Stanford, Etats-Unis — La hausse des suicides, nouvelle conséquence néfaste et inattendue du réchauffement climatique ? C’est ce qu’indique une étude californienne qui a montré une augmentation de 0,7% des taux de suicide aux Etats-Unis et de 2,1% dans les villes mexicaines pour une augmentation moyenne mensuelle de la température de 1 °C. Et une analyse de messages sur Twitter semble corroborer cette analyse rétrospective. Compte-tenu du réchauffement climatique, ce résultat pourrait se traduire par des dizaines de milliers de suicides additionnels dans ces 2 pays à l’horizon 2050, soit un impact non négligeable.
L’étude a été publiée en ligne le 23 juillet dans Nature Climate Change[1].
Un lien connu entre hausse des températures et santé
Le lien entre hausse des températures et santé est désormais bien connu. L’OMS s’en est ému en 2015 et y a consacré tout un rapport.
Le lien s’étend des pathologies cardiovasculaires, et notamment l’infarctus, jusqu’aux maladies vectorielles, en passant par la santé mentale. Concernant ce dernier aspect, de nombreuses théories ont été échafaudées mais l'association a jusqu’ici été peu quantifiée de manière objective. D’où ce travail qui a comparé les températures entre 1968- 2004 aux Etats-Unis et entre 1990-2010 au Mexique avec les données sur le suicide dans les deux pays.
« L’existence de fortes tendances saisonnières pour les suicides (généralement, un pic au début de l'été) est connue depuis le dix-neuvième siècle », écrivent les chercheurs. En outre, « le suicide à lui seul provoque plus de décès dans le monde que toutes les formes de violence interpersonnelle et intergroupes combinées ».
Ce qu’on ne savait pas, c'est si l’augmentation des températures est en soi une cause de suicides ; ou alors s’il s’agit plutôt de facteurs météorologiques susceptibles de varier selon la saison, tels que l'exposition à la lumière du jour; ou bien encore l’influence de facteurs sociaux ou économiques, qui peuvent eux aussi évoluer de manière saisonnière.
Choix des mots et analyse de tendances sur Twitter
« Nos résultats suggèrent que pour une augmentation de la température moyenne mensuelle d'un degré Celsius, les suicides s’élèvent de près de 1% aux États-Unis et d'un peu plus de 2% au Mexique » écrivent les auteurs. Lesquels précisent : en comparaison, la déviation standard moyenne sur toute la durée est de 1,7°C au niveau des Etats-Unis, suggérant que les taux de suicide mensuels ont augmenté de plus de 2% en raison des températures enregistrées pendant les mois les plus chauds.
« Nous avons confirmé ces résultats en utilisant une deuxième source de données sur les suicides issue du CDC, et trouvé des estimations légèrement plus fortes avec ses données plus récentes (1,3% pour une augmentation de 1°C des températures annuelles) » ajoutent-ils.
Les résultats de l’analyse de vocabulaire sur Twitter s’est, elle aussi, avéré probante.
Par quels mécanismes biologiques ?
Ce qui semble avoir surpris les chercheurs, c’est que leurs travaux n’ont montré aucun effet d’adaptation en cours du temps.
Primo, le lien ne s’est pas atténué au cours de la période de temps étudiée, remarquent-ils.
Secundo, ils n’ont trouvé aucune preuve que les personnes exposées fréquemment à de fortes températures y soient moins sensibles.
Tertio, le niveau socio-économique des populations étudiées n’influe pas et l’adoption de l’air conditionné ne change rien non plus, même dans des zones avec des températures très élevées (>30°C).
Le sexe, la méthode de suicide utilisée (pour les Etats-Unis), la taille du comté, et le taux de possession d’armes (différent selon les Etats américains) n’ont pas eu plus d’impact. Et ce, quel que soit le modèle statistique utilisé. « Et même si l’on peut envisager d’autres facteurs confondants, écrivent les auteurs, nos résultats montre que l’on peut considérer cette association comme généralisable à d’autres populations et à d’autres contextes ».
Mais, une fois cela établi, isoler un mécanisme responsable du lien entre températures élevées et hausse de la mortalité par suicide reste très compliqué, reconnaissent les auteurs. « Une des hypothèses serait que les températures élevées altèrent directement le sentiment de bien-être des individus, via des effets sur la thermorégulation (à l’instar d’une perfusion cérébrale altérée) ou au travers d’autres réponses neurologiques à la température » écrivent-ils.
Comment la température, la régulation thermique et la manière dont le cerveau régule ses émotions pourraient-elles expliquer l'augmentation du taux de suicide ?
Interrogé par Medscape Medical News, le Dr Joseph H. Baskin, psychiatre à la Cleveland Clinic Foundation et professeur adjoint à la Cleveland Clinic / école de médecine Case Lerner (Ohio) a admis que la réponse était difficile et proposé l’explication suivante : « peut-être qu'à des températures plus élevées, la capacité à traverser des situations difficiles est altérée parce que la cognition est ternie. Avec un esprit moins rationnel sur lequel compter, les pulsions d'un individu sont plus enclines à s’exprimer librement ». Il a ajouté cependant qu'il existait une myriade de facteurs de suicidabilité, y compris les facteurs individuels, économiques, de santé mentale et sociétaux, ainsi que l'accessibilité aux moyens létaux.
« Quoi qu’il en soit, disent les auteurs, nos résultats suggèrent que le mécanisme par lequel les températures affectent le suicide est probablement très différent de la façon dont les températures affectent toutes les autres causes de mortalité ». Contrairement à la mortalité toute-cause, les suicides augmentent avec la température et diminuent avec le froid. « Cette réponse linéaire et stable est assez comparable au lien démontré entre des actes de violence interpersonnelle et intergroupes et la température, et qui pourrait relever aussi d’une origine biologique » analysent-ils.
A quoi faut-il s’attendre avec le réchauffement climatique ?
Compte-tenu du réchauffement climatique et de l’apparente absence de phénomène adaptatif, les chercheurs ont consacré l'autre partie de leur étude à calculer des projections sur ce que pourrait être le taux de suicide en 2050. Pour ce faire, ils se sont appuyés sur les 30 modèles de changements climatiques tiré d’un récent rapport « Intergovernmental Panel on Climate Change’s Fifth Assessment Report » et ont pris en compte les chiffres prévoyant une augmentation moyenne des températures de 2,5 °C (IC95% : 1,3 °C–3,7 °C) aux Etats-Unis et de 2,1 °C (IC95%: 1,5 °C–3,2 °C) au Mexique par rapport à l’année 2000.
Ils ont ainsi établi qu’une augmentation de 1,4% (IC95% : 0,6%–2,6%) des taux de suicide pourrait intervenir aux Etats-Unis à l’horizon 2050 et de 2,3% (IC95% CI: − 0,3%–5,6%) au Mexique.
En combinant ces chiffres et les projections en termes d’évolutions de populations dans ces deux payx, les chercheurs ont établi, qu’en 2050, les changements climatiques causeraient 14 020 suicides supplémentaires aux Etats-Unis (IC95% CI: 5,600–26,050) et 7 460 au Mexique (95% CI: − 890–18,300).
Les chercheurs en arrivent à la conclusion que les modifications du taux de suicide sous l’influence du climat pourraient, au final, être de même ampleur que d’autres facteurs sociétaux ou politiques bien connus. Et de donner les exemples suivants : l’effet du climat sur les actes suicidaires en 2050 serait approximativement (en valeur absolue) deux à quatre fois l’effet estimé d’une augmentation d’1% du taux de chômage dans l’Union Européenne, moitié aussi importante que l’effet du suicide d’une célébrité au Japon et correspondrait au tiers de la magnitude (mais à l’inverse) de l’impact estimé par la mise en place de lois restrictives sur les armes à feu aux Etats-Unis ou de l’effet d’un programme de prévention du suicide dans les pays développés.
« L’ampleur de nos résultats, concluent les chercheurs, encourage à mettre encore plus d’énergie à comprendre pourquoi les températures affectent le suicide et à mettre en place des politiques pour contrer l’élévation future des températures ».
Cependant, a déclaré le Pr Baskin à nos collègues, d'autres études sont nécessaires. « Cette étude est une analyse rétrospective; elle regarde en arrière. La norme de référence en matière de recherche est une étude perspective, contrôlée en double aveugle. Ce que ces résultats suggèrent, c'est la nécessité de davantage de recherche », a-t-il considéré.
L'étude a été financée en partie par le Stanford Woods Institute for the Environment. Le Dr Neal et les chercheurs n'ont disent avoir aucun lien d’intérêt. |
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Citer cet article: Un lien entre températures élevées et hausse des suicides aux Etats-Unis et au Mexique - Medscape - 9 août 2018.
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