Malformations des membres supérieurs : 11 cas suspects supplémentaires dans l’Ain entre 2000 et 2014

Stéphanie Lavaud

31 octobre 2018

 

Saint-Maurice, France -- Actualisation  : Un communiqué de Santé publique France fait état de 11 cas suspects supplémentaires de réductions de membres supérieurs survenus dans l’Ain entre 2000 et 2014, dont un signalement reçu hier par le Registre « Remera » d’un enfant né en 2012 avec une malformation.

Ces 11 cas suspects supplémentaires sont issus de la base de données hospitalières (codage PMSI) et viennent donc s’ajouter aux 7 cas d’agénésies transverses des membres supérieurs (ATMS) signalés par le registre Remera que nous évoquions dans l’article ci-dessous. Ces 11 nouveaux cas suspects se répartissent de la façon suivante :

  • Entre 2000 et 2008 : 7 cas suspects (réductions des membres supérieurs incluant les ATMS) ;

  • Entre 2009 et 2014 : 4 cas suspects supplémentaires, parmi lesquels figure a priori le cas rapporté par le journal Le Monde

Précisons qu’il ne s’agit, à ce stade que de cas suspects de réductions de membres supérieurs, restera à évaluer ceux qui correspondent réellement à des agénésies transverses des membres supérieurs, telles que décrit ci-dessous, et susceptibles d’avoir une cause commune. Ce travail est actuellement en cours.

Ces récentes analyses initiées par Santé Publique France viennent appuyer l’hypothèse de l’existence d’un « cluster » défendu depuis 4 ans par Emmanuelle Amar, épidémiologiste à la tête d REMERA, structure, qui, la première a identifié et signalé des cas confirmés d’ATMS dont la répartition spatiale et temporelle constituait déjà – avant ces nouveaux cas suspects –, un signal fort (voir l’interview d’Emmanuelle Amar du REMERA ci-dessous).

 

 

Malformations des membres supérieurs : un cluster de 7 cas identifié dans l’Ain…et après?

Emmanuelle Amar

Lyon, France/5 octobre 2018 — Sept enfants sont nés avec des anomalies des membres supérieurs entre 2009 et 2014 dans un rayon de 17 km dans l’Ain. Deux autres groupes de cas (clusters), l’un en Loire-Atlantique, l’autre en Bretagne, partagent les mêmes caractéristiques, à savoir des enfants nés sans bras de parents vivants dans des zones rurales. Dès qu’elle a connaissance des premiers cas en 2011, Emmanuelle Amar, épidémiologiste et directrice du Registre des Malformations en Rhône-Alpes (REMERA) – structure indépendante de santé publique et de recherche située à Lyon –, s’en émeut, alerte les Autorités sanitaires concernées (l’InVs à l’époque). Sans plus de succès. Aujourd’hui, alors que ce cluster s’élève à 7 cas répertoriés, le déni est toujours le même et l’omerta de rigueur. De plus, l’avenir de la structure indépendante où travaille la lanceuse d’alerte avec 5 autres personnes, est fortement compromis pour des questions budgétaires (voir encadré en fin d’article). Récit.

Naissances d’enfants porteurs d’une agénésie transverse du membre supérieur

Tout démarre en décembre 2010 quand un médecin généraliste de l’Ain signale deux naissances distinctes d’enfants porteurs d’une agénésie transverse du membre supérieur. Le registre REMERA dont c’est le rôle de répertorier les malformations (voir encadré) est contacté. « Les mères de ces enfants sont ses patientes, elles résident à proximité l’une de l’autre et ne se connaissent pas », explique Emmanuelle Amar à Medscape édition française. Mais ce n’est pas tout, le médecin ajoute qu’une connaissance de l’une de ses patientes, aurait, elle aussi, accouché dans l’Ain, d’un enfant porteur de la même malformation.

Le REMERA fait remonter le signalement auprès de l’Institut de Veille Sanitaire (InVS, regroupé aujourd’hui au sein de Santé Publique France) et sollicite son appui. A l’époque, aucune suite n’est donnée à cette alerte. « En 2014, à l’occasion d’une rencontre inter-registres de malformations, j’apprends par l’InVS l’existence d’un probable cluster (ou agrégat) d’agénésies du membre supérieur en Pays de Loire, continue la chercheuse. Cet agrégat présente des similitudes avec celui déclaré en 2011 dans l’Ain ». Il sera confirmé, après consultation de génétique que deux des trois enfants présentent des défauts transverses terminaux isolés (sans lien avec une anomalie chromosomique), le troisième cas n’ayant pas pu être investigué[1]. Signalons que, pendant ce temps-là, en Bretagne, une femme médecin accouche d’un enfant atteint d’une malformation de ce type. Elle n’est pas la première. Le registre de malformations de Rennes qui procède aux investigations confirme l’existence d’un cluster dans la commune de Guidel (56) [1].

Coïncidence ou clusters spatio-temporels

On en est donc à trois clusters identifiés d’enfants présentant une agénésie transverse du membre supérieur. La question à ce stade est donc de savoir s’il ne s’agirait pas de cas isolés, rares, et relevant d’une coïncidence « car il arrive fréquemment que des cas groupés de malformations soient observés par les registres, ou signalés par des praticiens, voire des parents ». Mais ici leur localisation géographique et leur période de survenue, de même que le type de malformation font penser à un excès. Les agénésies transverses isolées – non associées à une anomalie génétique ou une autre malformation – du seul membre supérieur, concernent moins de 1,5/ 10 000 naissances.

Investigations dans l’Ain

Compte-tenu de ces informations et de la forte présomption d’être en présence d’un cluster, le REMERA lance des investigations. L’association décide de mener une recherche active auprès des maternités et services de pédiatrie et de réadaptation pédiatrique en Rhône Alpes de tout cas correspondant à la définition suivante : un enfant né, vivant ou non, entre 2009 et 2014, porteur d’une réduction du membre supérieur de type transverse isolée, c’est-à-dire sans lien avec une anomalie chromosomique et dont la mère résidait dans le département de l’Ain au moment de la grossesse (conception et 1er trimestre), sachant que l’accouchement peut avoir eu lieu dans l’un des 4 départements surveillés par le registre (tous limitrophes de l’Ain).

Et ses efforts s’avèrent malheureusement fructueux. Au total, sont détectés 7 cas avérés d’agénésie transverse du membre supérieur nés dans un rayon 17,66 km autour de la commune de Druillat (01), et ce, en l’espace de 6 ans. « L’hypothèse de départ du REMERA est la bonne : avec un taux observés/attendus de 58,33 (c’est-à-dire 7 observés/ 0,12 attendus) et une p-value de 0,000022, ce cluster spatio-temporel n’est probablement pas dû au hasard » conclut la chercheuse.

Hypothèse probable : l’exposition à un tératogène commun

Reste à investiguer les facteurs de risque éventuels, ce à quoi s’attèle le REMERA en soumettant les mères à un questionnaire. Et au final, « après avoir évacué la piste génétique – aucune anomalie génique ou chromosomique n’a été rapportée –, médicamenteuse ou liée à la prise de drogues, l’hypothèse la plus probable reste une exposition à un tératogène commun à ces 7 mères », résume Emmanuelle Amar. Pourrait-il s’agir d’une substance utilisée en agriculture ou en médecine vétérinaire ? Cette piste possible est confortée par la naissance de veaux porteurs d’agénésie de côtes et de queue à Chalamont (commune de l’Ain et « épicentre » du cluster humain) au cours de ces dernières années. A rapprocher éventuellement aussi du fait que les mères des cas des Pays de Loire habitaient non loin d’une usine classée Séveso 2 fabriquant et stockant des engrais [1].

Que fait-on ? Rien

La décision de mettre en œuvre une recherche épidémiologique autour de ce cluster s’impose. Que font les Autorités sanitaires ? Rien. Les multiples signalements de ce cluster n’ont donné lieu à aucun appui institutionnel pour les investigations nécessaires à l’identification – ou à l’élimination – d’une cause environnementale commune à ces malformations. Trop d’argent à investir pour une probabilité de résultats trop faible. A croire qu’aucune leçon n’a été tirée des scandales de la thalidomide, du diéthylstilbestrol (Distilbène®), et de celle du valproate de sodium (Dépakine®) survenue dans l’intervalle, et où le REMERA a joué un rôle actif.

Comment expliquer cette absence de réactions ? Emmanuelle Amar dénonce – à l’instar du rapport de l’Inspection Générale des Affaires Sanitaires (IGAS) paru en 2015 suite aux 450 cas de malformations sous Dépakine –  « l’inertie des pouvoirs publics », ici en l’occurrence celle de Santé Publique France. Une inertie qui conduit à se poser des questions.

Ré-organiser la surveillance

Que faudrait-il faire ? « D’abord, répondre aux familles. Ne pas nier le problème comme ce qui a été fait jusqu’à présent mais le reconnaitre, quitte à dire qu’on n’en connait pas les causes. Mais avant tout répondre, c’est un devoir moral et humain », considère Emmanuelle Amar. Ensuite, « il faut passer un cran au-dessus et, non pas renforcer la surveillance comme le préconise les Autorités car on va rejouer la même scène mais ré-organiser la surveillance, pas en utilisant les méta-données du PMSI comme on nous le propose là encore, mais à partir de registres comme le REMERA, à l’instar de ce qu’avait proposé Marisol Touraine en mars 2016 ».

Aujourd’hui, on en est loin. Car pour le REMERA, le temps est compté. Si utile et prompt à réagir sur l’affaire du valproate de sodium et aujourd’hui avec ce cluster, le registre est au bord de l’asphyxie financière et pourrait bientôt mettre fin à ses activités (voir encadré). Entre aveuglement, incompétence, et volonté affichée de faire taire les lanceurs d’alerte, on hésite encore….

 

SOS Registre en perdition 

« On est en train de perdre notre registre » alerte Emmanuelle Amar. Si utile et prompt à réagir sur l’affaire du valproate de sodium (Dépakine) et aujourd’hui avec ce cluster, le principal registre de malformations congénitales de France est menacé après l’arrêt de plusieurs subventions. Fondé en fondé en 1973 après le scandale du thalidomide, anti-nauséeux qui avait fait naître des milliers d’enfants sans bras entre 1957 et 1962, le registre a pris, en 2006, la forme d’association loi 1901, statut choisi à la demande de Santé Publique France (anciennement InVS). Mais, aujourd’hui, l’Inserm et la région Auvergne-Rhône-Alpes arrêtent leurs financements, menaçant la structure qui a besoin d’au moins 250 000 € par an pour fonctionner, explique la directrice générale du registre. C'est en effet le montant nécessaire à ce jour pour qu'une équipe de 6 personnes (4,2 équivalents temps plein) passe en revue, chaque année, les quelque 60 000 naissances enregistrées sur l’Ain, l’Isère, la Loire et le Rhône pour récolter des informations sur les cas de malformations (environ 2 700/an) – soit une base de données riche de plus de 75 000 dossiers. Qui sauvera le REMERA ?

La réponse de SantéPubliqueFrance :

Interpellés par les médias sur ces cas groupés de malformation, SantéPubliqueFrance a publié hier un communiqué et 4 rapports succincts sur les investigations menées pour les 3 clusters évoqués dans l’article ci-dessus (Ain, Loire-Atlantique, Bretagne) [2]. Voici sa conclusion : « Aujourd’hui, suite à l’investigation des 7 cas rapportés dans l’Ain nés entre 2009 et 2014, l’analyse statistique ne met pas en évidence un excès de cas par rapport à la moyenne nationale, et Santé publique France n’a pas identifié une exposition commune à la survenue de ces malformations. L’absence d’hypothèse d’une éventuelle cause commune ne permet pas d’orienter des investigations complémentaires.

L’Agence a par ailleurs conduit des investigations similaires sur deux signalements d’agénésie des membres supérieurs survenus en Loire Atlantique (3 cas nés entre 2007 et 2008) et en Bretagne (4 cas nés entre 2011 et 2013). Pour la Loire Atlantique et la Bretagne, l’investigation a conclu à un excès de cas. Cependant, aucune exposition commune n’a été identifiée pour les cas groupés de ces 2 régions » [2].

 

 

Pour en savoir plus :

 

Lire le compte-rendu du REMERA : Signalement d’un cluster (ou agrégat) d’agénésies transverses isolées du membre supérieur dans l’Ain, 25 juillet 2018

Voir le reportage diffusé par France 2 : Remera dans « L’Œil du 20 heures » sur France 2, 27 septembre 2018

 

Emmanuelle Amar, ni aucun membre de REMERA, n’a de conflit d’intérêt financier avec l’industrie pharmaceutique ou laboratoire ou fabriquant de produits ou de matériels médicaux.

 

 

 

 

 

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