Munich, Allemagne — Des années que la question de l’intérêt d’une supplémentation en oméga-3 en prévention primaire cardiovasculaire est investiguée, et que les études se succèdent avec des résultats plutôt en leur défaveur mais sans que personne n’arrive véritablement à trancher. En démontrant une absence d’effet sur la réduction des événements cardiovasculaires sévères et la mortalité d’origine vasculaire des patients diabétiques – donc à haut risque – , l’étude ASCEND (A Study of Cardiovascular Events iN Diabetes) présentée au congrès de l’ ESC2018 [1] et publiée dans le NEJM[2] va-t-elle clore définitivement le débat ?
« Notre vaste étude randomisée sur le long terme a montré qu’une supplémentation en huile de poisson ne réduit pas le risque d’événements cardiovasculaires chez des patients diabétiques, a déclaré le Pr Louise Bowman (Nuffield Department of Population Health, University of Oxford, RU), principal investigateur de l’étude. C’est un résultat décevant, mais dans la droite lignée de précédentes d’études randomisées chez d’autres catégories de patients avec un risque cardiovasculaire élevé qui, eux non plus, n’ont pas tiré bénéfice de ce type de supplémentation. Il n’y a donc rien qui permette de justifier de recommander l’huile de poisson en protection contre les événements cardiovasculaires à la dose que nous avons utilisée ».
L’effet du poisson non retrouvé avec les capsules d’oméga-3
Tout a commencé dans les années 1980-90, lorsque des études observationnelles menées chez différentes populations ont montré les bénéfices de la consommation de poisson sur la réduction des pathologies cardiovasculaires. Dans ces essais, la consommation quotidienne de 40 à 60 g de poisson (ce qui correspond à environ 0,2 à 1,0 g d’acides gras de type oméga 3) était associée à une réduction de 50% de la mortalité CV. Néanmoins, les études randomisées qui ont tenté de retrouver le bénéfice d’une supplémentation en oméga-3 ont obtenu des résultats pour le moins contradictoires et les méta-analyses ont plutôt conclu à l’absence d’effet. Pourtant, les chercheurs se sont obstinés, en passant en revue les pathologies une par une (fibrillation auriculaire, insuffisance cardiaque,…). Sans plus de succès, une méta-analyse publiée cette année a, de nouveau, conclu à une absence d’effet chez les 78 000 participants, dont un tiers était diabétique ou dysglycémiques, sur un suivi de 4,4 ans, que ce soit en prévention primaire ou secondaire [3].
Ce que le Dr Boris Hansel (nutritionniste, Bichat) confirmait dans un blog sur notre site affirmant, que « de nombreux patients diabétiques ou pré-diabétiques, prennent une supplémentation en acides gras oméga-3, sur la foi d’une communication grand-public « assez éloignée des travaux scientifiques ». Et, malgré les propriétés anti-arythmiques, anti-inflammatoires, et antiagrégantes – ainsi qu’une baisse des triglycérides plasmatiques – attribuées à ces acides gras, les études concluent majoritairement que les oméga-3 ne réduisent pas l’incidence des évènements cardiovasculaires ».
15 480 patients atteints de diabète mais sans antécédents CV
Pour en avoir le cœur net, le Pr Louise Bowman et ses collègues ont mis au point l’étude ASCEND visant à étudier, dans une population de patients diabétiques, deux substances susceptibles d’avoir un impact en prévention CV, l’aspirine d’une part (Voir Aspirine : 2 grands essais concluent à son absence d'intérêt en prévention primaire CV), une supplémentation en oméga 3 d’autre part, selon un protocole 2X2, permettant une évaluation indépendante de chacun des produits testés.
Entre 2005 et 2011, 15 480 patients atteints de diabète mais sans antécédents CV (>40 ans) ont reçu de façon aléatoire, soit une supplémentation en huile de poisson (1 g par jour), soit un placebo constitué d’huile d’olive. Les participants ont été suivis pendant 7,4 ans, avec une adhésion pour les capsules d’oméga-3 de 77%.
Les résultats du versant oméga-3 de l’étude n’ont montré aucune différence sur le critère primaire – événements vasculaires sévères (infarctus du myocarde, AIT et AVC non hémorragique, et décès de cause vasculaire) – entre les deux groupes. Après un suivi de 7,4 ans en moyenne, le premier événement vasculaire d’importance est survenu chez 689 (8,9%) des patients qui prenaient l’huile de poisson contre 712 (9,2%) participants qui s’étaient vus allouer le placebo, sans aucune différence entre les groupes (RR : 0.97 [IC95% : 0,87–1,08, p=0,55]).
La mortalité n’a pas non plus différé entre les deux groupes en termes de revascularisation ou de mortalité (critères secondaires), bien que le Pr Bowman ait signalé une réduction des décès vasculaires dans le groupe huile de poisson que les hémorragies intracrâniennes soient exclues [186 patients (2,4%) vs. 228 (2,9%)] ou inclues [196 patients (2,5%) vs. 240 (3,1%)].
Question de dose ?
La discussion qui a suivi la présentation en conférence de presse a notamment porté sur la dose utilisée. Question à laquelle, l’investigatrice a répondu: « nous avons choisi la dose d’un gramme qui semblait prometteuse dans de précédentes études. Mais oui, la question reste de savoir si une dose plus élevée de 2 à 4 grammes auraient eu un impact plus fort, sachant que ces doses ont montré un effet plus puissant sur la réduction des triglycérides, mais que cela aurait pu entrainer un problème de tolérance. Deux études avec de fortes doses (REDUCE-IT et STRENGTH) qui ont pour but de réduire les taux de triglycérides devraient aboutir bientôt (voir encadré en fin d’article) ».
Sur le type de supplémentation utilisée, le Dr Bowman a dit qu’ils avaient choisi la version purifiée d’oméga 3 donnée sur prescription, c’est-à-dire celle qui est mise en avant dans les recommandations en prévention secondaire. « On peut donc penser que les capsules que l’on peut se procurer hors prescription et qui contiennent des doses plus faibles auront encore moins d’effet » résume-t-elle.
Faut-il arrêter pour autant de consommer du poisson ? « Il est sûr que consommer une capsule d’huile de poisson n’est pas comparable à manger du poisson. Et je ne recommanderai surement pas de supprimer le poisson de son alimentation, parce qu’il est probablement plus bénéfique d’avoir un régime riche en poisson qu’en steak, mais nous ne pouvons rien déduire de cette étude à ce sujet. »
A la question de la possible influence du placebo – qui était constitué d’huile d’olive susceptible d’avoir elle-même des bénéfices –, le Pr Bowman a considéré « qu’aujourd’hui, dans l’alimentation britannique, ajouter 1 g d’huile d’olive ne pouvait pas faire de différence ».
Pas de justification à ce jour à la dose de 1g/jour
Au final, en l’absence de résultats positifs dans cette vaste étude, l’oratrice considère que ces résultats pourraient amener à revoir les recommandations* en termes de supplémentation en oméga-3 en routine quotidienne pour prévenir les événements cardiovasculaires – voire même en prévention secondaire. Même si les auteurs évoquent les résultats à venir de l’étude VITAL qui regarde actuellement chez 25,874 hommes et femmes aux Etats-Unis si une supplémentation en acides gras oméga3 (Omacor®, 1 gramme) est susceptible de réduire le risque des cancers, des pathologies cardiaques et des AVC chez des sujets sans aucun de ces antécédents. Mais sans parier sur un résultat positif, comme l’a expliqué le Pr Bowman interviewée par le Dr Walton-Shirley pour l’édition internationale de Medscape.
Des conclusions au final pas très éloignées de celles du Dr Hansel qui concluait ainsi son blog : « Pour le moment, et sauf retournement de situation, il n’existe donc aucune justification à conseiller une supplémentation en oméga-3 aux patients diabétiques ou prédiabétiques, quel que soit leur niveau de risque cardiovasculaire. En l’absence d’effet délétère, ces résultats « ne remettent pas en cause la recommandation de manger du poisson deux fois par semaine ».
*A ce jour, l’American Heart Association recommande une supplémentation en prévention secondaire de pathologies coronaires, et encourage la consommation de poisson en prévention primaire des maladies CV. Côté britannique, une vaste étude prospective a rapporté que 31% des adultes disaient prendre de l’huile de poisson.
Quid des fortes doses ?
Le sujet oméga-3 est loin d’être clos dans les populations à risque avec de fortes doses. Des réponses complémentaires sont à attendre de 2 études en cours STRENGTH et REDUCE IT qui visent l’une et l’autre à évaluer la capacité de fortes doses quotidiennes d’oméga-3 (de 3 à 4 grammes) à réduire les événements cardiovasculaires chez des patients à haut risque, hyper-triglycéridémiques et sous statine.
L’étude a été financée par la British Heart Foundation, le UK Medical Research Council et a reçu un soutien de Abbott, Bayer, Mylan and Solvay qui ne sont pas intervenus dans l’analyse des données. L’Université d’Oxford est le sponsor de l’étude. Le Pr Bowman a déclaré des contrats de recherché avec Merck, The Medicine Company, Bayer et Mylan. |
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Citer cet article: ASCEND : nouvelle étude négative pour les oméga-3 chez les diabétiques - Medscape - 10 sept 2018.
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