Pau, France — La moindre cigarette pendant la grossesse est nocive pour le fœtus. Pourtant, les effets du tabagisme pendant cette période ont tendance à être banalisés. Au cours d’une intervention au congrès Infogyn 2018, Cathy Meier (CH de Pau), sage-femme et tabacologue, est revenue sur les particularités du sevrage tabagique chez la femme enceinte [1].
Encore trop de femmes fumeuses se contentent de réduire leur consommation de tabac pendant la grossesse, plutôt que de la stopper complètement. Selon les résultats de la dernière enquête nationale périnatale, près de 17% des femmes enceintes fumaient au moins une cigarette par jour en 2016 pendant le dernier trimestre de grossesse [2]. Quasiment autant qu’en 2010.
Preuve que la prévention du tabagisme chez la femme enceinte est encore trop négligée : plus de la moitié des fumeuses interrogées pour cette enquête disent n’avoir reçu aucun conseil durant leur grossesse pour diminuer leur consommation. « Le tabac est pourtant le premier risque évitable de mortalité et de morbidité pour la grossesse », a rappelé la tabacologue.
Moment privilégié pour arrêter de fumer, mais beaucoup n’y arrivent pas
Les effets du tabac pendant la grossesse ont aussi tendance à être banalisés. « Certains pensent encore qu’il vaut mieux fumer quelques cigarettes, plutôt que d’être stressée pendant la grossesse ». Or, il suffit d’une cigarette pour entrainer notamment une hypoxie chez le fœtus, sous l’effet du monoxyde carbone, et une accélération de son rythme cardiaque.
Argument majeur pour éloigner les femmes de la cigarette: l’arrêt du tabac a un bénéfice immédiat, pour la mère et l’enfant, quel que soit le terme. « Après 8 heures d’arrêt, le risque de mort fœtale est réduit. Au bout de deux jours, l’oxygénation du fœtus se normalise, tout comme la glycémie. La mère peut alors sentir que le bébé bouge davantage ».
Pour réduire les risques et s’assurer du bon développement de l’enfant, il convient d’arrêter de fumer au plus tôt, « idéalement avant la grossesse ». Selon une conférence de consensus, « le message à délivrer par les professionnels de santé est celui d’un arrêt complet du tabac. Ce message doit être clair et univoque ». Sans culpabiliser les femmes.
Si cette période est généralement perçue comme un moment privilégié pour arrêter de fumer, « beaucoup n’y arrivent pas, ce qui génère une culpabilité, renforce l’anxiété », et contribue ainsi à maintenir le besoin de fumer, a précisé la praticienne. Un accompagnement adapté est donc à mettre en place pour ces femmes.
60% de rechute après l’accouchement
Première particularité : le test de Fagerström habituellement utilisé pour évaluer le niveau de dépendance n’est pas adapté pendant la grossesse. « Une fois enceintes, les femmes vont spontanément fumer moins de cigarette. Et, le délai entre le réveil et la première cigarette, autre critère du test, va être retardé à cause des nausées ».
Il est donc nécessaire d’évaluer la consommation de tabac avant la grossesse et d’aborder régulièrement le sujet. « Souvent, au premier examen, certaines patientes affirment qu’elles ne fument pas, sans préciser qu’elles ont arrêté de fumer ». Or, le risque de rechute est élevé, en particulier en fin de premier trimestre « du fait des modifications hormonales » et le dernier mois avec le stress de l’accouchement.
Selon la conférence de consensus, la prise en charge doit d’abord s’appuyer sur la thérapie comportementale cognitive (TCC), basée sur une approche stratégique, avec des objectifs à atteindre et une coopération entre le praticien et la patiente. La méthode permet aussi au tabacologue de structurer sa pratique.
Pour obtenir les meilleures chances de succès, l’accompagnement doit s’appuyer sur une relation non culpabilisante, basée sur l’empathie. « L’objectif est aussi de faire évoluer la motivation, pour qu’elle soit perçue comme étant dans l’intérêt de l’enfant, mais aussi de la mère ». Le taux de reprise du tabac est, en effet, de 60% après l’accouchement.
Privilégier les patchs de nicotine
La tabacologue rappelle également qu’il est important de prendre en charge un éventuel syndrome anxio-dépressif, « souvent corrélé au maintien du tabagisme pendant la grossesse », ce qui permet également de limiter l’impact de ce syndrome après l’accouchement.
Le profil des femmes qui continuent ainsi de fumer est aussi à prendre en compte. « Il s’agit souvent de femmes jeunes, plus précaires, qui peuvent avoir une mauvaise estime de soi. Pour favoriser l’arrêt du tabac, on peut donc travailler sur la confiance, choisir de réduire progressivement la consommation de cigarettes, tout en les mettant sous substitut ».
Si, malgré ce soutien, quand la patiente n’arrive pas à arrêter le tabac d’elle-même, les substituts nicotiniques peuvent, en effet, être prescrits. « Contrairement aux idées reçues, ils ne sont pas contre-indiqués pendant la grossesse. Il ne faut pas hésiter à y avoir recours sur une longue période, pendant toute la grossesse si besoin, sans forcément réduire les doses ».
Les substituts ont, en effet, l’AMM pour une utilisation chez les femmes enceintes, malgré la présence de pictogramme sur les emballages signalant un danger en cas de grossesse. « Il vaut mieux absorber de la nicotine plutôt que les 7000 substances répertoriées dans une cigarette », a souligné la tabacologue, qui a précisé que ce pictogramme, source de confusion, pourrait être prochainement retiré.
La cigarette électronique déconseillée
Parmi les différents substituts disponibles, il est préférable d’utiliser les patchs de 16 heures. Ceux de 24 heures peuvent néanmoins être envisagés chez celles qui fument dès le réveil. « On peut aussi augmenter les doses en fonction des signes cliniques. Plusieurs patchs peuvent même être utilisés en même temps », a précisé Cathy Meier.
En ce qui concerne les pastilles et les gommes à mâcher, elles sont souvent moins bien tolérées à cause de leur saveur. Elles sont conseillées en complément des patchs pour éviter les envies soudaines de fumer. L’inhaleur de nicotine peut aussi être proposé. Le spray oral est, en revanche, déconseillé en raison d’une saveur trop prononcée.
De même, la cigarette électronique n’est pas recommandée, même si son utilisation semble moins nocive qu’une poursuite du tabagisme chez les femmes les plus dépendantes. « Pour le moment, nous n’avons aucune idée de son effet sur le déroulement de la grossesse », a déclaré le Pr Daniel Thomas (Hôpital de la Pitié-Salpétrière, AP-HP, Paris), modérateur de la session, lors d’un échange avec le public.
Enfin, l’intervenante a évoqué l’intérêt, en terme pédagogique, du test respiratoire pour déterminer le taux de monoxyde de carbone. « Même si elles continuent de fumer, les femmes prenant des substituts peuvent ainsi constater les progrès et se motiver à arrêter complètement ».
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Citer cet article: Sevrage tabagique pendant la grossesse : une prise en charge spécifique - Medscape - 30 oct 2018.
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