POINT DE VUE

RTU de la PrEP : un retard de mise en place délétère ?

Pr Gilles Pialoux

Auteurs et déclarations

6 août 2018

Le blog du Pr Pialoux - infectiologue

TRANSCRIPTION

Un rapport de l’IGAS, qui s’est penché sur la mise à disposition en France de la PrEP, souligne la longueur de durée d’instruction de la RTU du Truvada®. Un délai qui aurait entraîné des contaminations évitables, selon les rapporteurs. Le Pr Pialoux donne son point de vue.

Bonjour. Gilles Pialoux — je suis professeur de maladies infectieuses à l’hôpital Tenon et aussi à l’université Paris-Sorbonne. Je suis ravi de vous retrouver dans ce blogue de Medscape France pour une vision estivale, cette fois-ci non pas sur une publication ou sur une alerte sanitaire en maladies infectieuses, mais sur un rapport et un rapport de l’IGAS, l’Inspection générale des affaires sociales, ce qui est assez rare, qui s’est penché sur la mise à disposition en France de la PrEP, que vous connaissez, dont on a déjà eu l’occasion de parler, c’est-à-dire la prophylaxie préexposition par le TRUVADA®, qui est passée, comme vous le savez, avant l’AMM par une RTU, une mise à disposition temporaire d’utilisation, qui a été encadrée par l’ANSM dans des conditions assez strictes et assez documentées.

Le ministère, sous la ministre précédente, a demandé un rapport sur cette RTU pour savoir si elle avait été suffisamment mise en place et si les autorités françaises n’avaient pas perdu de temps. Les deux rapporteurs de l’IGAS sont bien connus du système sanitaire français, puisqu’ils ont occupé des places extrêmement importantes tant au ministère pour l’un — Gilles Duhamel — comme chef de cabinet du ministre et pour Aquilino Morelle comme conseiller du président Hollande, à l’époque.

Et là — autant être très clair — les rapporteurs de l’IGAS se sont lâchés dans ce rapport que vous pouvez télécharger sur le site de l’IGAS. Le rapport est à charge contre cette RTU et les retards de prise en charge qu’elle a entraînés. Le ton est assez rare pour un rapport de l’IGAS et a nécessité de la part de l’IGAS une mise en garde qui figure dans le communiqué de presse et aussi au début du rapport, chose assez exceptionnelle pour cette institution assez attachée à l’indépendance de ses inspecteurs.  Cette mise en garde dit qu’en dépit du caractère très documenté et circonstanciel de ce rapport, le ton virulent parfois employé par ses auteurs ainsi que certains propos excessifs sont regrettables. Voilà pour le cadre.

Alors, pour le reste, les rapporteurs de l’IGAS sont partis d’un constat technique – ils considèrent qu’un médicament qui a déjà une AMM n’a pas besoin de passer par la case RTU et que cette procédure a été inventée par l’ANSM, qu’elle est lourde, inutile et pénalisante, selon eux, et, de fait, toutes les institutions en prennent pour leur grade dans ce rapport de 158 pages, c’est-à-dire la HAS, l’ANSM, Santé publique France et la DGS, qui est clairement plus ciblée encore que les autres institutions avec, notamment, cette sentence sur la Direction générale de la santé qui n’aurait, selon eux, pas correctement anticipé les évolutions en termes de prévention de l’infection par le VIH que la chimioprophylaxie allait susciter. Des gestes qui selon l’IGAS — je cite toujours — auraient depuis plus de 20 ans un déficit quantitatif et qualitatif de compétence et d’expertise qui continue à la pénaliser.

RTU : retard de mise en place ou prudence scientifique ?

Alors, question retard, il est clair — et le rapport est assez bien documenté sur ça — qu’effectivement on a attendu les communications scientifiques des essais PROUD, notamment, et de l’essai ANRS IPERGAY, qui a été l’objet d’un précédent blogue sur Medscape et qu’on ne peut pas tellement en vouloir à une institution, soyons clairs, d’attendre des communications scientifiques, voilà. Pour les deux inspecteurs, la réponse est clairement : « C’est une faute, il fallait aller plus vite. » Et ils évaluent entre 1666 et 4000 le nombre de contaminations qui auraient pu être évitées si, précisément, on avait eu une procédure plus allégée que cette RTU qui a mis du temps à se mettre en place.

Quels freins ?

Alors, parmi les critères qui ont freiné la volonté politique et publique, il y en a plusieurs qui sont épinglés et qui méritent d’être discutés. Et je cite ces facteurs qui ont ralenti la décision publique en matière de prévention du SIDA pour ce qui est de la PrEP.

La première, selon les rapporteurs de l’IGAS, c’est la vision erronée, érigée, selon eux, en véritable dogme, dogme selon lequel le tout préservatif devrait se suffire à lui-même en matière de prévention — ça, c’est un élément important.

L’influence, aussi, excessive des associations de lutte — les rapporteurs de l’IGAS parlent d’une congestion du système de santé/VIH en France. La sous-estimation collective du VIH comme maladie chronique. La dictature des essais randomisés contrôlés en double-aveugle sur le raisonnement médical — on ne sait pas si on peut suivre les inspecteurs de l’IGAS sur ce point, parce que la seule façon, dans un système de prévention comme, par exemple, la PrEP, d’avoir une efficacité indiscutable, en tout cas auprès des agences de tous les pays industrialisés, est précisément d’avoir des essais randomisés et, si possible, contre placebo. Et ça a été le cas de IPERGAY, notamment.

La faiblesse persistante de la santé publique en France est leur cheval de bataille et les rapporteurs de l’IGAS soulèvent des points qui sont tout à fait intéressants justement sur l’efficacité du préservatif et reviennent sur cette question du 100 % au préservatif et du 100 % efficace, dont on sait que c’est un leurre. Le deuxième point qui est important, c’est qu’ils redonnent les chiffres d’efficacité du préservatif : 70 % dans les méta-analyses sur la population d’hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes et autour de 80 % dans la population hétérosexuelle.

Quant aux IST, on sait très bien que sur le plan théorique la PrEP avec les deux molécules actives dans le TRUVADA ciblant le VIH ne protège pas intrinsèquement contre les autres IST. En fait, c’est un phénomène artéfactuel. Les IST ont augmenté considérablement bien avant l’arrivée de la PrEP, premièrement, et on sait – et ça, la RTU, il faut rendre grâce à la RTU de l’ANSM d’avoir mis en place le fait que ça ne soit pas seulement la distribution de TRUVADA – mais qu’il y a une offre de santé sexuelle qui inclut la remise à jour des vaccinations, le dépistage des IST asymptomatiques, dont on sait que dans 70 % à 80 % des cas elles n’auraient pas été traitées parce que, précisément, asymptomatiques.

Dans notre expérience, à Tenon, on voit les « PrEPeurs », comme on les appelle, on a une file active d’à peu près 500 personnes — on les voit tous les trois mois et tous les trois mois ils ont des dépistages des IST et on en trouve régulièrement des asymptomatiques que l’on traite et donc, finalement, la PrEP, dans son sillage, a amené quelque chose qui correspond bien, d’ailleurs, au plan de santé sexuelle.

Les associations pointées du doigt

Alors, le dernier coup que le rapport de l’IGAS tente d’assener à la démocratie sanitaire, si l’on peut dire, c’est que les associations auraient participé à la lenteur de mise en place de la prévention par le TRUVADA et de la PrEP. C’est assez inexact. Il est vrai qu’il y a eu des conflits associatifs, notamment entre Act Up, l’association, et l’association AIDES, mais que c’est aussi l’association AIDES qui très tôt a demandé à la fois qu’il y ait des essais, à la fois qu’il y ait de la recherche, à la fois qu’il y ait la RTU. Et on ne peut pas reprocher dans le champ du VIH aux associations de ne pas avoir œuvré pour la santé publique, la justice et l’égalité des personnes vivant avec le VIH et, bien sûr, la défense des personnes les plus vulnérables dans ce combat qui nous occupe tous.

Je vous remercie et à très bientôt.

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