Enregistré le 22 octobre 2018, à Munich, Allemagne
Les Drs Ray-Coquard, Kalbacher et Rodrigues discutent des changements de pratiques attendus suite aux résultats exceptionnels de l’essai SOLO1 dans le cancer de l’ovaire[1,2].
TRANSCRIPTION
Elsa Kalbacher — L’étude SOLO-1 a été réalisée chez les patientes en première ligne mutées BRCA au niveau somatique ou constitutionnel – ce qui comprend, donc, les séreux et les endométroïdes, avec une randomisation 2:1, avec 290 patientes traitées par olaparib, 130 par placebo.
Manuel Rodrigues — Et ce n’était que des patientes BRCA à partir d’une population de BRCA, c’est ça ?
Elsa Kalbacher — Oui.
Manuel Rodrigues — Et c’était en maintenance, après la chimio ?
Elsa Kalbacher — En maintenance après la chimiothérapie. C’était soit des stades 3/4, soit des patientes qui avaient eu une chirurgie première (70%), soit des patientes avec une chirurgie intervallaire. Et des patientes, quand même, à haut risque de récidive. Et ces patientes-là, mutées, ont eu des réponses époustouflantes, puisque la PFS médiane dans le bras olaparib n’a pas été atteinte, alors qu’elle l’a été dans le bras placebo et que, du coup, on a un hazard ratio sur la PFS, qui était l’objectif primaire, à 0,30 — des chiffres comme on voudrait avoir tout le temps — et avec une PFS à trois ans à 60 % versus une PFS à trois ans de 25 % dans le groupe placebo, on va révolutionner véritablement nos pratiques.
Manuel Rodrigues — Et en fait, les patientes dans le groupe placebo, si je me souviens bien, ont rechuté à peu près un an après, pour la moitié d’entre elles, et dans le groupe traitement on est à plus de 48 mois — on gagne plus de trois ans. C’est ce que disait la présentatrice de l’essai et, donc, on gagnait plus de trois ans sans rechute de son cancer.
Elsa Kalbacher — Voilà. Donc, il y a cet objectif de PFS et les objectifs secondaires aussi, qui était le temps jusqu’au second traitement ou le temps, bien sûr, jusqu’au décès. Et là, pareil, aussi : on a des temps au second traitement qui est de 48 mois dans le groupe olaparib. Ce qu’on a oublié, aussi, de mentionner, c’est que les patientes étaient traitées pendant deux ans. Il pouvait y avoir un cross-over dans le bras placebo, mais elles étaient traitées, du coup, pendant deux ans.
Manuel Rodrigues — Et au bout de deux ans, voit-on justement, plus de rechutes arriver ?
Elsa Kalbacher — Et bien, justement, non, puisque le temps jusqu’à second traitement nous montre qu’il y a encore ce bénéfice. Concernant la tolérance : c’est un médicament qui est bien toléré – la tolérance est surtout hématologique avec des nausées, mais le traitement est relativement bien toléré, avec des études de qualité de vie qui montrent qu’il n’y a pas d’effets délétères sur la qualité de vie cliniquement significatifs.
Manuel Rodrigues — Ce qui est intéressant, aussi, on ne voit pas souvent ça en oncologie, c’est que le hazard ratio du bénéfice est le même, finalement, à la rechute qu’en première ligne et, donc, c’est quelque chose qu’on n’espérait que dans le meilleur des cas.
Elsa Kalbacher — Exactement. Du coup, on se dit que ces patientes-là, on va peut-être pouvoir dire qu’elles sont guéries, chose que dans le cancer de l’ovaire on avait, jusque-là, un petit peu du mal à dire.
Manuel Rodrigues — Alors, il y a des implications pratico-pratiques de cette étude, il y a des implications en termes de prise en charge des patientes, de parcours pour le BRCA, parce qu’on ne l’a pas toujours, à l’heure actuelle. En France, on est bon, mais on ne l’a pas encore toujours. Il y a des implications en termes thérapeutiques. En termes de parcours BRCA — qu’est-ce que vous recommandez, maintenant, pour la prise en charge des patientes, avec cette révolution ?
Isabelle Ray Coquard — Je vois trois implications majeures et deux extrêmement rapides — une à moyen terme. Effectivement, le bénéfice est très important. Vous mentionnez la PFS ou temps au traitement suivant : il y a eu 35 % de cross-over et, pour autant, notre ratio reste le même, donc on est sur un programme qui donne un signal qu’il faut changer nos pratiques.
Changer ses pratiques, dans cette étude, nous impose deux circuits importants : le premier, c’est que toutes les patientes qui ont un cancer de l’ovaire séreux de haut grade aient accès un testing de BRCA avec un résultat dans les quatre semaines qui suivent le diagnostic, pour qu’on puisse ajuster notre traitement. Pourquoi ? Parce que dans les stades avancés, qui étaient les patientes de l’étude SOLO-1, notre bras standard pour la plupart des pays européens, c’est une combinaison de chimiothérapie et de bévacizumab. Donc, il va y avoir une option qu’il va falloir choisir, pour l’instant — donc l’étude PAOLA-1 n’est pas disponible — et pour choisir, il faut qu’on ait l’information. Donc, le testing moléculaire germinal et/ou somatique doit être disponible aujourd’hui pour les patientes — et j’engage les plateformes à se mettre en ordre de marche pour qu’on puisse satisfaire et la demande dans les centres qui ont l’habitude de gérer ça, mais aussi pour les centres qui n’ont pas cette plateforme à leur disposition.
L’autre point, c’est l’accès aux médicaments dans le cadre d’un accès rapide. En effet, au mieux, l’AMM sera disponible en juin 2019. Mais, d’ici juin, on veut que les bonnes patientes aient accès aux médicaments… Pourquoi ? Parce qu’il y a celles qui n’auraient pas pu être testées, qui n’auraient pas accès au médicament, et puis, il y a celles qui, n’étant pas testées, le médicament étant disponible en pharmacie pour la rechute, on peut imaginer quelques déviations qui ne seraient pas forcément bonnes, aujourd’hui. Donc, il faut qu’on se tourne vers l’Institut du cancer et nos autorités pour qu’ils nous donnent le meilleur système d’organisation pour que les patientes identifiées BRCA aient accès au médicament le plus rapidement possible.
La troisième implication, c’est que des résultats aussi exceptionnels doivent nous faire considérer l’ensemble des patientes séreux de haut grade comme étant potentiellement une population qui a aussi un bénéfice, puisqu’on l’a montré en sensible. Et ça, c’est l’étude PAOLA qui nous le montrera. J’espère que nous aurons les résultats à la fin de l’année 2019. Bien évidemment, on est dépendant du nombre d’événements, donc c’est un souhait, parce qu’on a envie d’avoir vite les résultats, mais dans la réalité, ça ne sera peut-être pas avant 2020. Et il a aussi l’étude PRIMA avec le niraparib qui, en monothérapie et non pas en combinaison avec le bévacizumab, sera aussi disponible probablement en 2020 ou en 2021 pour nous donner cette information.
Manuel Rodrigues — Oui. En fait, on est en train de vivre presque ce qui s’est passé avec l’HER-2, c’est-à-dire que peut-être que demain, pour le cancer de l’ovaire, on exigera d’avoir le statut BRCA aussi vite qu’on avait le statut HER-2 des cancers du sein pour prendre une décision sur le traitement adjuvant.
Isabelle Ray Coquard — La réponse, aujourd’hui, c’est ça, tu as raison. Ou je vais être un peu plus provocante, c’est si on montre que all comers les PARP rendent service, on aura besoin de l’info, parce qu’on sait que l’amplitude, ce n’est probablement pas la même, mais on sera moins gêné dans l’information qu’on ne l’est aujourd’hui. Là, aujourd’hui, effectivement, il faut qu’on ait des résultats comme HER-2, comme les récepteurs hormonaux, je suis d’accord avec toi.
Manuel Rodrigues — Une dernière question : finalement, ça va aussi poser la question de la vision que l’on a du cancer de l’ovaire — actuellement, on a la vision première ligne, puis rechute platine -sensible à six mois ou platine-résistante. Étant donné que les mécanismes de résistance aux platines et aux PARP-inhibiteurs sont très proches, voire identiques, on va se poser ce genre de question-là. D’où une question basique, qui est de savoir : une patiente qui a progressé après avoir reçu de l’olaparib, est-ce qu’il faut lui redonner l’olaparib à la rechute ? Est-ce qu’on a des idées pour répondre à cette question, des pistes ?
Isabelle Ray Coquard — Tu soulèves deux points : la résistance croisée, qui n’est pas si évidente que ça, puisque les mutations de réversion de BRCA qui ont montré une résistance aux inhibiteurs de PARP, on l’a bien vu dans ARIEL 2 . On est en train de regarder, justement, si, derrière, ces patientes n’ont quand même pas répondu aux platines, parce qu’on a l’impression que ce n’est pas si évident. Donc ça, c’est une question qui n’est pas résolue.
Et PARP après PARP, qui est la deuxième question que tu posais — il y a un essai qui existe, actuellement, qui s’appelle OReO , qui pose cette question-là pour des patientes qui répondraient à nouveau à un platine. C’est-à-dire qu’elles ont eu un bénéfice des PARP, à un moment donné elles échappent, on les rechallenge avec un platine — peut-être qu’on détruit des clones résistants BRCA — et, du coup, on pose la question de réintroduire un platine. L’étude est en cours, elle recrute, donc on aura l’information d’ici quelque temps.
Elsa Kalbacher — Et puis, il y a la question, aussi, des patientes qui n’ont pas de mutation BRCA, mais qui ont une mutation sur les mécanismes de recombinaison homologue où, là…
Isabelle Ray Coquard — Type RAD51…
Elsa Kalbacher — Voilà. Ou, là aussi, pour ces patientes-là, on attend PAOLA.
Manuel Rodrigues — Très bien. Eh bien, merci à vous deux pour cet entretien et à bientôt sur le site de Medscape.
EMA : 2 nouvelles AMM et 2 extensions d’indication en oncologie en mars
Cancer de l’ovaire : la FDA autorise l’anti-PARP niraparib en traitement de maintenance
Cancer de l’ovaire avancé : le niraparip devrait s’imposer après le platine
Cancer de l'ovaire: des avancées majeures dans le traitement et le testing
© 2018 WebMD, LLC
Citer cet article: Résultats exceptionnels de l'olaparib dans le cancer de l'ovaire : quel sera l'impact sur la pratique ? - Medscape - 24 oct 2018.
Commenter