Munich, Allemagne — L’utilisation du dosage de la troponine ultrasensible pour poser le diagnostic de syndrome coronaire aigu (SCA) n’a pas permis d’améliorer le pronostic des patients à un an, selon les résultats de l’essai High-STEACS (High-Sensitive Troponin in the Evaluation of Patients With Acute Coronary Syndrome), présentés lors du congrès de l’ ESC2018 et publiés simultanément dans le Lancet [1,2]. De quoi remettre en question le seuil décisionnel de ce test, intégré dans la définition de l’infarctus du myocarde.
En raison de sa spécificité, la troponine est devenue un biomarqueur de référence dans le diagnostic de l'infarctus du myocarde. Avec l’évolution des techniques d’analyse qui permettent de détecter des quantités infimes, le dosage de la troponine T ultrasensible circulante (Hs-cTnT) est présenté comme un outil diagnostic encore plus précis, favorisant une prise en charge précoce du SCA.
Etablie par consensus avec l’ESC en 2012, la troisième définition universelle de l’infarctus du myocarde a fixé le 99ème percentile comme seuil décisionnel pour le dosage de la troponine ultrasensible (contre le 95ème percentile pour les autres biomarqueurs), soit la valeur pour laquelle 99% de la population de référence saine est négative [3]. Au-delà de ce seuil, on considère qu’il y a une atteinte myocardique.
Un dosage encore peu utilisé
Selon cette définition, le terme d’infarctus du myocarde (IDM) doit être utilisé lorsqu’il existe des preuves de nécrose myocardique dans un contexte clinique d’une ischémie myocardique aiguë, incluant notamment la détection d’une hausse et/ou baisse de la troponine cardiaque d’au moins une valeur au-dessus du 99ème percentile de la population de référence saine.
Actuellement, malgré les recommandations, le dosage de troponine ultrasensible est encore peu utilisé. S’il permet d’abaisser le seuil pour poser le diagnostic de l’infarctus, il restait à savoir si le choix de ce nouveau seuil, favorisant en principe une prise en charge plus précoce, permet réellement une amélioration en terme clinique. Le risque de surdiagnostic, lié à une mauvaise sensibilité, pouvait aussi être envisagé.
Pour vérifier l’intérêt de ce dosage et du seuil associé, le Pr Nicholas Mills (Université d’Edimbourg, Royaume-Uni) et ses collègues ont conduit leur étude dans dix centres hospitaliers écossais. « High-STEACS est le premier essai randomisé visant à évaluer la définition universelle de l’infarctus du myocarde développé par un groupe de travail international », a précisé le chercheur, lors d’une conférence de presse.
5% d’IDM à un an
Au total, 48 300 patients ont été admis pour suspicion de SCA. Initialement les dix centres ont utilisé le dosage standard de la troponine T circulante (cTnT). Un dosage ultrasensible a également été effectué, sans informer les praticiens des résultats. Au bout de six mois, les centres ont été randomisés pour s’appuyer sur le dosage ultrasensible, dès la randomisation d’un côté ou six mois plus tard dans l’autre.
Les patients (47% de femmes) admis étaient âgés en moyenne de 61 ans. Parmi eux, 21% (n=10 360) ont eu un diagnostic de lésion myocardique. Dans un cas sur six (n=1 771), le diagnostic a été posé grâce au test ultrasensible. Le critère principal d’évaluation associe, après un an de suivi, le diagnostic confirmé d’un infarctus du myocarde et la mortalité cardiovasculaire.
Après un an de suivi, 6% des patients admis pendant la première phase (dosage standard) ont eu un diagnostic d’IDM, contre 5% dans la deuxième phase (dosage ultrasensible). La différence n’est pas statistiquement significative.
Chez ces patients non diagnostiqués initialement, mais ayant des valeurs positives par le test ultrasensible, le critère principal a été observé dans 12,5% des cas, contre 15% dans les centres appliquant ensuite la une troponine ultrasensible. Là encore, la différence n’est pas significative.
Temps d’hospitalisation réduit
« Dans un cas sur six, une lésion ischémique a été identifiée en utilisant le test ultrasensible, mais seulement un tiers des patents ainsi diagnostiqué ont eu un infarctus du myocarde. Aucune différence n’est ressortie sur le taux d’infarctus du myocarde et de décès d’origine cardiovasculaire à un an, par rapport aux autres patients diagnostiqués par le test standard », a commenté le Pr Mills.
Les patients finalement diagnostiqués par le test ultrasensible étaient en moyenne plus âgés (75 ans contre 70 ans dans le groupe diagnostiqué après dosage standard par troponine) et majoritairement des femmes (83% contre 41%). La part de patients présentant à l’admission une douleur thoracique était identique entre le groupe troponine standard et le groupe troponine ultrasensible (67% vs 71%).
« L’étude montre que l’application du dosage de la troponine ultrasensible en utilisant le 99ème percentile comme seuil décisionnel augmente le nombre de diagnostic d’infarctus ou d’atteintes du myocarde. Malgré tout, l’utilisation de cette méthode pour aider à diagnostiquer ou à traiter les patients n’est pas associée à une baisse du taux d’infarctus ou de mortalité cardiovasculaire à un an », a commenté le Pr Mills.
Redéfinir les seuils ?
« Ces résultats apparaissent surprenants et, à première vue, décevants », ajoute-t-il. « Mais, il est encourageant de constater qu’il n’y avait pas de preuves d’erreur de diagnostic ou d’excès de traitement. De plus, la durée de séjour des patients après le dosage ultrasensible a été réduite d’un tiers ce qui confirme que les praticiens tiennent compte de la sensibilité du test ultrasensible ».
Néanmoins, cet essai vient contester la pertinence de ce dosage. « Cela interroge sur ce seuil du 99ème percentile déterminé sur une population saine pour définir l’infarctus du myocarde », a indiqué le Pr Mills. D’autant plus qu’il n’existe pas de consensus au sujet des caractéristiques et du nombre de sujets à considérer pour composer la population de référence.
D’autres recherches sont à mener, éventuellement pour redéfinir ce seuil, qui pourrait varier selon le profil de patients, estiment les auteurs. Selon le Pr Mills, « ces résultats suggèrent que la définition universelle de l’infarctus du myocarde doit aller au-delà de la logique binaire des seuils de troponine pour diagnostiquer et traiter les patients. Il est temps désormais de trouver une meilleure approche. »
Le Pr Nicholas Mills a déclaré des liens d’intérêt avec les laboratoires Abbott, Singulex et Roche, qui fournissent des tests de dosage de la troponine. HighSTEACS a été financé par la British Heart Foundation et mené avec des tests fournis par le laboratoire Abbott. |
Actualités Medscape © 2018
Citer cet article: Infarctus du myocarde: quelle place pour la troponine ultrasensible? - Medscape - 7 sept 2018.
Commenter