POINT DE VUE

Santé psychique et conduite addictive chez les étudiants en médecine : 3 questions au Dr Guillaume Fond

Stéphanie Lavaud

Auteurs et déclarations

14 septembre 2018

Dr Guillaume Fond

France –Plusieurs études et enquêtes se sont fait l’écho ces derniers temps de la souffrance psychique des étudiants en médecine – qu’ils soient en PACES ou plus avancés. L’étude BOURBON – qui vise à évaluer la santé psychique, les conduites addictives et la qualité de vie chez les étudiants en médecine, de la première à la dernière année – apporte sa pierre à l’édifice. Le deuxième volet vient tout juste d’être publié dans Journal of Affective Disorders par des chercheurs de l’AP-HM à Marseille. Portant sur près de 11 000 étudiants, âgés en moyenne de 22 ans, issus de 35 facultés de médecine, l’étude confirme que les étudiants en médecine, hommes et femmes, sont confrontés à des stress professionnels mais nous apprend qu’ils adoptent des moyens différents pour y faire face. Les hommes se tournent davantage vers l'alcool et la consommation de drogues pour évacuer les souffrances alors que les femmes vont préférer un suivi psychothérapique et la consommation de psychotropes [1]. Détails avec le Dr Guillaume Fond psychiatre à l’AP-HM et enseignant-chercheur à la faculté de médecine de La Timone à Marseille, premier auteur de l’étude.

Medscape édition française : Qui a participé à l’étude et quels sont les principaux résultats de ce deuxième volet ?

Dr Guillaume Fond : Précisément, ce sont 10 985 étudiants, dont près de 27% en première année, 11,7% en deuxième année et 11% en sixième année, qui ont répondu, de façon totalement anonyme au questionnaire en ligne que nous leur avons soumis [1]. Ce qui représente environ 8% de la population des étudiants en médecine en France, mais près de 15% des étudiants de 2ième année et 14% des étudiants de 6ième

Le premier constat porte sur le fait que 68% des répondants sont des femmes, un chiffre en accord avec la répartition des sexes au sein des études médicales (2/3 de femmes ; 1/3 d’hommes) et révélateur de la féminisation de la profession.

Le deuxième constat est que hommes et femmes sont exposés de la même façon à des stress personnels et professionnels, mais que la nature de l’agression à laquelle les uns et les autres sont confrontés et la gestion de la souffrance qui en résulte diffèrent de façon significative selon les sexes. Pendant leurs études médicales, les femmes sont près de 4 fois plus exposées à des agressions sexuelles que les hommes, lesquels rapportent 2 fois plus d’agressions physiques.

En termes de conduites addictives, les étudiantes fument moins de tabac et de cannabis, consomment moins d’alcool et de drogues psychoactives que leurs collègues masculins. Elles consultent plus fréquemment un psychiatre ou un psychologue et consomment plus fréquemment des anxiolytiques et des antidépresseurs que les hommes. En résumé, les hommes se tournent davantage vers l'alcool et la consommation de drogues pour évacuer les souffrances alors que les femmes vont préférer un suivi psychothérapique et la consommation de psychotropes.
 

 

Medscape édition française : Dans un contexte de burn-out chez les étudiants en médecine, y-a-il des spécialités plus à risque ?

Dr Guillaume Fond : Le premier volet de l’étude paru au printemps visait à répondre à cette question [2]. Nous nous attendions à ce que les internes en chirurgie et en anesthésie soient parmi les plus concernés, mais les réponses au questionnaire – auquel 2165 internes en médecine issus de 35 facs ont répondu en ligne anonymement – a montré que les étudiants de psychiatrie (302) étaient les premiers touchés. Le constat peut s’expliquer par le fait qu’avec la médecine d’urgence, la psychiatrie est la spécialité la plus exposée à l’agressivité, à l’agitation, possiblement dans un contexte de privation de liberté des patients. Dans cette spécialité, les internes rapportent d’ailleurs une plus forte exposition à des agressions sexuelles (3%) et physiques (12%) pendant leurs études médicales que les autres spécialités. Les étudiants en psychiatrie sont aussi les plus gros consommateurs de tabac, de cannabis, d’alcool. Et ce sont eux qui expérimentent le plus de drogues illicites (ecstasy, amphétamine, champignons hallucinogènes et LSD) pendant leurs études médicales, et pas uniquement pour des usages récréatifs, si l’on considère qu’ils rapportent les scores de vitalité les plus bas, et qu’ils sont plus nombreux à dire rechercher un effet stimulant dans cette consommation. Enfin, ils sont aussi plus suivis sur le plan psychiatrique ou psychologique et consomment plus d’anxiolytiques et d’antidépresseurs.

Medscape édition française : Quelles conclusions tirez-vous de ces deux premiers volets ?

Dr Guillaume Fond : Les résultats de l'étude "Bourbon" ont plusieurs objectifs à commencer par un état des lieux dans des domaines où nous manquions de données. C’est, par exemple, la première étude à s’être intéressée spécifiquement à la santé mentale et aux conduites addictives des internes en psychiatrie. Elle va permettre d'orienter la prévention de la santé des étudiants en ciblant mieux les populations les plus concernées et leurs spécificités. Les résultats montrent l’importance d’une prise en charge psychothérapique au sein de chaque faculté de médecine, mettant à disposition des psychothérapeutes formés spécifiquement aux difficultés rencontrées en médecine, mais aussi la nécessité de pouvoir faire remonter celles-ci de façon anonyme. Sur des points plus spécifiques, on remarque que les futurs médecins fument plus que la moyenne nationale, autour de 20% des étudiants se déclarent fumeur (et jusqu’à 31,5% des internes en psychiatrie), comment peut-on inciter le grand public à arrêter le tabac si le médecin lui-même est un consommateur ? La question spécifique du tabac fera l’objet du prochain volet de l’étude « Bourbon ».

 

Le Dr Guillaume Fond est auteur du livre « Je fais de ma vie un grand projet », Flammarion 2018.

 

 

 

 

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