Marfan : l’irbésartan ralentit la dilatation aortique

Stéphanie Lavaud

Auteurs et déclarations

5 septembre 2018

Munich, AllemagneAIMS pour Aortic Irbesartan Marfan Study fait partie du petit nombre d’études positives présentées au congrès de l’ESC 2018[1]. Chez des patients atteints du syndrome de Marfan, l’irbésartan a permis de réduire significativement la vitesse de dilation de la racine aortique – là où le losartan avait déçu précédemment. En outre, le traitement par cet ARA2 semble être particulièrement bénéfique chez les patients les plus jeunes et chez ceux qui ont un score Z > 3, mais sans impacter toutefois, à 5 ans, le taux de chirurgie cardiaque pour remplacement de la racine aortique. Enfin, si l’antihypertenseur a abaissé la pression artérielle chez ces sujets normotendus, il a été bien toléré des enfants, y compris les très jeunes, comme des adultes.

« Le transfert à la pratique clinique de cette molécule – déjà connue – pourrait changer la donne chez les patients atteints de Marfan, en retardant la nécessité d’un geste chirurgical et en réduisant le risque de complications et de décès » a considéré le Dr Michael Mullen (St Bartholomew's Hospital, Londres) lors de la présentation des résultats en conférence de presse.

Déception avec le losartan

Les résultats de l’étude AIMS sont d’autant plus bienvenus qu’ils arrivent dans un contexte de déception, et d’un manque de données concernant les médicaments à visée cardiovasculaires pouvant contrer – ou du moins ralentir –  l’inexorable progression de la dilatation aortique au cours de l’évolution de la maladie. Une piste avait émergé sur la base d'études menées sur des modèles murins montrant que le losartan était supérieur à l’aténolol pour ralentir la progression aortique. Mais c’était avant que l’étude de Ron Lacro et al., ne viennent doucher les espoirs en révélant, en 2014, l’absence de bénéfice de cet antagoniste de l’angiotensine II sur le taux de dilatation aortique à trois ans par rapport au bêtabloquant [2]. A l’époque, dans un éditorial accompagnant la publication de l’article, les éditorialistes, Juan Bowen et Heidi Connolly (Mayo Clinic, Rochester), qui voulaient encore y croire, avaient suggéré que le losartan avait peut-être été sous-dosé ou bien qu’un autre ARA 2 pourrait avoir un effet plus important [3]. Les résultats de l’étude AIMS leur donnent aujourd’hui raison sur cette dernière hypothèse.

Appartenant au groupe des maladies rares, le syndrome de Marfan est une maladie à transmission autosomique dominante qui résulte en règle générale d’une mutation du gène de la fibrilline de type 1. Il peut plus rarement s’agir d’une mutation du gène codant pour un récepteur du TGF-bêta. Ce syndrome concerne environ 12 000 patients en France et altère le tissu de soutien de différents organes. Le pronostic fonctionnel dépend des atteintes ophtalmologiques et rhumatologiques mais le pronostic vital est déterminé par l’atteinte aortique. Le traitement pharmacologique à visée cardio-vasculaire passe par les bêtabloquants (hors AMM) : seul médicament dont le bénéfice sur l’évolution de la dilatation aortique est démontré. Il est recommandé dès la confirmation du diagnostic, que l’aorte soit dilatée ou non. Les inhibiteurs calciques, inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IEC), et antagonistes de l’angiotensine II (ARA II) peuvent être prescrits en cas d’intolérance aux bêtabloquants (hors AMM) mais sans réelle preuve de leur efficacité malgré l’intérêt porté au losartan, il y a quelques années.

Ralentissement de 30% dans le groupe irbésartan

L’essai britannique AIMS randomisé, contrôlé, en double aveugle contre placebo [4] a inclus 192 patients avec un syndrome de Marfan, âgés entre 6 et 40 ans, sans antécédent, ni projet de chirurgie et avec un Z-score* > 0. Les participants dont l’âge moyen était de 18 ans – 25% avaient entre 6 et 11 ans – ont été répartis en deux groupes, l’un (192) recevant de l’irbésartan à la dose de 150 ou 300 mg par jour (selon le poids), l’autre (88) un placebo. Tous les participants recevaient un bêtabloquant s’ils le toléraient bien et tous ont bénéficié d’une échocardiographie annuelle pendant 5 ans.

*Le Z score exprime l’écart du diamètre par rapport à la valeur moyenne en déviation standard (DS) et l’aorte est considérée comme dilatée au-delà de 2 DS. 

Au bout de 5 ans, le groupe sous irbésartan montrait un ralentissement de 30% de la vitesse de dilatation de la racine aortique (critère primaire) par rapport au groupe placebo (0,74 vs 0,53 mm/an ; différence : – 0,22 [IC95% : - 0,41 à – 0,02]; p= 0,03).

En termes de timing, « on observe une réponse précoce dès 1 an, a détaillé le Dr Mullen, qui se maintient à 5 ans, avec peu de changements jusqu’à la quatrième année », même si une remontée semble se profiler après. 

En outre, un écart significatif a été retrouvé sur la différence du taux de progression annuelle du Z score de la racine aortique de - 0,10 (IC95% : - 0,19 ; - 0,01, p = 0,04) en critère de jugement secondaire.

Une bonne tolérance même chez les très jeunes

La tension artérielle était abaissée de manière significative dans le groupe irbésartan par rapport au groupe placebo, avec une différence du taux de variation annuel de tension artérielle systolique de - 1,69 mmHg [IC95% : - 2,52 ; - 0, 86, p < 0,001]. Cependant, « la tolérance clinique a été bonne, même chez les enfants âgés de 6 ans » a précisé l’orateur.

Des analyses en sous-groupe ont été menées, l’une a montré que « l’utilisation de bétabloquants ne modifie pas la progression du diamètre de la racine aortique ». Sachant qu’au final, seuls 56% des participants étaient sous bêtabloquants, des traitements qui « ne sont pas bien tolérés par les enfants ». L’autre a montré une tendance à «un plus grand bénéfice de l’irbésartan chez les moins de 18 ans » a encore ajouté le Dr Mullen.

Quant au nombre d’effets indésirables, y compris le besoin d’une chirurgie pour remplacer la racine aortique (irbésartan 5, placebo 4), il a été le même dans les deux groupes. Et aucun décès n’est survenu.

Quelle traduction clinique ?

Pour ce qui est du mécanisme, le Dr Mullen a évoqué en conférence de presse, la possibilité d’un effet via la baisse de la pression artérielle puisqu'il s’agit d’un antihypertenseur, mais il est impossible de l’affirmer » a-t-il considéré, ajoutant que l’irbésartan était l’ARA2 le plus puissant.

En conclusion, il s’agit d’un traitement prometteur pour la réduction de la dilatation aortique chez les patients atteints du syndrome de Marfan, « et tout ce qui peut retarder la chirurgie est bon à prendre même si l’opération en soi ne pose pas de problème ».

« Reste à établir la traduction clinique de cet effet en réalisant de nouvelles études » a indiqué le Dr Mullen, précisant que celle-ci était terminée, et qu'aucune prolongation n'était prévue.

 

L’étude a été financée par la British Heart Foundation, le U.K. Marfan Trust, et la Marfan Association. L’irbesartan et le placebo adéquat ont été fournis par Sanofi.

 

 

 

 

 

 

 

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