France – A en croire les experts, avec l’intelligence artificielle, tout le monde devrait s’y retrouver. Les médecins auront plus de temps pour leurs patients, les patients seront mieux pris en charge grâce à une médecine personnalisée et même la société, allégée du poids financier de la santé, devrait s’en porter mieux. Crédible ?
Médecins : l’IA est une chance
A en croire les ingénieurs et des industriels dans le domaine, y compris ceux qui ont aussi un cursus médical, tous les médecins qui voient la machine comme une ennemie, se trompent. Pour Racha Abu El Ata, directrice santé et social de Microsoft France interrogée par Medscape édition française : « numérique et médecine sont fait pour s’entendre ».
Les promesses de l’IA en santé, ce sont d'ailleurs les industriels à la tête de sociétés tournées vers l’innovation qui en parlent le mieux, à l’instar de David Corcos, directeur général de Philips France qui, lors de la Paris HealthCareWeek, a affirmé : « l’IA est une chance » [1]. Et le médecin devra en être l’un des principaux bénéficiaires. Selon lui, seule la technologie permettra de résorber le déficit de médecins et d’équipes médicales – en accélérant certaines tâches médicales et/ou administratives longues et fastidieuses et pour lesquelles la machine fait mieux que l’humain ou encore en organisant et en gérant la télésurveillance à distance des patients atteints d’une maladie chronique.
Car, non seulement, l’IA ne va pas les remplacer à plus ou moins court terme, mais elle vient comme un partenaire qui va les aider à mieux faire leur travail en leur libérant du temps – aujourd’hui occupé à de l’administratif ou à d’innombrables rendez-vous – au profit d’activités purement médicales et dédiées au patient (voir Santé : terreau fertile pour l’intelligence artificielle). «Aujourd’hui, 30% du temps du médecin est consacré à la recherche d’informations ou à de l’administratif, soit des tâches à faible valeur ajoutée. L’IA est un moyen de leur libérer du temps » considère Racha Abu El Ata. La formule revient d’ailleurs comme un leitmotiv quand on écoute les spécialistes de l’IA. Pour Thomas Duval de la startup SanCare : « quand les taches simples sont faites et bien faites par la machine, cela permet au médecin de se recentrer sur l’humain et sur le complexe » [1]. Pas question de remplacer donc mais bien de l’« augmenter » (voir encadré ci-dessous).
Les médecins doivent-ils avoir peur de l’IA ?
Les industriels, que l’on pourrait accuser de parti pris, ne sont pas les seuls à partager ce point de vue. Le Dr Eric Topol, cardiologue, prospectiviste et rédacteur en chef de l’édition internationale de Medscape ne dit pas autre chose : « les professionnels de santé resteront au cœur de la prise en charge médicale. L’IA augmentera leurs capacités de diagnostic en leur faisant gagner du temps sur l’observation fastidieuse des images » [2]. Autrement dit, « l’IA n’est pas près de remplacer les médecins rapidement ». « Cependant, dans les années à venir, affirme-t-il, dans un article du Lancet sur les avancées et limites actuelles de l’IA en matière d’aide au diagnostic, l'IA pourrait devenir le complément infatigable et rentable des médecins en leur donnant plus de temps pour se concentrer sur la complexité de chaque patient pris individuellement ».
La machine est aussi un moyen de rassurer le médecin en lui enlevant, du moins en partie le poids de l’erreur – mais non celle de la responsabilité (voir encadré). « L’intelligence artificielle ne permettra pas d’atteindre un risque zéro mais de minimiser ce risque » explique David Corcos pour qui « le couple AI plus médecin permet d’obtenir la meilleure précision et la meilleure réponse possible, et de faire mieux que l’AI seule ou médecin seul ». Restera qu’il sera difficile de faire totalement confiance à la machine tant que le côté « boîte noire » de la machine – c’est-à-dire les chemins qu’empruntent les algorithmes pour arriver au bon résultat – soit résolu. Même s’il est dès aujourd’hui « possible de crédibiliser l’algorithme, en citant ses sources et en donnant le pourcentage de probabilité d’un événement donné [1] » considère le directeur général de Philips France.
Le médecin va devoir devenir un peu « geek »
En revanche, un chose est sûre, la profession de médecin va évoluer. Pour garder la main sur la technologie et sa pratique, le médecin va devoir devenir un peu « geek » et se muer en data-praticien, prédit Frederik Brabant de Nuance Communication, entreprise spécialisée dans la reconnaissance vocale [1]. « Plus les médecins seront impliqués dans la technologie, plus ils sauront gérer les données ». On va, d’après lui, vers une spécialisation de la médecine où « les médecins seront très proches des datas pour faire avancer le métier ». Autre évolution probable : l’élargissement de certaines pratiques à plus de professionnels de santé grâce à l’appui de la technologie. Dès aujourd’hui, « les algorithmes ont ouvert le champ de l’interventionnel à plus de médecins qu’auparavant » relève David Corcos. Enfin, ce qui revient aussi régulièrement dans la bouche des spécialistes en IA, c’est l’idée de travailler, non plus en « silo » – de manière autonome, sans lien étroit ni partage d'information avec l’extérieur – mais en « écosystème », c’est-à-dire sur un mode interdisciplinaire, dans un réseau où le médecin côtoie l’ingénieur, l’informaticien, le développeur, etc…
C’est donc tout un autre monde qui s’ouvre aux professionnels de santé, qui devront sortir de leurs cabinets médicaux ou de leurs hôpitaux pour aller à la rencontre d’autres professionnels dans des espaces dédiés comme les « Hackathons en Intelligence Artificielle » (par exemple, celui qui se tiendra fin novembre à Marseille) mis en place ces dernières années à l’initiative de grandes entreprises comme Microsoft et d’autres pour favoriser ce échange de compétences.
Mais que le médecin soit accompagné dans son diagnostic ou qu'il soit même en partie remplacé par les algorithmes, il devra être là pour aider son patient dans les prises de décision sur sa santé et sur les soins. Car l’ordinateur ne décidera pas à la place du patient, au mieux il proposera des pistes qui devront être évoquées et discutées entre les deux protagonistes. Le rôle du médecin comme conseiller et coordinateur des soins en sera d’autant plus renforcé, et ses qualités relationnelles valorisées. Car, quoi qu’il en soit, nous sommes encore loin du moment où l’ensemble de la population acceptera de s'en remettre directement à des machines, si toutefois ce moment devait jamais arriver.
En cas d’erreur, qui est responsable ?
A l’avenir comme aujourd’hui, qu’il s’agisse d’une erreur de diagnostic, de traitement ou de soins, le patient souhaitera se tourner vers ou se retourner contre un responsable. Mais si la décision, un diagnostic de cancer du sein déterminé par un algorithme, est erronée, par exemple, qui pourrait être tenu responsable : l’algorithme, le développeur, le médecin ? Difficile d’imaginer aujourd’hui que l’algorithme ou le robot puissent se voir reconnaître dans le futur une personnalité juridique autonome. Dans le système légal actuel, une « chose » ne peut pas être déclarée responsable en tant que telle à cause de son manque d’autonomie décisionnelle. C’est là qu’intervient la notion de responsabilité de l’utilisateur, du « gardien de la chose », à condition toutefois d’en avoir le contrôle ! Concrètement, dans l’immédiat, on peut penser que, sauf défaut de construction de la machine (auquel cas, le constructeur ou le concepteur de la machine pourra être tenu responsable), le médecin restera responsable de l’utilisation des programmes, algorithmes et systèmes d’intelligence artificielle. Mais si, à l’avenir, la machine est susceptible, par son autonomie et sa marge d’indétermination, de conduire à un acte dommageable ni tout à fait imputable à l’homme ni tout à fait à la chose, alors il faudra totalement repenser le droit…
IA une béquille numérique pour les patients
Côté patients, l’intelligence artificielle alliée à d’autres avancées technologiques, est la promesse d’une médecine à la fois plus prédictive, préventive, personnalisée et participative (dite médecine 4P). Qu’il s’agisse d’ajuster sur mesure un protocole de radiothérapie comme avec InnerEyes, d’être opéré par un chirurgien augmenté, guidé par la reconstitution 3D en réalité virtuelle, ou par un robot chirurgien, aux capacités aiguisées par l’ « apprentissage » de milliers d’opérations semblables préalables. Ou de se voir prédire l’état de détérioration et l’avènement d’effets indésirables en phase de réanimation grâce à des capteurs miniaturisés sous forme de patchs. Le confort et la qualité de vie des patients seront eux aussi améliorés : couplée aux objets connectés, l’IA est susceptible de favoriser et d’encourager l’hospitalisation à domicile.
Au-delà de la mise au point dans le futur de programmes très élaborés et accessibles à tous, l’IA rend dès à présent de grands services à certains patients au travers de « simples » applications. C’est le cas de Seeing AI, une appli gratuite pour iOS qui s'adresse aux personnes souffrant de déficience visuelle et leur décrit le monde qui les entoure. Même si le langage utilisé par la voix de l'application est encore uniquement en anglais, Microsoft devrait progressivement ouvrir son accès à des pays de l'Union Européenne. Autre exemple typique d'une utilisation utile et immédiate de cette technologie à destination des patients, l’appli Helpicto™ qui sert d’interface entre parents et aidants et personnes autistes ou non verbales (voir encadré ci-dessous).
HelPicto™ pour aider les enfants autistes à communiquer
Helpicto™ est un bel exemple d’un partenariat réussi entre différents intervenants, une société toulousaine, spécialisée dans le développement de logiciels sur mesure, l’association Inpacts31 dédiée aux personnes (enfants, adolescents, adultes et seniors) souffrant de troubles psychiques et de handicap physique et/ou mental, ainsi que des personnes âgées dépendantes, l’ensemble bénéficiant de l’appui des technologies d’intelligence artificielle de Microsoft. En mettant en contact et à disposition les compétences technologiques des uns et des autres au profit d’un besoin, ici un outil qui remplace les classeurs à pictos – lesquels utilisent des images de la vie courante pour aider les enfants autistes à communiquer –, est née une appli disponible sur ordinateur, tablette et mobile, qui associe à la fois de la reconnaissance vocale et de la reconnaissance d'images. Bien plus pratique que l’ancien système, l’appli qui permet de faciliter l’échange et la communication entre les enfants autistes et leur entourage (vidéo accessible ici) est aujourd’hui disponible gratuitement sur PC (voir ici).
Pour la société
Pour parfaire le tableau, la société devrait, elle aussi, mieux se porter. De l’avis de Christophe Lala (GE HealthCare), l’IA, qui s’inscrit dans la suite logique de la transformation digitale, vient en réponse à quatre grandes problématiques : des coûts de santé qui vont croissants, les difficultés d’accès aux soins (y compris dans les pays riches), la garantie de qualité des soins et de gestion de l’explosion de la quantité des données [1]. « Elle pourrait, dit-il, améliorer l’efficience des organisations en identifiant le bon diagnostic, le bon acte, le bon traitement, le bon suivi basés sur l’analyse des datas, avec l’objectif de ne plus rester sur du curatif mais d’aller vers du prédictif ».
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Citer cet article: L’intelligence artificielle va-t-elle sauver les médecins et le système de santé ? - Medscape - 13 juil 2018.
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