Saint Denis, France—Faut-il ou non accorder une AMM au baclofène dans l’alcoolodépendance ? A l’issue de débats, parfois houleux, la Commission consultative mixte ad hoc réunie par l’ANSM a rendu ses conclusions.
Des conclusions qui feront parties des éléments pris en compte par l’agence du médicament pour décider du sort du baclofène. Une réponse définitive de l'ANSM est attendue au plus tôt à la rentrée.
Après l'avis de la commission scientifique spécialisée temporaire (CSST), qui avait conclu à un bénéfice/risque défavorable, c'était au tour de la Commission mixte ad hoc d'instruire la demande d'autorisation de mise sur le marché (AMM) du baclofène demandée par la laboratoire Ethypharm[1].
À cette fin, cette commission auditionnait le 3 juillet dernier un certain nombre d'experts avant de rendre son avis.
Globalement, il en ressort que la Commission est favorable à l’utilisation du baclofène chez les patients alcoolodépendants mais qu’elle est défavorable à la demande d’AMM telle que proposée par le laboratoire Ethypharm.
« C'est la première réunion d'une commission de ce type-là. Je rappelle qu'elle est composée de cinq membres provenant des trois autres commissions consultatives de l'ANSM », a rappelé en guise de préambule Dominique Martin, directeur général de l'ANSM.
Les débats ont été modérés tout le long de la journée par Nicolas Authier, président de la commission évaluation de l'utilisation du baclofène.
Rapport bénéfice-risque négatif selon la CSST
Comme pour ouvrir les débats, Pierre Ducimetière, président de la CSST sur le baclofène, est revenu sur les conclusions de sa commission. « La CSST a travaillé à partir, principalement, de la demande d'AMM et de deux rapports sur le baclofène, Alpadir et Baclovir. Sur ces deux études, la diminution du craving a été jugée significative, mais l'on note un faible effet sur la baisse de la consommation d'alcool à six mois. Dans l'étude Alpadir, on constate une abstinence de 10% environ, alors que l'on attendait 40 à 50%. Par ailleurs, les estimations fournies par Baclovir n'ont aucune robustesse. Seul Alpadir a fait l'objet d'une publication dans une revue à relecture. Les sorties d'essai dans Baclovir sont très importantes, de l'ordre de 60%. En conclusion, l'efficacité du baclofène a été jugée cliniquement insuffisante. Et le risque de développer des effets indésirables graves (EIG), y compris des décès, est accru. Le rapport bénéfice/risques a donc été jugé négatif. »
Liens d’intérêts et poursuites pénales ?
Ce premier constat, pessimiste quant à l'efficacité du baclofène, a été battu en brèche par les représentants des associations de patients qui ont succédé à Pierre Ducimetière. Et parfois de manière virulente et polémique, comme s'y est employé Thomas Maes-Martin, président de l'association Baclohelp. « Quelles sont les données disponibles ? Alpadir, baclad, baclovir, démontrent toutes l'efficacité du baclofène à haute dose. À cela il faut ajouter le témoignage de milliers de patients, mais aussi les conclusions du symposium de Cagliari de mai 2018, où de nouvelles études ont confirmé la sécurité et l'efficacité du baclofène à haute dose », a commencé le président de Baclohelp, avant de s'en prendre à l'ANSM, à ses membres et à ses commissions : « La CSST, composé de seulement cinq membres, dont un seul médecin, n'a pas intégré les documents que nous lui avons fournis. Pour ce qui est de la commission mixte, certains de ses membres ont des liens d'intérêt avec Lundbeck, le laboratoire qui commercialise une molécule concurrente du baclofène, le Selincro®. D'autres ont des liens d'intérêt avec le laboratoire Indivior, qui développe une gamme de molécules fonctionnant comme le baclofène (l'ensemble des membres de la commission a rendu publics ses liens d'intérêt, NDLR). Quant au président de la commission mixte, il n'a pas fait de déclaration d'intérêt. Avant que d'entamer des poursuites pénales, nous demandons donc la démission du directeur de l'ANSM et du directeur scientifique de l'ANSM, ainsi que le report de la procédure d'examen. »
Suppression du craving
Plus pondéré, Samuel Blaise, de l'association Baclofène, a rappelé que la spécificité du baclofène est avant tout de supprimer le craving, pour parvenir à une totale indifférence vis-à-vis de l'alcool. À l'instar de Baclohelp, cette association recommande la prescription du baclofène à tout type d'alcoolique (faible, modéré, sévère) jusqu'à 300 mg et sans limitation de durée. Quant aux effets secondaires, « ils s'atténuent progressivement. Pour les populations à risque, il faut sécuriser l'accès au baclofène, en commençant par des doses infimes, puis en les augmentant progressivement », explique Thomas Maes-Martin. « Il existe trois facteurs clés de succès du traitement : la motivation, l'information du patient, et la formation du médecin. Pour obtenir trois résultats : la suppression du craving, une consommation d'alcool en deçà des critères de l'OMS, et la durabilité de la guérison à long terme. »
Échecs
Plus sceptique, Auguste Charrier et Jean-Claude Tomczak, de l'association CAMERUP (aide et accompagnement des personnes en difficulté avec l'alcool et de leur entourage), ont fustigé pour leur part l'idéalisation du baclofène : « Des patients sous baclofène reviennent nous voir, pour rechercher l'abstinence. Nous avons aussi connu des patients abstinents qui ont rechuté, en pensant que le baclofène les guérirait. Pour nous, l'abstinence reste le dogme. » Même si Jean-Claude Tomczak admet que le baclofène, pour certains patients bénéficiant d'une prise en charge globale, « peut être une solution ».
Sociétés savantes favorables
Les sociétés savantes se sont montrées plutôt favorables à l'obtention d'une AMM pour le baclofène. Pour le professeur Georges Brousse, de l'association française de psychiatrie biologique, le baclofène a démontré « des résultats très importants dès le début de la mise en place du traitement. En low dose, son apport n'est pas contestable dans la réduction du craving et de l'anxiété. Il a donc une place logique et nécessaire dans l'arsenal, et nous préconisons son autorisation, avec un accompagnement bio-psychosocial ». Le professeur Bernard Granger, du conseil national professionnel de psychiatrie, abonde dans le même sens. « Le dossier scientifique du baclofène est solide mais atypique. C'est la base, les patients, qui encouragent la reconnaissance de ses vertus, et non un laboratoire qui dans un premier temps a présenté un dossier ficelé. Le baclofène doit être autorisé. »
Formation des médecins
Le Dr Jean-François Aubertin, de l'association RESAB, est lui aussi favorable à l'AMM du baclofène tout en se posant la question de la formation des médecins prescripteurs. Le RESAB assure par ailleurs depuis 2013 des formations aux médecins et a ainsi pu édifier quelque 1300 professionnels de santé. Le professeur Philippe Jaury se dit quant à lui « bluffé par le baclofène. Au début les patients prennent du baclofène pour « boire comme tout le monde ». Au bout de trois, quatre mois, ils ne boivent plus. Je n'ai jamais vu de produits avec de tels résultats. »
Bénéfice/risque défavorable
Si le Dr Benjamin Roland, de la fédération française d'addictologie, ne disconvient pas des vertus du baclofène, il est en revanche plus prudent sur l'octroi d'une AMM : « Nous sommes favorables à une AMM jusqu'à 80 mg pour tout prescripteur, et une AMM restreinte ou une poursuite de la RTU au-delà, jusqu'à 300 mg. » Le professeur Jean-François Bergmann, de la société française de pharmacologie et de thérapeutique, a clos les auditions, en se prononçant contre une AMM : « l'efficacité du baclofène est très faible, et non cliniquement signifiante. Il faut refaire des études complémentaires, mais dans l'état actuel le bénéfice/risque est insuffisant. »
Pour le baclofène, contre l'AMM
Le 4 juillet, la commission mixte s'est réunie pour débattre et trancher. De fait, elle a rendu une réponse ambiguë. Elle s'oppose à l'AMM telle qu'elle a été déposée par Ethypharm, tout en restant favorable à l'utilisation du baclofène chez les patients alcoolodépendants.
Elle souhaite le baclofène en dernière solution, après l'échec de toutes les autres thérapeutiques autorisées.
L'utilisation du baclofène viserait une consommation d'alcool à faible risque, et il pourrait être prescrit par tout médecin jusqu'à la posologie de 80 mg/jour. « Au-delà de cette posologie, le prescripteur doit systématiquement proposer au patient une évaluation et une prise en charge pluridisciplinaire spécialisée en addictologie, compte-tenu notamment d’une augmentation de la fréquence des effets indésirables graves avec l’augmentation des doses ».
Le baclofène, pour la commission, ne saurait être utilisé sans accompagnement psychothérapeutique. Aussi, en cas de troubles psychiatriques associés, quelle que soit la posologie, elle juge nécessaire d’orienter le patient pour avis ou suivi vers un médecin psychiatre.
Enfin, elle indique que la pertinence de la posologie doit être réévaluée régulièrement et que la prescription de baclofène doit être accompagnée d’un livret de suivi et de promotion du bon usage du baclofène.
L'ANSM statuera au plus tôt à la rentrée prochaine, quant à l'octroi, ou non, d'une AMM pour le baclofène dans le traitement de l'alcoolodépendance.
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Citer cet article: Baclofène : oui, mais… - Medscape - 11 juil 2018.
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