Atlanta, Etats-Unis – Les femmes transgenres présentent un risque accru de maladie thromboembolique veineuse (MTEV) – et d’accidents vasculaires cérébraux ischémiques dans une moindre mesure – en particulier après avoir démarré un traitement œstrogénique, selon la plus grande étude réalisée à ce jour chez les personnes transgenres aux États-Unis. Ce risque de MTEV sous traitement œstrogénique donné à l’occasion d’une transition de genre diffère fortement de celui que l’on observe sous traitement hormonal de la ménopause (THM), notent les auteurs. L'étude a été publiée en ligne le 10 juillet dans les Annals of Internal Medicine[1].
Absence de données fiables jusqu’à aujourd’hui
La survenue d’un certain nombre d'événements cardiovasculaires aigus chez les patients transgenres a été rapporté de façon ponctuelle ou dans de petites études, expliquent les auteurs. Mais, jusqu’à présent, en l’absence de données spécifiques dans cette population particulière, les femmes ménopausées sous THM constituaient la population de référence pour essayer de quantifier les risques associés aux hormones féminines données aux femmes transgenres.
Désormais, « nos résultats indiquent que les candidats à la transition féminine traités par hormone ont des taux plus élevés de MTEV et, dans une moindre mesure, d'AVC ischémiques, par rapport aux taux correspondants chez les hommes et les femmes cisgenres », concluent les auteurs.
2842 femmes transgenres et 2118 hommes transgenres
Pour arriver à cette conclusion, Dr Darios Getahun (Département de recherche et d'évaluation, Kaiser Permanente, Pasadena, Californie) et ses collègues se sont fondés sur les données des dossiers médicaux électroniques des différents sites de Kaiser Permanente en Géorgie, en Californie du Nord et en Californie du Sud. Ceux-ci ont servi à identifier 2842 transgenres femmes (hommes assignés à la naissance mais transition pour devenir une femme) et 2118 transgenres hommes (assignés femmes à la naissance mais transition pour devenir un homme). Les participants ont été suivis depuis une date de référence ou date-index – choisie comme la première preuve de leur statut transgenre – de 2006 à 2014. La proportion de nouveaux participants dans la cohorte n’a fait qu’augmenter avec le temps – environ 40% ont été identifiés au cours des 3 dernières années de l’étude. Le suivi moyen a été de 3,6 à 4 ans.
Ces deux groupes ont ensuite été appariés à 48 686 hommes et 48 775 femmes cisgenres (individus dont l'identité de genre correspond au sexe assigné à la naissance). « Nous avons utilisé des groupes de référence cisgenres masculins et féminins parce que les concentrations sériques hormonales chez les personnes transgenres peuvent varier entre les taux physiologiques normaux des hommes et des femmes, selon les doses et la voie utilisée pour l'hormonothérapie ainsi que les caractéristiques individuelles », expliquent les auteurs.
Quant au type d'hormonothérapie, il a pu être identifié grâce aux dossiers médicaux électroniques des patients comportant les données de prescription. Les substances féminisantes (comme l’estradiol et la spironolactone) chez les participants identifiés comme de sexe masculin à la naissance et les produits masculinisants (comme la testostérone) chez les participants identifiés comme de sexe féminin à la naissance attestaient de l’hormonothérapie.
Taux plus élevés de MTEV et, dans une moindre mesure, d'AVC ischémiques
Les personnes transgenres féminines ont expérimenté 148 événements CV aigus depuis la date servant de référence : 61 MTEV, 54 AVC ischémiques et 33 infarctus du myocarde (voir tableau). Dans la cohorte transgenre masculine, ont été dénombrés 23 MTEV, 16 AVC ischémiques et 9 infarctus du myocarde.
Les résultats font apparaitre « une augmentation de l'incidence de la MTEV chez les femmes transsexuelles, dans la période qui suit la date-index du changement de genre, quelle que soit la cohorte servant de référence, et la différence semblait plus prononcée au fur et à mesure que le suivi s’allonge », ont rapporté les chercheurs.
Par exemple, les femmes transgenres avaient un risque 1,9 fois plus élevé de MTEV sur l'intervalle de suivi complet par rapport aux hommes cisgenres et un risque environ 2 fois plus élevé par rapport aux femmes cisgenres (Voir tableau). Pour l'AVC ischémique, le risque pour les femmes transgenres était environ 1,2 fois plus élevé que pour les hommes cisgenres et 1,9 fois plus élevé que pour les femmes cisgenres.
Cohorte et événements d’intérêt |
Cohorte transgenre féminine |
Risque relatif ajusté (IC95%) |
||
Cohorte transgenre femmes (n = 2842) |
Evénements CV aigu (n) |
Incidence (IC95%) |
Vs hommes de référence |
Vs femmes de référence |
MTEV |
61 |
5,5 (4,3 – 7,0) |
1,9 (1,4 – 2,7) |
2,0 (1,4 – 2,8) |
AVC ischémique |
54 |
4,8 (3,7 – 6,3) |
1,2 (0,9 – 1,7) |
1,9 (1,3 – 2,6) |
Infarctus du myocarde |
33 |
2,9 (2,1 – 4,1) |
0,9 (0,6 – 1,5) |
1,8 (1,1 – 2,9) |
Mais les différences les plus marquées en termes de risque cardiovasculaire aigu ont été observées dans la petite cohorte de femmes transgenres (n = 853) qui ont initié une thérapie par estrogènes après la date index. Les courbes ajustées de survie, en particulier les courbes de Kaplan-Meier, montrent un point d’inflexion après 2 ans pour les MTEV et après 6 ans pour les AVC ischémiques. La courbe ne montre, en revanche, pas d’augmentation du nombre d’infarctus mais le petit nombre d’événements ne permet pas de conclure d’un point de vue statistique.
Dans cette sous-cohorte, la formulation la plus courante d'œstrogènes prise par les femmes transgenres était l'œstradiol, à une dose quotidienne maximale moyenne de 4,1 mg.
Un risque différent des femmes sous THM
Au final, l’étude montre que les femmes transgenres présentent un risque accru de maladie thromboembolique veineuse (MTEV) – et d’accidents vasculaires cérébraux ischémiques dans une moindre mesure – que leurs équivalents chez les hommes et femmes cisgenres. Les taux d’infarctus du myocarde étaient plus élevés chez les femmes transgenres que chez leurs équivalents cisgenres mais du même ordre que ceux observés parmi les hommes cisgenres. En revanche, les preuves n’étaient pas suffisantes pour tirer des conclusions chez les hommes transgenres quant aux événements CV aigus, quels qu’ils soient.
Le deuxième résultat d’intérêt est que les femmes qui ont initié un traitement estrogénique pendant le suivi, ont un risque clairement différent de celui rapporté précédemment, en particulier chez les femmes ménopausées recevant un THS, qui constituaient jusqu’à présent la seule référence, notent les chercheurs.
Par exemple, dans un essai clinique de THM chez des femmes ménopausées, les taux de MTEV ont augmenté relativement rapidement après le début de l'intervention et semblaient décliner pour se stabiliser après cinq ans de suivi. Mais ici chez les femmes transgenres, les taux de TEV n'ont augmenté qu'après 2 ans de suivi et ont continué à augmenter pendant encore 5 à 6 ans. De même, les taux d'AVC ischémiques dans les cohortes qui ont initié un traitement aux œstrogènes et dans les deux cohortes de référence n'ont pas différé au cours des six premières années de suivi « mais ont clairement divergé par la suite ».
L’étude comporte, bien évidemment, des limites, l’une d’entre elles a été de s’assurer que les participants à cette étude observationnelle ne recevaient pas des soins dans d’autres localisations que le système Permanente. « Et ce d’autant que les résultats de l’étude suggèrent que certaines personnes dont il n’a pas été retrouvé trace d’une prescription d’hormones dans les dossiers médicaux, ont pu en recevoir par ailleurs », affirment les chercheurs. Cette remarque a des implications aussi bien en termes de recherche que de clinique, car elle illustre à quel point il est difficile d’établir l’historique complet de la prise d’hormones, ajoutent-ils. Et aussi, bien que les données aient été ajustées sur différents paramètres, certaines informations sur des paramètres confondants (comorbidités, prise de statines…) n’étaient pas disponibles.
Continuer à évaluer le risque
Concernant les transgenres hommes, l’absence d’associations avec de potentiels événements CV aigus ne doit pas être interprétés hâtivement, indiquent les auteurs. Nos analyses suggèrent que les hommes transgenres pourraient présenter un risque plus élevé d’infarctus du myocarde mais le nombre d’événements CV était insuffisant pour arriver à une telle conclusion étant donné l’âge relativement jeune de cette cohorte.
« Ces résultats sur l'augmentation du risque thromboembolique chez les femmes transgenres confirment la nécessité d'une vigilance à long terme dans l'identification des effets secondaires vasculaires des œstrogènes », soulignent les chercheurs. Ils ne doivent pas, pour autant, être considérés comme une raison pour ne pas donner d’hormones aux patient.e.s transgenres. En revanche, « il faut peser le risque d'événements cardiovasculaires aigus au regard des bénéfices potentiels », soulignent-ils.
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Citer cet article: Risque thromboembolique accru chez les femmes transgenres - Medscape - 23 juil 2018.
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