Munich, Allemagne — Après une aggravation d’une insuffisance cardiaque chronique nécessitant une hospitalisation, l’ajout de l’anticoagulant oral direct anti-Xa rivaroxaban (Xarelto®, Bayer) au traitement antithrombotique standard (aspirine combinée ou non) chez les patients coronariens stables n’apporte pas de bénéfice supplémentaire en prévention des événements cardiovasculaires. La combinaison thérapeutique n’a pas d’impact sur le taux de réhospitalisation.
Ces résultats de l’essai COMMANDER HF ont été présentés lors du congrès de l’ ESC2018 et ont fait l’objet d’une publication simultanée dans le NEJM [1,2]. Alors que la combinaison Xarelto®+aspirine a fait ses preuves en prévention secondaire dans de précédents essais chez des patients coronariens stables, ce nouvel essai montre qu’elle n’a pas d’intérêt pour cette population de patients.
Efficace avant aggravation de l’IC
« Malgré des progrès significatifs dans le traitement de l’insuffisance cardiaque chronique, les taux de mortalité et de réhospitalisation restent élevés après une aggravation des symptômes. Plusieurs thérapies visant divers mécanismes ont déjà été évaluées, sans succès, après une décompensation », a commenté le Pr Faiez Zannad (CHRU de Nancy, France), principal auteur de l’étude, lors de la présentation de l’étude en conférence de presse.
Le rivaroxaban est un anticoagulant oral direct (AOD) limitant la formation de thrombine. En 2017, lors du dernier congrès de l’ESC, les résultats de l’essai COMPASS ont permis d’envisager son association avec l’aspirine comme nouvelle stratégie antithrombotique en prévention secondaire en montrant sa supériorité sur l’aspirine seule chez des patients coronariens stables. Des résultats qui ont récemment entrainé une extension d’indication (voir encadré).
Dans l’essai COMPASS, la combinaison s’est également avérée efficace dans un sous-groupe de patients atteints d’insuffisance cardiaque chronique. De même, l’essai ATLAS ACS, qui a évalué la co-administration de l’AOD à faible dose avec l’aspirine en prévention secondaire chez les patients adultes après un syndrome coronarien aigu, a montré un bénéfice accru chez ceux ayant des antécédents d’insuffisance cardiaque et à haut risque cardiovasculaire.
Taux de décès de 22% avec ou sans l’AOD
Partant de ce constat, le Pr Zannad et ses collègues ont conduit ce nouvel essai randomisé, réalisé en double aveugle, qui a inclus 5 022 patients dans les 21 jours qui ont suivi une hospitalisation pour décompensation d’une insuffisance cardiaque chronique à fraction d’éjection réduite (fraction d’éjection de 40% ou moins). Les patients présentaient également une maladie coronarienne et n’étaient pas traités par anticoagulant.
Agés en moyenne de 66 ans, ils ont été recrutés dans 628 centres de 32 pays entre septembre 2013 et octobre 2017. Ils ont ensuite été randomisés pour recevoir, en plus du traitement standard (aspirine seule ou combinée à une thiénopyridine), soit du rivaroxaban à faible dose (2 x 2,5 mg/jour), identique à celle associée à un bénéfice dans COMPASS et ATLAS ACS, soit un placebo.
Le critère de jugement primaire est un critère composite associant l’infarctus du myocarde (IDM), l’AVC et les décès, toutes causes confondues. Après un suivi pendant une période médiane de 21 mois, il est survenu chez 25% des patients sous rivaroxaban, contre 26,2% des patients du groupe contrôle (HR= 0.94; IC à 95% [0.84 -1.05]; P = 0.27). La différence n’est pas significative.
Nouvelle AMM pour Xarelto®
En s’appuyant sur les résultats de COMPASS, le laboratoire Bayer avait demandé une extension d’indication pour son anti-Xa rivaroxaban, qui vient d’être accepté par l’Agence européenne du médicament (EMA), a annoncé le laboratoire dans un communiqué[3]. Le Xarelto® est désormais indiqué en association avec l’aspirine en prévention des événements thrombotiques chez les patients présentant une maladie coronarienne ou une pathologie artérielle périphérique symptomatique.
Pour rappel, dans cet essai de phase III, l’association Xarelto® (2 x 2,5mg/jour)/aspirine 100mg (1x /jour) a abaissé de 24% le risque combiné d’AVC, de décès cardiovasculaire et d’infarctus du myocarde par rapport à l’aspirine seule. Le risque d’AVC était également réduit de 42 % avec la bithérapie et celui de la mortalité cardiovasculaire de 22 %.
L’anticoagulant avait déjà obtenu un avis favorable de l’Europe pour une association avec l’aspirine en prévention des événements athérothrombotiques chez les patients adultes suite à un syndrome coronarien aigu (SCA) avec élévation des biomarqueurs cardiaques (essai ATLAS ACS).
Moins d’AVC sous rivaroxaban
En détail, le taux de décès toute cause était de 21,8% dans le groupe rivaroxaban, contre 22,1% dans le groupe contrôlé. Dans 84% des cas, les décès étaient d’origine cardiovasculaire. En ce qui concerne le taux d’infarctus du myocarde non mortel, il est respectivement de 3,9% et 4,7%. La seule différence significative concerne l’AVC non mortel, le taux apparaissant plus faible sous rivaroxaban (2% vs 3%).
En combinant les décès d’origine cardiovasculaire et les réhospitalisations pour aggravation de l’insuffisance cardiaque (critère composite secondaire), les résultats sont également similaires entre les deux groupes, puisque cela concerne 37,2% des patients sous rivaroxaban versus 36,9% avec le placebo.
En termes de sécurité, il n’y a pas de différence significative concernant le taux d’hémorragie sévère conduisant au décès ou survenant sur un site critique (0,7% avec rivaroxaban et 0,9% avec placebo). Dans le cas saignements considérés comme majeurs (critères ISTH), ils apparaissent plus fréquents avec l’anti-Xa, mais restent peu nombreux dans les deux groupes (3,3% vs 2%).
La piste des anti-aldostérones à explorer
Pour expliquer la différence de résultats entre les essais COMPASS et COMMANDER HF, le Pr Zannad a présenté un tableau comparatif entre les deux populations de patients insuffisants cardiaques. « Les taux d’infarctus et d’AVC sont supérieurs après hospitalisation, avec le placebo ou le rivaroxaban, et les taux de mortalité, toute cause ou d’origine cardiovasculaire, sont trois fois plus élevés »
« COMMANDER HF a inclus des patients à très haut risque de décès. C’est probablement une des raisons majeures de l’échec de la thérapie. Cet essai suggère, en effet, que pour cette population spécifique, les décès survenant après une aggravation de l’insuffisance cardiaque sont davantage liés aux répercussions de la défaillance cardiaque qu’aux potentiels événements thromboemboliques. »
« Les résultats étaient assez inattendus », a commenté le cardiologue, auprès de Medscape édition française. « C’est décevant, car on n’a toujours pas de nouveau traitement à proposer à ces patients, mais d’un autre côté, il est intéressant de montrer que le blocage de la thrombose n’est pas la solution après une décompensation cardiaque. Mais il n’est pas nécessaire de poursuivre dans cette voie ».
Selon le Pr Zannad, après les multiples pistes explorées pour améliorer le pronostic de ces patients, il reste encore à évaluer l’utilisation des antagonistes de l’aldostérone après décompensation cardiaque. « Ils donnent déjà de bons résultats dans l’insuffisance cardiaque chronique et très sévère. On peut espérer avoir des résultats concluants dans cette indication. »
L’essai COMMANDER HF a été financé par Janssen Research and Development. Le Pr Faiez Zannad a déclaré des liens d’intérêt avec Janssen et Bayer. |
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Citer cet article: Insuffisance cardiaque décompensée: l’ajout de rivaroxaban sans effet en prévention secondaire - Medscape - 27 août 2018.
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