Munich, Allemagne — L’utilisation du médicament anorexigène lorcasérine (Belviq®, Eisai) en sus du régime et de l’exercice physique chez des patients obèses ou en surpoids à haut risque cardiovasculaire (CV) permet de maintenir une baisse de poids modeste sur 3 ans sans augmenter les événements cardiovasculaires majeurs, d’après l’étude CAMELLIA-TIMI 61 présentée au congrès de l’ ESC 2018 [1] et publiée simultanément dans le New England Journal of Medicine [2] .

Dr Erin A Bohula
« La lorcasérine est le premier traitement pharmacologique agissant sur la perte de poids qui a fait la preuve de sa sécurité concernant les événements CV majeurs », a indiqué l’un des auteurs principaux, le Dr Erin A Bohula (Brigham and Women’s Hospital, Harvard, Boston) lors de la présentation des résultats à la presse.
Ces résultats considérés comme « une avancée majeure » dans le domaine des médicaments contre l’obésité par les auteurs sont, en revanche considérés comme « décevants » par le Dr Boris Hansel (endocrinologue-diabétologue et nutritionniste à l'hôpital Bichat, Université Paris 7, Paris).
« Certes on est rassuré sur l’absence d’effets indésirables graves comme on a pu le voir avec des molécules antérieures. Mais, vu l’effet très modeste sur le poids, l’absence de bénéfice CV, et le fait qu’il y ait un signal sur les valves pas encore très clair, pour moi cette molécule doit être mise de côté ; avec une nuance, peut-être pour les patients bons répondeurs dont les caractéristiques restent à préciser », a-t-il expliqué à Medscape édition française.
Disponible aux Etats-Unis mais pas en Europe
Pour rappel, la lorcasérine est un agoniste sélectif des récepteurs 2C à la sérotonine (impliqués dans le contrôle de l'appétit et du métabolisme). Elle est commercialisée aux Etats-Unis depuis 2012 où elle est indiquée en complément de l'exercice physique et d'un régime alimentaire hypocalorique chez les adultes dont l'indice de masse corporelle (IMC) est supérieur ou égal à 30 ou chez les adultes dont l'IMC est supérieur ou égal à 27 s'ils ont au moins une pathologie associée à l'obésité comme l'hypertension, le diabète de type 2 ou une hypercholestérolémie. En revanche, elle n’a pas d’AMM européenne et n’est pas commercialisée en France en raison des incertitudes sur le rapport bénéfice-risque de la molécule.
Obligation de faire la preuve de la sécurité CV
Suite aux résultats décevants des premières générations de médicaments anti-obésité en raison d’effets secondaires psychiatriques et cardiovasculaires (rimonabant et la fenfluramine / phentermine ont été retirés du marché), les agences sanitaires ont demandé à ce que tous les médicaments testés dans l’obésité fassent la preuve de leur sécurité cardiovasculaire. C’est dans ce contexte que l’étude CAMELLIA a été réalisée.
Entre janvier 2014 et novembre 2015, l’essai international multicentrique réalisé en aveugle contre placebo a enrôlé 12 000 patients en surpoids ou obèses à haut risque CV (maladies cardiovasculaires ou multiples facteurs de risque CV). Les participants ont été randomisés pour recevoir soit 10 mg de lorcasérine deux fois par jour, soit un placebo. Tous les patients ont eu accès à un programme de perte de poids incluant une thérapie comportementale avec des informations sur le régime et l’exercice physique et un accès téléphonique illimité à un diététicien.
A l’entrée dans l’étude, l’âge moyen des participants était de 64 ans (64,2% d’hommes), l’IMC moyen était de 35 et le poids moyen de 102 kg. En tout, 57 % des patients avaient un diabète, 90 % une hypertension, 94% une hyperlipidémie et 19 % une maladie rénale chronique. Les trois quarts avaient une maladie athérosclérotique.
Les participants ont été suivis 3,3 ans en moyenne.
Une perte de poids modeste
En termes d’efficacité, à un an, la perte de poids dans le bras lorcasérine était en moyenne de 2,7 %. Une perte de poids qui s’est maintenue sur les 3,3 ans de l’étude.
Par comparaison, les mesures hygiéno-diététiques et les médicaments induisent typiquement une baisse de 2 à 10 % du poids, et la chirurgie bariatrique une perte de poids de 15 à 60 %.
Les patients recevant de la lorcasérine ont perdu 4,2 kg en moyenne versus 1,4 kg dans le groupe placebo (différence -2,8 kg, p<0,001).
Globalement 38,7 % des patients du bras lorcasérine ont perdu au moins 5 % de leur poids versus 17,4 % des patients du bras placebo et 14,6 % des patients du bras lorcasérine ont perdu au moins 10 % de leur poids versus 4,8 % des patients recevant le placebo.
Pas de sur-risque d’événements CV
Les résultats en termes d’événements CV graves (MACE) sont similaires dans les deux groupes. D’après l’analyse de non-infériorité, le critère primaire de sécurité CV n’est pas augmenté dans le bras lorcasérine lors de l’analyse intermédiaire et à 3,3 ans. En effet, à la fin de l’essai, 6,1 % des patients recevant de la lorcasérine ont expérimenté des événements CV majeurs (critère primaire de sécurité associant décès CV, IDM ou AVC) versus 6,2 % dans le bras placebo (RR=0,99, p non infériorité < 0,001).
En parallèle, aucun bénéfice n’a été observé sur le critère primaire d’efficacité étendu dans l’analyse de supériorité. Le critère primaire d’efficacité CV étendu (critère primaire composite associant : décès CV, IDM, AVC, IC, hospitalisation pour angor instable ou revascularisation coronaire) est survenu chez 12,8 % des patients recevant la lorcasérine versus 13,3 % des patients du groupe placebo, RR=0,97, p=0,55 pour la supériorité).
Tendance positive sur certains facteurs de risque CV, métaboliques et les nouveaux cas de diabète
A un an, certains facteurs de risque CV et métaboliques étaient légèrement améliorés dans le bras lorcasérine versus le bras placebo (HTA, rythme cardiaque, LDL-cholestérol, TG, hémoglobine glyquée).
« Avec la lorcasérine, on a des effets qui vont dans le bon sens concernant la tension ou la fréquence cardiaque contrairement à ce qu’on a pu voir avec d’autres molécules comme la sibutramine », souligne le Dr Hansel.
Concernant la survenue de diabète, moins de nouveaux cas ont été diagnostiqués chez les patients (en pré-diabète) recevant la lorcasérine (8,5 %) versus le bras placebo (10,3 %).
« La relation entre le contrôle de la glycémie et la lorcasérine n’est pas encore clairement établie mais des études pré-cliniques ont suggéré que la lorcasérine avait des propriétés hypoglycémiantes en dehors de la perte du poids, possiblement via les récepteurs de la mélanocortine-4 sur les neurones préganglionnaires cholinergiques », soulignent les Drs Julie R Ingelfinger et Clifford J. Rosen (Université de médecine de Boston et Institut de recherche du centre médical du Maine, Scarborough) dans un éditorial accompagnant l’article [3].
Toutefois, là encore, les éditorialistes et le Dr Hansel, jugent les résultats « décevants ».
« Dans des essais similaires sur la perte de poids incluant des patients atteints de pré-diabète recevant du liraglutide, le risque relatif de nouveaux diagnostics de diabètes était de 0,21 (IC95% : 0,13 à 0,34) alors que dans CAMELLIA, le risque de diabète parmi les patients en pré-diabète était de 0,81 (IC 95% : 0,69 - 0,99) », précisent les éditorialistes.
« Sur l’ensemble des traitements pharmacologiques de l’obésité, le liraglutide arrive clairement en tête », renchérit le Dr Hansel.
A noter, pour l’instant le liraglutide a une AMM européenne et est en attente de remboursement en France dans l’indication de la perte de poids.
Données de tolérance : un signal sur les idées suicidaires
Des effets secondaires possiblement liés à la lorcasérine et ayant induit des arrêts de traitement sont survenus plus fréquemment chez les patients recevant de la lorcasérine (7,2% vs 3,7%). Ces effets secondaires étaient le plus souvent des étourdissements, de la fatigue, des maux de tête, des diarrhées et des nausées.
Concernant les effets secondaires psychiatriques, des idées ou des comportements suicidaires ont été rapportés chez 0,4 % des patients du bras lorcasérine comparé à 0,2 % des patients du groupe placebo (p=0,08).
Les auteurs précisent que cette différence significative était cantonnée aux patients avec un diagnostic de dépression à l’entrée dans l’étude. Aucun décès par suicide n’a été déploré.
Par ailleurs, un sur-risque significatif d’hypoglycémies sévères a été observé chez les patients diabétiques dans le groupe de patients recevant le traitement actif (0,2% vs 0,1 %).
Cependant, il ne s’agit pas d’une réelle problématique, selon le Dr Hansel pour qui les hypoglycémies sévères observées dans le bras « lorcasérine » sont le reflet d’une mauvaise désescalade thérapeutique chez les patients qui ont perdu du poids. Un paramètre qui peut être corrigé.
Quid des valvulopathies et de l’hypertension pulmonaire ?
Autres sujets de préoccupation, les valvulopathies et l’hypertension pulmonaire. Toutefois, sur ces deux points, les chercheurs se veulent rassurants.
« La lorasérine a une faible réactivité-croisée sur les autres sous types de récepteurs à la sérotonine et n’altère pas le relargage ou le métabolisme de la sérotonine, donc, nous ne pensons pas qu’il y ait un risque important d’effets secondaires de type syndrome sérotoninergique, hypertension pulmonaire et valvulopathies », expliquent les auteurs.
Les données de l’étude semblent conforter cette hypothèse toutefois, un suivi sur le plus long terme sera probablement nécessaire avant d’être pleinement rassuré.
Dans CAMELLIA, globalement sur les 12 000 patients de l’étude, aucune différence significative n’a été observée sur les valvulopathies (58 dans le bras lorcasérine versus 64 dans le bras placebo).
Cependant, parmi les patients inclus dans une sous-étude d’échocardiographie sur 3270 patients, les nouveaux cas de valvulopathies ou de progression des valvulopathies (toutes asymptomatiques) à un an étaient plus fréquents dans le groupe « lorcasérine » que dans le groupe placebo (1,8% vs 1,3 %, p=0,24).
Les auteurs précisent que cette tendance est principalement liée aux nouveaux cas d’insuffisance aortique légère (23 vs 15 patients).
Par comparaison, les chercheurs précisent qu’avec la fenfluramine-phentermine, les valvulopathies symptomatiques étaient survenues en moyenne un an après l’initiation du traitement.
Concernant l’hypertension pulmonaire, à un an, les nouveaux cas ou les cas de progression avaient tendance à être plus fréquents dans le bras lorcasérine que dans le bras placebo (1,6% vs 1%, p=0,26).
Au final, pour les éditorialistes, sur ces derniers critères, obtenir des données à long terme « sera très important car la lorcasérine sera probablement utilisée pendant des années pour maintenir la perte de poids ».
« D’un côté on est déçu pour une utilisation à grande échelle en raison de l’effet modeste sur le poids et des signaux sur les valvulopathies, l’hypertension pulmonaire et les troubles psychiatriques et d’un autre côté, on est rassuré sur le plan des événements cardiovasculaires majeurs si on veut cibler une population de répondeurs », a conclu le Dr Hansel.
L’étude a été financée par les laboratoires Eisai. Le Dr Bohula a des liens d’intérêt avec Servier, Merck, NIH, Lexicon, Medscape, Academic CME, MD Conference Express, Paradigm, et Novartis, Elle a reçu des bourses de recherche d’Amgen, Astra Zeneca, et Merck. Le Dr Boris Hansel a des liens d’intérêt avec Iriade |
Actualités Medscape © 2018 WebMD, LLC
Citer cet article: CAMELLIA : résultats mitigés de l’anorexigène lorcasérine - Medscape - 28 août 2018.
Commenter