Deux grands essais concluent à l'absence d'intérêt de l'aspirine en prévention primaire CV

Aude Lecrubier

Auteurs et déclarations

6 septembre 2018

Dans cet article

Munich, Allemagne — Les derniers doutes sur l'éventuel intérêt de la prise quotidienne d'aspirine à faible dose en prévention primaire des événements cardiovasculaires ont été levés.

Les résultats de l'étude ARRIVE, réalisée chez des patients à risque cardiovasculaire modéré, et ASCEND réalisée chez des patients diabétiques, sont sans équivoque. Dans ces deux populations, le rapport bénéfice/risque de l'aspirine en prévention primaire de la maladie cardiovasculaire est défavorable.

Pr Jean-Philippe Collet

Nous savons que l'aspirine a un intérêt en prévention secondaire CV mais, « nous avons désormais deux grands essais qui répondent à la question de l'aspirine en prévention primaire systématique et la réponse est clairement non », a commenté le Pr Jean-Philippe Collet (cardiologue, hôpital de la Pitié Salpêtrière, Paris) pour l'édition française de Medscape, dans une vidéo en direct du congrès de l’ ESC 2018 où ont été présentées les données en session hotline. Les deux études ont été publiées dans le Lancet et le New England Journal of Medicine[1,2].

 
Nous avons désormais deux grands essais qui répondent à la question de l'aspirine en prévention primaire systématique Pr Jean-Philippe Collet
 

1. ARRIVE : l’aspirine à l’étude chez 12 000 patients sans antécédents CV

L'essai ARRIVE a étudié l'intérêt de la prise de faibles doses d'aspirine quotidiennes (100 mg/j) en prévention d'un premier événement cardiovasculaire (CV) et évalué les risques de saignements associés dans une population à risque modéré. Le risque modéré était défini comme un risque d'événement cardiovasculaire à 10 ans de 20 à 30 %.

Globalement, 12 456 participants ont été enrôlés en soins primaires au Royaume-Uni, en Pologne, en Allemagne, en Italie, en Irlande, en Espagne et aux Etats-Unis.

Les participants n'avaient pas d'antécédents d'infarctus (IDM) ou d'AVC. L'âge moyen des participants était de 63,9 ans et 29,7 % étaient des femmes. Les hommes avaient au moins 55 ans et deux à quatre facteurs de risque CV classiques (tabagisme, lipides élevés, HTA...), alors que les femmes avaient au moins 60 ans et au moins 3 facteurs de risque CV.

Pas de différence sur les événements CV

Après un suivi moyen de 5 ans, il ressort de l'analyse en intention de traiter qu'il n'y a pas de différence significative sur la survenue des événements CV entre les deux bras. Un premier événement CV (décès CV, IDM, angor instable, AVC ou accident ischémique transitoire) est survenu chez 4,29 % des participants recevant l'aspirine versus 4,48 % de ceux recevant le placebo (RR=0,96, IC95% : 0,81 à 1,13 ; p=0,60).

En revanche, dans une analyse per protocol (exclusion des patients ayant moins bien pris le traitement), les participants qui ont reçu de l'aspirine ont fait moins d'infarctus (pas d'effet sur les AVC, en revanche).

L'aspirine a abaissé le risque d'IDM et d'IDM non mortels (RR=0,53, IC 95 % : 0,36 à 0,79; p=0,0014 et RR=0,55, IC 95 % : 0,36 à 0,84; p = 0,0056, respectivement). Dans cette analyse, l'effet sur les IDM était d'autant plus important que les patients étaient jeunes. Chez les 50 à 59 ans, la réduction du risque d'IDM était de 82,1% et chez les 59 à 69 ans, de 54,3%.

Plus de saignements et plus de toxicité

Concernant les saignements, ceux situés au niveau gastrointestinal étaient deux fois plus fréquents avec l’aspirine. Ils sont survenus chez 0,97 % des patients du bras aspirine et chez 0,46 % des patients recevant le placebo (RR=2,11, IC95% : 1,36 à 3,28 ; p=0,0007). Aucune différence sur les hémorragies mortelles n'a été observée entre les deux groupes.

En parallèle, il y avait plus effets secondaires associés au traitement dans le bras aspirine (16,75 %) vs le placebo (13,54 %; p<0,0001). Les effets secondaires les plus fréquents étaient les indigestions, les saignements de nez, le reflux gastro-œsophagien et les douleurs abdominales hautes.

 
Certains participants prenaient des médicaments pour abaisser la pression artérielle et améliorer leur profil lipidique, ce qui les a protégés  Pr J. Michael Gaziano

Des patients déjà bien suivis

Pr J. Michael Gaziano

Pour l'auteur principal de l'étude, le Pr J. Michael Gaziano (Brigham and Women's Hospital, Boston, Etats-Unis), l'absence de bénéfice sur le plan CV est probablement dû aux progrès en matière de prévention CV. « L'aspirine n'a pas limité la survenue des événements CV majeurs dans cette étude. Toutefois, il y a eu moins d'événements qu'attendus, ce qui suggère qu'il s'agissait, en fait, d'une population à faible risque. Probablement parce que certains participants prenaient des médicaments pour abaisser la pression artérielle et améliorer leur profil lipidique, ce qui les a protégés », a-t-il expliqué pendant la conférence de presse. Dans l'étude, les deux tiers des patients recevaient un traitement antihypertenseur et la moitié des traitements hypolémiants.

Au final, selon le spécialiste de la prévention cardiovasculaire, « la décision de prescrire de l'aspirine en prévention des maladies cardiovasculaires devrait être prise au cas par cas ».

 
La décision de prescrire de l'aspirine en prévention des maladies cardiovasculaires devrait être prise au cas par cas.
 

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