Nancy, France — Mise en place depuis de nombreuses années dans certains pays notamment anglo-saxons, l’intervention précoce en santé mentale se fraye un chemin en France. Si ce mode de prise en charge – qui consiste en un suivi très intensif et très en amont auprès d’adolescents et de jeunes adultes – a pour premier objectif de rattraper le retard d’accès aux soins, on sait désormais qu’il permet aussi de prévenir la survenue de cas de psychose, tout en maintenant les jeunes dans la cité. Et c’est une bonne nouvelle.

Pr Vincent Laprévote
En quoi consiste exactement cette stratégie de prise en charge innovante qui a fait ses preuves en Australie, et est souvent citée comme exemple de modèle de prévention réussie en santé mentale ? Explications du Pr Vincent Laprévote, psychiatre (Centre Psychothérapique de Nancy) et responsable du CLIP, Centre de Liaison et d’Intervention Précoce des psychoses qui a ouvert ses portes en mars 2017, à Nancy.
Medscape édition française : Quels constats ont conduit à mettre en place cette stratégie d’intervention précoce pour les psychoses ?
Pr Vincent Laprévote : Aujourd’hui, les troubles psychotiques, comme la schizophrénie, sont diagnostiqués trop tardivement avec 1 à 2 de retard pour les symptômes les plus bruyants, mais près de 3 à 5 ans après la survenue de signes plus discrets, mais tout de même handicapants, décrits dans la littérature et bien connus des familles (voir encadré). Ce retard constitue une vraie perte de chance pour les patients car ces premiers signes de la maladie – qui va bien souvent, au final, impacter toute la vie – arrivent en fin d’adolescence ou chez l’adulte jeune, alors que l’on construit sa vie professionnelle, affective, etc. Si le système psychiatrique actuel permet de répondre à une maladie déjà constituée, il est en revanche mal adapté pour permettre une intervention fine et précoce auprès d’une population jeune.
Medscape édition française : Qui est à l’origine de ce nouveau mode de prise en charge et quel est sa spécificité ?
Pr Vincent Laprévote : Un certain nombre de pays, comme le Canada, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, ou l’Australie ont mis en place des expérimentations ayant pour but de rattraper ce retard au diagnostic et à l’accès aux soins. La Suisse aussi. Pour ma part, je suis allé me former à Bâle et auprès d’une équipe canadienne au « case management » avant de créer le Centre de Liaison et d’Intervention Précoce des psychoses (CLIP) à Nancy. Dans ce type de prise en charge, qui revient à faire un suivi intensif au sein de la cité, l’intervention n’est pas centrée sur le médecin mais sur autre type d’intervenant, qui peut être un infirmier, un psychologue, un ergothérapeute ou un travailleur social, selon les systèmes. C’est lui le fil rouge de la prise en charge, la personne de référence. Il doit très disponible ce qui suppose une file active très limitée de 10 à 30 personnes. L’idée est que cet intervenant soit hyper réactif et pro-actif, pour, dès que le patient le nécessite, s’il ne répond plus par exemple, le « tirer par la manche » par tous les moyens actuels de communication (mails, SMS,…) afin de le ramener dans le système. Et ce, à tous les instants, et notamment les plus critiques.
Medscape édition française : Comment fonctionne le CLIP à Nancy ?
Pr Vincent Laprévote : A Nancy, le CLIP – et c’est unique – est situé dans une Maison des Adolescents, au centre-ville. Il accueille des jeunes de 16 à 25 ans présentant des symptômes susceptibles d’alerter sur un risque potentiel de psychose ou présentant un épisode psychotique constitué. Il est intéressant de voir que la plupart viennent assez facilement d’eux-mêmes ou sont adressés par leur famille, sans passer par un intermédiaire (MG, urgences psychiatriques,…). Pour les délais, hors de question qu’ils attendent 1 à 2 mois avant d’avoir un rendez-vous, le contact téléphonique doit se faire en moins de 72 heures et le rendez-vous physique avoir lieu dans l’intervalle d’une semaine. Puis, l’intervenant de référence – à Nancy, un infirmier – passe le relai à un psychologue et à un psychiatre si nécessaire. Nous procédons alors à une évaluation très précise de la situation clinique avant de nous réunir en équipe pluridisciplinaire pour décider de la prise en charge.

Medscape édition française : Justement, quelle prise en charge thérapeutique proposez-vous ?
Pr Vincent Laprévote : Celle qui est la plus adaptée possible. La démarche est essentiellement comportementale et basée sur de la psycho-éducation, des techniques de gestion du stress, de la remédiation cognitive et des thérapies cognitivo-comportementales. Le traitement médicamenteux n’est souvent pas prioritaire à ce stade, la prise en charge est essentiellement centrée sur l’accompagnement et consiste à donner au jeune des ressources, des compétences. En revanche, si les troubles psychotiques sont déjà avérés, les médicaments sont, bien sûr, indispensables.
Medscape édition française : Quelles sont les bénéfices cliniques et économiques de ce suivi intensif ?
Pr Vincent Laprévote : Certains pays disposent d’un recul de 15 à 20 ans et des études récentes montrent des résultats vraiment porteurs d’espoir et presque inespérés. Alors que l’on voit ces maladies comme inexorables, il a été montré dans une méta-analyse que l’intervention précoce permet une réduction du risque de transition vers la psychose de 64% à 6 mois et de 59% à 18 mois [1]. Tandis qu’une autre étude a montré que l’on divisait la mortalité par 4 en l’espace de deux ans chez des patients ayant connu un premier épisode de psychose et bénéficiant de ce type de suivi. De plus, outre l’amélioration des symptômes et du pronostic, le case management est un système de prise en charge efficient d’un point de vue médico-économique. Car s’il peut paraitre coûteux au premier abord, il peut faire économiser jusqu’à près de 5000 euros par mois et par jeune, essentiellement en diminuant les coûts d’hospitalisation [3]. Aujourd’hui, il existe quelques centres d’intervention précoce en France, notamment à Paris, Caen et Dijon mais il faut désormais envisager une structuration sur le plan national, de façon à travailler avec le même cadre de références.
Les signes/anomalies très précoces qui doivent alerter
Quand un ado ou un jeune adulte exprime ou donne l’impression de ne pas être dans la même réalité que d’habitude, d’être dans un film, ressent des sensations étranges, des anomalies sensorielles (a l’impression par exemple d’être souvent appelé par son prénom), présente des difficultés à différencier le réel de l’imaginaire, connait des moments sub-délirants (des phases de persécution). Quand tous ces symptômes apparaissent et qu’ils sont en rupture avec le comportement habituel, entrainant une rupture scolaire par exemple, il faut y prêter attention et ne pas hésiter à en parler et à consulter. « Mieux vaut venir pour rien que ne pas venir du tout » résume le psychiatre nancéen.
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Citer cet article: Santé mentale : promouvoir l’intervention précoce, à l’instar du CLIP à Nancy - Medscape - 19 oct 2018.
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