Actualisation -- Les députés ont finalement rejeté en séance publique un amendement adopté en commission des affaires sociales visant à autoriser les prescriptions expérimentales par des pharmaciens (évoqué dans la deuxième partie de l’article ci-dessous). L’amendement avait suscité une levée de boucliers des syndicats médicaux. In fine, les députés, qui se sont ralliés à l’avis des médecins, ont préféré relancer l’expérimentation du pharmacien correspondant. Ce pharmacien a autorité pour renouveler le traitement de certains patients, au vu du bilan de médication.
France/24 octobre -- L'inquiétude gagne les rangs de la médecine libérale. Tour à tour, la commission des affaires sociales a adopté des amendements au projet de loi de financement de la sécurité sociale 2019, l’un concernant le désengorgement des urgences et l’autre la prescription de médicaments par les pharmacies d’officine, qui ont vivement fait réagir les syndicats de médecins libéraux mais aussi les représentants des cliniques.
Urgences : réorienter les patients ou pas
Ainsi, sur proposition du rapporteur Olivier Véran, une nouvelle prestation facturée vient d'être introduite en faveur des établissements de santé. Objectif : désengorger les urgences hospitalières. Selon cet amendement, lorsqu'un établissement de santé réorientera un patient des urgences vers la médecine de ville, il pourra percevoir une rémunération. Comme pour justifier cette mesure législative, Olivier Véran, dans l'exposé sommaire de cet amendement, rappelle qu' « une enquête de la DREES sur l’activité des services d’urgence, a montré que 28,4 % des patients auraient pu être prise en charge par un médecin généraliste le jour même ou le lendemain sans nécessiter d’examens complémentaires ».
Cette mesure vise à inciter les établissements de santé à réorienter, plutôt qu'à prendre en charge cette bobologie qui encombre les couloirs des urgences. Cette mesure avait été suggérée le 10 octobre dernier par la ministre de la Santé elle-même. À noter que le législateur laisse toute latitude au patient de choisir s'il souhaite être réorienté, ou non. En cas de refus de réorientation, il sera pris en charge aux urgences, moyennant le prix d'une consultation. Pour la confédération des syndicats médicaux français (CSMF), cette mesure est « une bien curieuse idée, digne du pays d'Ubu ! La collectivité va financer une structure hospitalière pour qu'elle ne soigne pas complètement un patient ! » La confédération médicale propose plutôt la création d'un forfait pour la prise en charge d'un patient en urgence de ville.
FHP en désaccord
La fédération de l'hospitalisation privée (FHP) a également exprimé son désaccord vis-à-vis de cet amendement. « On va donner de l'argent pour ne pas soigner. C’est la négation de l’engagement médical. Cette prime pour ne pas accueillir les patients va à l’encontre des valeurs de la profession », a notamment déclaré Lamine Gharbi, président de la FHP. Qui plus est, dans de nombreux territoires, la permanence des soins libéraux ne permet pas de prendre en charge d'autres patients. En guise d'alternative, la FHP a proposé la création de centres de premier recours, avec biologie et imagerie médicale. Aussi, « un autre moyen de désengorger les urgences est de mieux s’appuyer sur les urgences privées. Les hôpitaux et cliniques privés disposent de 124 services d’urgences partout en France, accueillant sans dépassements d’honoraires 2,6 millions de patients chaque année. Nous pourrions en accueillir le double », a ajouté Lamine Gharbi, dans un communiqué.
Prescription par les pharmaciens
Autre amendement adopté qui donne des sueurs froides à la médecine de ville : celui concernant une expérimentation de prescription par les pharmaciens. Celui-ci prévoit qu'à compter du 1er janvier 2019, pour une durée de trois ans et à titre expérimental, les pharmaciens seront autorisés à prescrire des médicaments à prescription médicale obligatoire dans deux régions. Les détails de ces expérimentations seront fixés dans un prochain cahier des charges visé par le ministère des solidarités et de la santé. « Les pharmaciens d’officine doivent pouvoir dispenser certains médicaments à prescription médicale obligatoire dans le cadre d’un protocole conclu avec le médecin traitant et/ou les communautés de santé des structures d’exercice coordonnées », stipule l'exposé de cet amendement.
Cette mesure s'inscrit, selon les députés qui l'ont proposé, dans le cadre de la coopération entre professionnels de santé promue dans les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Les députés s'inspirent de l'exemple suisse : « En mars 2018, 20 % des officines suisses proposaient ce service aux patients. Plusieurs pathologies ont été identifiées comme la cystite, la conjonctivite ou l’eczéma par exemple. Des arbres de décisions ont été définis pour harmoniser la qualité et la sécurité de la dispensation de ces médicaments par le pharmacien d’officine », se justifient-ils.
Là encore, la CSMF a réagi bruyamment. Pour le syndicat médical, « il s’agit là d’une remise en cause complète des contours de métier : cela revient à donner au pharmacien la responsabilité d’un diagnostic médical et d’une prescription de médicaments habituellement prescrits par le médecin », argumente-t-il. Pour la CSMF, cet amendement risque de provoquer plus de désordre que de coordination parmi les professionnels de santé. Le PLFSS 2019, actuellement examiné en commission des affaires sociales, devrait être amendé en première lecture à l'Assemblée nationale en séance publique entre le 23 octobre et le 30 octobre 2018, avant d'être renvoyé au Sénat pour sa première lecture. Il devrait être adopté avant la fin de l'année.
L’hospitalisation privée est-elle l'avenir des services d’urgence ?
PLFSS 2019 : le financement est-il à la hauteur des ambitions du plan "MaSanté 2022" ?
Réorganisation de la médecine de ville : la France à la traine, selon la Cour des Comptes
Proposer des structures alternatives pour les «urgences» peu graves : quel impact ?
Actualités Medscape © 2018 WebMD, LLC
Citer cet article: Urgences/pharmaciens prescripteurs : 2 amendements à l’encontre de la médecine libérale ? - Medscape - 30 oct 2018.
Commenter