La feuille de route « Santé mentale et psychiatrie » mise sur l’évolution de la société

Aude Lecrubier

Auteurs et déclarations

9 juillet 2018

Paris, France— Que contient la feuille de route pour la santé mentale et la psychiatrie qu’a présentée la ministre de la santé Agnès Buzyn, lors du 1er Comité Stratégique de la Santé Mentale et de la Psychiatrie (CSSMP)[1], fin juin 2018 ?

Globalement, sur les 37 mesures proposées, une bonne part des progrès escomptés doit venir de mutations de la société avec, notamment la mise en place de programmes d’empowerment dès l’école, au travail, au niveau de la justice…, le développement des groupes de pairs, de l’ambulatoire, de la télémédecine ou de la santé mentale 3.0.

Un programme qui ne satisfait pas le Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux (SPH).

« Aussi intéressant que soit le recours aux groupes de pairs ou à l'empowerment pour revaloriser la place du sujet dans le système de santé, il ne faut pas mésestimer l'avantage qu'il y a pour un gouvernement à promouvoir l'acquisition par l'usager de ses propres compétences psychosociales : cette exploitation de la tendance lui permet de s'affranchir sans frais du rôle que l'Etat devrait jouer sur les facteurs extérieurs de bien-être et dans les missions de service public », explique t-il dans un communiqué de presse[] 2].

Celui-ci conclut : « malgré une activité croissante et 2 millions de personnes suivies, la psychiatrie publique n'a droit qu'à des mesures bien légères.

La Ministre de la santé serait bien inspirée de se souvenir que la santé mentale ne peut se passer de la psychiatrie et que pour répondre à l'importance des enjeux, il faut lui en donner les moyens ».

Destigmatiser : priorité de la feuille de route

La feuille de route prévoit plusieurs actions pour lutter contre la stigmatisation des patients atteints de maladies mentales en appelant notamment à mieux informer le grand public.

« Cette feuille de route constitue un plan d’ensemble pour changer le regard sur ces maladies, sur les troubles psychiques et sur les personnes qui, selon l’OMS, sont une sur quatre à être touchées au cours de leur vie, en Europe »,  précise le gouvernement.

Une ambition louée par le SPH qui voit  toutefois « une contradiction [entre cet objectif]  et le fait que la Ministre signe le décret du 23 mai pour renforcer le fichage des personnes hospitalisées sans consentement, toutes mesures confondues. » Le syndicat rappelle que les établissements psychiatriques ne sont pas « de simples administrations » et que le simple fait d'être hospitalisé en psychiatrie « ne doit pas faire perdre à une personne son statut de citoyen ».

Avant tout, prévenir

L’un des objectifs principaux de la feuille de route est de mieux prévenir et mieux repérer le mal être. Plusieurs mesures vont dans ce sens.

 
La psychiatrie publique n'a droit qu'à des mesures bien légères. Agnès Buzyn
 

Démocratiser l’empowerment et la pleine conscience

En matière de bien-être ressenti, la France se situe en 2017 en dessous de la moyenne des pays de l’OCDE. Parmi les mesures envisagées pour améliorer le bien-être, la feuille de route propose de démocratiser les programmes d’interventions de renforcement des compétences psychosociales (ex : gestion du stress, régulation des émotions, gestion des conflits, etc.) et basées sur la pleine conscience.

« Les professionnels de l’éducation, de la santé, de la justice et du travail devraient être formés à ce type d’interventions [d’empowerment] et à la pleine conscience dans tous les milieux de vie : école, travail, santé, justice etc. », indique le document.

Prévention chez l’enfant et l’adolescent

En termes de prévention chez l’enfant et l’adolescent, la feuille de route précise que 80% des troubles se déclarent entre 15 et 20 ans. « Une attention toute particulière sera donc portée sur le bien être mental des jeunes pour préserver leur santé mentale et augmenter leurs chances de rétablissement en cas de troubles ». En ce sens, le lancement et l’évaluation de l’expérimentation Ecout’Emoi est prévu sur trois régions en Ile-de-France, Grand-Est et Pays-de la-Loire en 2019. Il s’agit de repérer la souffrance psychique des jeunes de 11 à 21 ans avec mise à disposition des familles et des professionnels, de plaquettes d’information sur le dispositif, d’évaluer les situations repérées, puis d’orienter, si besoin, vers un psychologue en libéral (avec un forfait de 12 séances financées).

Au travail

Autre axe central, celui de la santé au travail. La feuille de route propose notamment d’améliorer la détection et la prise en charge des risques psycho-sociaux des professionnels de santé et médico-sociaux. Au programme sont envisagés entre autre :

  • la mise en place de l’Observatoire de la qualité de vie au travail ; 

  • d’identifier les facteurs de risques tout au long du cursus des étudiants en santé ;

  • de déployer une stratégie de qualité de vie au travail dans les EHPAD et les établissements accueillant des personnes handicapées. « 16 M€ sont prévus dès 2018 pour lancer l’expérimentation de clusters médicosociaux et des actions d’accompagnement de structures avec les associations régionales pour l’amélioration des conditions de travail (ARACT) et accompagner avec la CNAM 500 EHPAD dans la réduction des risques de troubles musculo-squelettiques et des risques psychosociaux. Ces financements permettront des équipements de matériels soulageant les personnels, et l’amélioration des locaux, ainsi que des formations à la qualité de vie au travail ».

Former les étudiants

Fort du constat que la population étudiante est une population très exposée, il est envisagé de former les étudiants aux premiers secours en santé mentale. La formation aux premiers secours en santé mentale vise à repérer les troubles psychiques ou les signes précurseurs de crise afin d’intervenir précocement, sur le modèle des « gestes qui sauvent ». Les premiers secours en santé mentale (PSSM) sont inspirés du programme australien « mental health first aid », lancé en 2000, déjà mis en œuvre dans plus de 20 pays et ayant fait ses preuves.

Contre le suicide

Un plan d’ensemble contre le risque suicidaire sera déployé sur tout le territoire, sous le pilotage des Agences Régionales de Santé, notamment le dispositif VigilanS de recontacte systématique des personnes ayant fait une tentative de suicide.

Développer la e-santé

Comme outils de prévention, la feuille de route prévoit de promouvoir la santé mentale 3.0. En France, l’utilisation des outils de e-santé mentale est seulement de 1 %, voire moins. En réponse, le projet européen E-men a notamment pour objectif d’augmenter l'utilisation moyenne des produits de e-santé mentale en France et dans d’autres pays européens.

Revaloriser la psychiatrie

Plusieurs mesures pour revaloriser la psychiatrie sont prévues, notamment : l’ouverture d’un stage en santé mentale pendant le second cycle des études de médecine et pendant le 3ème cycle des études de médecine générale ; l’augmentation du nombre des professionnels formés (notamment PU-PH et chefs de cliniques en pédopsychiatrie et infirmiers en

pratiques avancées) ; la meilleure complémentarité des  interventions d’infirmier, de psychomotricien, et d’orthophoniste ; le développement de prises en charges spécialisées comme le psychotraumatisme ; le développement de la recherche en psychiatrie (appel à projet du Programme Hospitalier de Recherche Clinique National (PHRCN)sur psychiatrie et la pédopsychiatrie en 2018) ;  une meilleure allocation des ressources au niveau territorial, un budget préserver à partir de 2018 et une réflexion sur l’évolution du  financement de la psychiatrie.
 
Les professionnels de l’éducation, de la santé, de la justice et du travail devraient être formés à ce type d’interventions [d’empowerment] et à la pleine conscience. Agnès Buzyn

Ne laisser personne sur le carreau

Après la prévention et le repérage, un autre axe prioritaire de la feuille de route vise à optimiser l’accès aux soins et l’intégration des patients dans la société.

Mise en oeuvre des projets territoriaux de santé mentale d’ici juillet 2020

L’objectif des PTSM est de rassembler tous les professionnels impliqués et de structurer le parcours de santé mentale au niveau local afin de favoriser le repérage des troubles et l’accès aux soins de santé mentale le plus tôt possible.

Développer l’ambulatoire

Les prises en charge ambulatoire devront être développées pour « maintenir la personne dans son milieu de vie ordinaire et de faciliter ainsi soninsertion sociale et professionnelle ».

L’avènement de la télémédecine

Elle devrait permettre « une prise en charge au plus près du lieu de vie des patients ». A noter, les futurs tarifs de téléconsultation et de téléexpertise pourront s'appliquer pour les soins somatiques en général et pour les consultations en psychiatrie en ville et en établissement de santé privé.

Réhabilitation

Une offre de soins de réhabilitation devra être accessible sur l’ensemble du territoire pour les personnes présentant des troubles mentaux sévères et persistants, ainsi que pour les personnes présentant un trouble du spectre autistique.

Elargir l’offre de groupements d’entraide mutuelle (GEM)

Les GEM permettent de bénéficier d’un appui par des pairs ou d’être pairs soi-même pour améliorer l’inclusion sociale et citoyenne des personnes en situation de handicap psychique.

« Leur développement est conforté par l’actualisation récente de leur cahier des charges et l’octroi un financement triennal dédié (CNH 2017 à 2019), avec une diversification possible des âges et des troubles », indique le document du gouvernement.

Emploi

Le dispositif d’« emploi accompagné » va se déployer sur l’ensemble des territoires. Grâce à un accompagnement médico-social et à un soutien à l’insertion professionnelle, il doit permettre d’obtenir et de garder un emploi rémunéré sur le marché du travail.

Logement

En termes d’aide au logement, les patients bénéficieront, de l’extension du dispositif « un chez soi d’abord » : pour les personnes à la rue ayant des troubles psychiques graves et persistants (l’évaluation favorable des 4 premiers sites a conduit à étendre le dispositif à 16 autres sites d’ici à 2021). Mais aussi du dispositif d’habitat inclusif qui propose aux personnes en situation de handicap, un logement autonome complété d’un espace partagé. Enfin, la Stratégie quinquennale pour le Logement d’abord et la lutte contre le sans-abrisme prévoit l’augmentation du nombre de places de pensions de familles et résidences accueil pour les personnes en situation de précarité.

Réduire le recours aux soins sans consentement, à l’isolement et à la contention

La feuille de route appelle aussi à « réduire le recours aux soins sans consentement, à l’isolement et à la contention qui ne doivent être utilisés qu’en dernier recours ». « Des recommandations de bonnes pratiques et une instruction ministérielle ont été diffusées en mars 2017 pour mettre en œuvre cet objectif qui doit être décliné localement », indique le gouvernement.

Reste que « la psychiatrie publique doit recevoir un nombre de soins sans consentement qui ne fléchit pas », selon le SPH pour qui « la feuille de route sur le sujet n'esquisse pas l'ombre d'une solution ».

Pour la suite, la Ministre s’est engagée à réunir, une fois par an, sous sa présidence, le Comité Stratégique de la Santé Mentale et de la Psychiatrie (CSSMP) dont les 29 membres seront appelés à suivre les mesures engagées.

 

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