques [au sein] d’un Centre intégrant le différentes spécialités.»
Les auteurs consentent quelques limites à leur étude : les décès ne sont pas connus, ils n’ont pas pu isoler le type de FA (post opératoire, paroxystique…), le recensement des cardiologues ne s’est fait que pour une durée courte : 3 mois avant la survenue de la FA et 6 mois pendant celle-ci, l’effet à long terme serait peut-être plus significatif.
Approche interdisciplinaire
« Le traitement des patients ayant un cancer doit s’étendre au-delà de la tumeur maligne, et doit faire appel à une approche interdisciplinaire venant des oncologues, des médecins traitants et autres spécialistes » considèrent les éditorialistes.
La faible participation (et implication) des cardiologues dans cette étude peut s’expliquer par le fait que la période d’observation choisie (entre 2009 et 2014) est antérieure à la publication de recommandations [3]. La spécialité cardio-oncologie a évolué depuis, de nouveaux traitements anticancéreux ont également émergé…
De ce côté-ci de l’Atlantique, des initiatives sont mises en place. Ainsi un concile de cardio-oncologie a été instauré par la Société Européenne de Cardiologie lors du congrès 2018 à Munich, reflétant l’intérêt croissant des sociétés savantes – du moins cardiologiques – pour la prévention, le suivi de ces patients [4].
Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêts en rapport avec leur étude. Le Dr Chen déclare qu’il n’a pas de conflit d’intérêt avec la rédaction de l’éditorial. Le dr Melloni rapporte des subsides de recherche de la part de Amgen, AstraZeneca, Bristol-Myers Squibb, Ferring Pharmaceuticals, GlaxoSmithKline, Luitpold Pharmaceuticals, Merck, Roche Group, Sanofi, St. Jude Medical, et NICHD. |
Cardiotoxicité des anticancereux : quels messages pour l’oncologue et le cardiologue?
Cardiotoxicité des anticancéreux : spécificités en fonction des produits
Cas clinique : détresse respiratoire chez une femme traitée par trastuzumab
Surveillance cardiovasculaire des patients sous chimiothérapie ?
Cancer du sein: Peut-on prévenir la cardiotoxicité des chimiothérapies?
Actualités Medscape © 2018 WebMD, LLC
Citer cet article: Patients avec FA et antécédent de cancer : l'apport du cardiologue - Medscape - 2 nov 2018.
Commenter