Enregistré le 22 octobre 2018, à Munich, Allemagne
Les résultats de 3 études – IMpassion130, SOLAR-1 et PALOMA-3 – constituent des avancées majeures qui pourraient changer les pratiques, selon le Dr Delaloge. L’occasion également pour le Dr Amant de rappeler les risques de l’utilisation des traitements anti-cancereux pendant la grossesse, avec notament le trastuzumab.
TRANSCRIPTION
Suzette Delaloge — Bonjour, je suis Suzette Delaloge, oncologue médicale à Gustave Roussy, et nous sommes en direct du congrès de l’ESMO 2018, à Munich, en ce beau mois d’octobre, et nous voulons vous donner, avec Frédéric Amant, qui est oncologue médical et travaille à la fois à Louvain et aux NKI, à Amsterdam, quelques nouvelles des sessions sur le cancer du sein.
On ne peut pas tout résumer en 10 minutes, mais il y a quelques messages que nous voulons vous faire passer, des choses vraiment importantes qui se sont passées à cet ESMO. Dans le cancer du sein, pour moi, il y a trois grandes avancées qui peuvent changer les pratiques très rapidement et qui sont surtout des messages d’espoir majeur pour certaines d’entre elles.
Étude IMpassion130 : immunothérapie dans le cancer du sein métastatique triple négatif
La première, je pense que vous serez d’accord, c’est l’étude IMpassion 130. C’est la première fois qu’on a une potentielle avancée aussi importante dans le cancer du sein triple négatif depuis des années. Parce qu’on sait qu’on n’a pas changé l’espérance de vie de femmes qui sont atteintes de cancer du sein triple négatif depuis 20 ans… IMpassion 130 est une étude en première ligne chez des femmes qui avaient une rechute de cancer triple négatif — ce qu’on appelle sensible, c’est-à-dire à plus d’un an de la fin des taxols — qui étaient randomisées pour du nab-paclitaxel avec un placebo versus nab-paclitaxel avec de l’atézolizumab, qui est un inhibiteur de PDL-1. L’objectif principal était la survie sans progression, mais de façon intéressante, il y avait des objectifs secondaires et l’alpha était réparti entre certains d’entre eux, en particulier dans le sous-groupe PDL-1 positif. Donc, on a à peu près 40 % des femmes qui ont un PDL-1 positif, avec un cut-off qui est un PDL-1 1 % sur les cellules immunitaires, c’est un peu particulier…
L’objectif principal est atteint, il y a une différence de survie sans progression, mais elle n’est pas énorme : on passe de cinq à sept mois. Mais par contre, ce qui est très intéressant, c’est la survie globale dans le sous-groupe PDL-1 positif, où on a un gain de 10 mois de survie globale, c’est incroyable…
Frédéric Amant — Incroyable, oui.
Suzette Delaloge — La seule chose, c’est qu’il n’y avait plus d’alpha pour cette partie-là, donc c’est encore, en quelque sorte, une preuve de concept sans une vraie réalité statistique, mais on a vraiment l’impression qu’il se passe quelque chose. Il y a d’autres études derrière qui vont être capables d’avancer dans cette démonstration.
Frédéric Amant — Et ça va déjà influencer la pratique clinique ?
Suzette Delaloge — Alors, je pense qu’il peut y avoir assez rapidement des ATU, une demande d’AMM sur ce médicament. Évidemment, là, on n’a pas accès à des anti PDL-1 dans le cancer du sein triple négatif…
Frédéric Amant —… mais ça peut changer.
Suzette Delaloge — … mais c’est quelque chose qui va réellement changer dans les années qui viennent. Je pense que c’est un vrai espoir.
L’étude SOLAR-1 : l’alpelisib dans les cancers RH+/HER-2
Suzette Delaloge — La deuxième étude pour moi est l’étude SOLAR-1, qui a été présentée par Fabrice André. C’est une étude en deuxième ligne, donc on n’est pas du tout dans la même situation. Ce sont des cancers luminaux, donc RH+/HER-2 – deuxième ligne d’hormonothérapie – avec résistance aux anti-aromatases. Et en fait, les femmes recevaient soient du fulvestrant avec un placebo, soit fulvestrant plus alpelisib — une partie d’entre elles avait reçu un anti-CDK-4, pas beaucoup mais il y en a quand même. Et résultat majeur : il y a un bénéfice majeur de l’ajout de l’alpelisib, qui est un inhibiteur de PI 3-kinase, dans le groupe avec mutations de PI 3-kinase, donc des mutations activatrices bien documentées. On a pratiquement un doublement de la survie sans progression : on passe de 5,6 à 11,… mois. Donc quand même un gros bénéfice, et une très bonne preuve de concept, puisqu’en fait, chez les femmes qui n’ont pas de mutations PI 3-kinase, il n’y a aucun bénéfice.
Frédéric Amant — Oui. Et la mutation, on la détecte par immunohistochimie ou c’est un test plus élaboré ?
Suzette Delaloge — En fait, c’est une recherche de mutations par le séquençage de l’ADN, qui peut être une recherche ponctuelle ou qui peut être faite dans le cadre d’un panel…Donc là, on est sur deux mutations hotspot activatrices qui sont vraiment deux points très particuliers […].
Frédéric Amant — C’est très intéressant. Et là aussi, est-ce que cela va déjà influencer la clinique? Parce que ce sera la question pour demain…
Suzette Delaloge — Évidemment, je pense qu’il va y avoir très clairement une demande d’AMM de l’alpelisib — je pense que cela le mérite absolument. Et je pense que demain, dans ce cas-là, la deuxième ligne et, possiblement aussi post-CDK4/6, pourrait complètement dépendre du statut de PI 3-kinase, et avec des choix qui vont être influencés par cela. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’en termes de sécurité, c’est un médicament qui est quand même associé à un profil de tolérance pas si simple à gérer, un peu différent de ce dont on a l’habitude, avec pas mal de problèmes métaboliques — surtout l’induction de diabète et des troubles digestifs, comme d’habitude. Par contre, il y a une surveillance importante de la glycémie avec régime éventuel, etc., voire introduction de metformine. Donc c’est un traitement un peu nouveau auquel les oncologues devront s’habituer, mais c’est réellement faisable, et cette étude l’a démontré.
Le cancer du sein pendant la grossesse
Suzette Delaloge — Je voudrais faire un petit aparté pour dire que, là on a tous ces médicaments qui sont en train d’arriver en situation métastatique, que la plupart d’entre eux vont probablement être développés en adjuvant. Donc c’est la logique : les anti-CDK sont en plein développement en adjuvant, on sait que les inhibiteurs de PDL-1 également, et je pense que pour la PI 3-kinase la question va se poser – néoadjuvant, adjuvant, etc. On attend des avancées dans les années qui viennent très logiquement, mais cela pose une question qui vous intéresse particulièrement, Frédéric Amant, qui est que chez les femmes qui ont cancer du sein pendant la grossesse – c’est votre grande thématique de recherche et on avait un symposium spécial concernant cela ce matin – du coup, comment est-ce qu’on va faire avec les thérapies ciblées actuellement et dans le futur ?
Frédéric Amant — C’est une bonne question parce que c’est un problème réel. Ce qu’on a discuté ce matin, par exemple, est que l'Herceptin® [trastuzumab] est contre-indiqué pendant la grossesse, parce qu’il bloque le récepteur dans le rein fœtal et provoque une diminution de la production urinaire, donc il n’y a pas de liquide amniotique. Et ce liquide amniotique, le fœtus en a besoin pour exercer les poumons. Il ne provoque pas de malformations, mais quand on en donne pendant la grossesse chaque trois semaines, le foetus va mourir par détresse respiratoire. Donc, c’est une exception — pendant la grossesse on peut faire de la chimiothérapie, de la radiothérapie, on peut opérer, mais les molécules nouvelles sont un problème parce qu’on n’a pas de données sur le transport transplacentaire. La plupart sont des molécules très petites qui vont passer… on sait qu’elles passent et c’est très difficile. C’est un problème qu’on peut aborder, par exemple en faisant des tests ou en examinant les tissus fœtaux pour voir ….quelle sera l’influence des nouveaux médicaments sur les tissus fœtaux. C’est un projet de notre groupe qui veut anticiper les évolutions dans l’oncologie, les produits qui sont utilisés dans la phase métastatique et qui, dans le futur doivent aussi être utilisés pendant la grossesse. D’un autre côté, par exemple on ne peut pas utiliser le trastuzumab pendant la grossesse, mais on sait de l’essai HERA que si on donne les médicaments plus tard, cela n’influence pas tellement le pronostic. Donc, peut-être que dans le futur on ne pourra pas l’utiliser pendant la grossesse, mais on peut quand même le donner immédiatement après l’accouchement. C’est un peu l’espoir aussi parce cela ne sera pas possible d’examiner tous les médicaments pendant la grossesse, donc on va aussi adapter un peu le traitement, en général.
Suzette Delaloge — Donc, c’est un message général pour le développement des médicaments : ne pas oublier les populations particulières, que ce soient les femmes jeunes, la grossesse, le souhait de grossesse, parce que c’est quelque chose qui est important aussi… et puis les femmes âgées, ou les hommes…
Étude PALOMA-3 : le palbociclib améliore t-il la survie ?
Suzette Delaloge — Un dernier message vraiment important sur les études qui ont été présentées : on avait beaucoup de données sur les inhibiteurs de CDK 4/6 — palbociclib, ribociclib, abémaciclib — en première et deuxième lignes métastatiques. Ces médicaments sont actuellement utilisés en routine, mais une grande critique était qu’il n’y avait aucune donnée de survie globale, seulement des données de survie sans progression. Là, on a la première étude qui démontre un bénéfice en survie globale, qui est PALOMA-3. Elle a été publiée en même temps dans New England Journal of Medicine . C’était en fait un objectif secondaire de l’étude. Alors, le p est à 0,025 — il y a clairement un gain de survie globale. Attention — normalement, compte tenu du alpha, il aurait fallu un p à moins de 0,01, mais je pense quand même que c’est un vrai message qui j’espère sera conforté par les autres études. Et je pense qu’aujourd’hui cette critique est moins recevable.
Frédéric Amant — Oui, tout à fait.
Suzette Delaloge — En tout cas, on a vraiment des médicaments qui non seulement améliorent la survie sans progression, mais vont bien au-delà, avec ce qu’on sait sur la qualité de vie des personnes sous ces traitements.
Donc merci beaucoup à tous d’avoir été avec nous.
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Citer cet article: ESMO 2018 : 3 avancées majeures dans le cancer du sein - Medscape - 30 oct 2018.
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