Y-a-t-il encore des freins à l’IVG en France ?

Jean-Bernard Gervais

Auteurs et déclarations

19 septembre 2018

France -- Le 11 septembre dernier, le Dr De Rochambeau, président du Syngof, a assimilé l'interruption volontaire de grossesse à un homicide. Est-ce le stigmate de réels freins à l’IVG en France ? Caroline Rebhi et Véronique Séhier, co-présidentes du planning familial répondent.   

Malaise

Si la condamnation a été unanime, le malaise persiste, malgré tout. Dans un reportage du magazine Le Quotidien (MyTF1) diffusé le 11 septembre dernier, le Dr Marc de Rochambeau, gynécologue-osbtétricien et par ailleurs président du syndicat des gynécologues obstétriciens (Syngof), affirmait ne pas pratiquer d’interruption volontaire de grossesse (IVG), invoquant sa clause de conscience, et comparant l’IVG à un homicide. Il n’a pas fallu plus de 24 heures pour qu’Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la Santé, et Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, se fendent d’un communiqué, pour condamner « fermement les propos du Dr de Rochambeau ». Et de rappeler que « si les médecins ont effectivement le droit de ne pas pratiquer un IVG, ils ont, en revanche, l’obligation d’orienter la patiente vers un autre praticien ou une structure qui répondront à sa demande ».

Prise de distance du Syngof

Le Syngof, soit le syndicat que préside le Dr de Rochambeau, a lui-même pris ses distances avec les propos tenus par son président : « Le Syngof souligne que la clause de conscience est un droit des médecins qui ne peut être remis en cause. Mais le Syngof ne remet nullement en cause l’IVG. » Tout en précisant que le Dr De Rochambeau s’exprimait à titre personnel. Mais la condamnation la plus ferme est venue des responsables du planning familial. « Les propos tenus sur l’avortement par le Président du syndicat national des gynécologues, ne peuvent qu’indigner toutes celles et ceux, femmes concernées, professionnel.les qui les accompagnent, parlementaires qui élaborent les lois : des propos rétrogrades, déniant aux femmes leur liberté de procréation, car le droit de refuser la procréation est une dimension essentielle de la liberté des femmes », écrivent Véronique Séhier et Caroline Rebhi, co-présidente du planning familial, dans un communiqué commun. Elles rappellent également que chaque année, 25 millions d’avortement illégaux ont lieu et qu’une femme meurt toutes les 9 minutes des suites d’un avortement clandestin. Elles dénoncent par là même les opposants à l’accès à l’IVG qui, par des campagnes de désinformation et des actions de lobbying, tentent de rogner le droit des femmes en France. 

Droit à l’IVG renforcé mais bilan mitigé

Alors, qu’en est-il ? L’accès à l’IVG est-il menacé dans l’Hexagone ? Depuis cinq ans, force est de constater que le droit à l’IVG s’est considérablement renforcé en France. En 2013, le ministère de la Santé a rendu gratuite l’IVG pour toutes les femmes, tout en revalorisant les tarifs des IVG instrumentales. En 2014, la loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes a supprimé la notion de détresse et étendu le délit d’entrave à l’accès à l’information sur l’IVG. Enfin en 2016, la loi de modernisation de notre système de santé supprime le délai minimal de réflexion d’une semaine et permet aux sages-femmes de pratiquer des IVG médicamenteuses, et aux centres de santé des IVG instrumentales. Quoi qu’il en soit, le nombre d’IVG est resté stable – soit 211 900 en 2016 – malgré la mise en œuvre de l’ensemble de ces mesures.

130 centres IVG fermés en 10 ans

À l’occasion du 42e anniversaire de la loi Veil, le Haut conseil pour l’égalité entre les hommes et les femmes (HCE) a fait un bilan de l’accès à l’IVG, en notant qu’en dix ans, 130 centres IVG ont été fermés. « Des centres ont continué de fermer tandis que certains autres centres qui avaient fermé ont ré-ouvert, explique Caroline Rebhi, du planning familial, contacté par Medscape. J’ai en tête l’exemple de l’hôpital Tenon à Paris. Un collectif s’était mobilisé et il avait ré-ouvert deux ans plus tard mais nous comptons plus de fermetures que d’ouvertures de centres IVG, Les centres ferment pour des raisons financières, ou alors sont absorbés par des maternités. L’accueil n’est pas adéquat dans ces centres ».

« Chaque fois que l’on ferme une maternité, on ferme aussi l’accès à l’avortement, ajoute Catherine Séhier, co-présidente du planning familial. En outre, il faut tenir compte des restructurations, des services IVG ont été réintégrés dans des services plus larges, où l’accueil n’est pas assuré par une équipe dédiée, formée à l’accueil, etc. L’accueil doit être non-culpabilisant par rapport aux femmes ».

Climat en Europe réfractaire aux droits des femmes

À cela s’ajoute un climat en Europe réfractaire aux droits des femmes, qu’illustre à sa manière l’intervention du Dr De Rochambeau : « Nous avions déjà entendu ce type de propos au moment du vote de la loi Veil, nous les avons aussi entendus au moment de la suppression de la notion de détresse. Ils sont tenus par tous les anti-avortements aujourd’hui, qui considèrent que la vie démarre dès la conception et que tout avortement est un crime. Aujourd’hui, la Hongrie a de nouveau inscrit le droit à la vie dans la constitution, tandis que des femmes irlandaises se sont battues pour supprimer cette référence dans leur constitution irlandaise (voir encadré en fin d'article) », commente Catherine Séhier.

 
L’accueil doit être non-culpabilisant par rapport aux femmes  Catherine Séhier
 

Des freins médicaux

Mais l’un des principaux freins à l’IVG actuellement provient des médecins eux-mêmes. « Ce n’est pas la majorité des gynécologues qui partagent cet avis, mais nous avons des remontées défavorables de femmes mal reçues par un gynécologue ou alors qui n’appliquent pas la loi qui impose un délai de réflexion de sept jours alors que ce délai a été supprimé dans la loi, ou qui, lors d’une échographie, font écouter les battements de cœur du fœtus en culpabilisant la femme qui veut avorter. Ce sont des choses qui arrivent de plus en plus souvent », détaille Caroline Rebhi. Aussi, le nombre de médecins qui acceptent de pratiquer l’IVG est plus limité qu’il n’y parait : « Il suffit qu’un médecin soit en vacances dans un département pour qu’il n’y ait plus accès à l’IVG dans ce département. C’est problématique, cela veut dire que dans certaines régions, peu de médecins pratiquent cet acte », explique Caroline Rebhi. Ainsi, le planning familial milite pour la suppression de la double clause de conscience médicale introduite par la loi Veil de 1975.

 
Dans certaines régions, peu de médecins pratiquent cet acte Caroline Rebhi
 

Trois mesures urgentes pour renforcer l’accès à l’IVG

Afin de renforcer l’accès à l’IVG, Catherine Séhier propose trois mesures urgentes à mettre en place : « Il faut que dans tous les hôpitaux soit mis en place un accès à l’IVG. C’est une première chose. Deuxième point, il faut une obligation pour tous les hôpitaux de réaliser les avortements. Je pense aussi que toutes les sages-femmes doivent savoir faire des IVG médicamenteuses et instrumentales, il faut laisser le choix de la méthode. Par ailleurs, tout médecin qui oppose sa clause de conscience doit pouvoir orienter vers un collègue qui pratique l’IVG. »

 
Tout médecin qui oppose sa clause de conscience doit pouvoir orienter vers un collègue qui pratique l’IVG Catherine Séhier
 

Irlande : la libéralisation de l'IVG prend effet ce jour

L’Irlande a promulgué hier soir la loi constitutionnelle légalisant l’avortement. Celle-ci intervient après un référendum historique en mai où les irlandais avaient voté à plus de 66% pour son abrogation. Dublin tient ainsi sa promesse, en cas de victoire du "oui", d’autoriser l'IVG sans conditions jusqu'à 12 semaines, ou jusqu'à 24 semaines dans des cas exceptionnels, notamment quand la vie de la mère est menacée. Simon Harris, le ministre irlandais de la Santé, a indiqué, dans une vidéo postée hier sur Twitter, qu'il soumettrait une législation visant à mettre en œuvre le droit à l'IVG dès « la semaine prochaine » au gouvernement, en vue de son examen parlementaire à partir d'octobre. « Le 8e amendement de la constitution irlandaise [qui interdisait l’avortement] est désormais abrogé. Beaucoup ont travaillé dur pour que cela devienne une réalité. C’est un jour important » a-t-il affirmé sur le réseau social. SL

 

 

 

 

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