Santé : terreau fertile pour l’intelligence artificielle

Stéphanie Lavaud

10 juillet 2018

France -- Depuis quelques années, les essais cliniques, qui autrefois, s’intéressaient quasi exclusivement à évaluer deux traitements, s’ouvrent à un autre type de rivalité, celle du médecin versus la machine. Et le fait est que les dernières (r)évolutions de la médecine sont plutôt à chercher du côté des technologies que du côté de l’innovation médicamenteuse à proprement parlé. Il est clair que face à une pratique médicale de plus en plus technologique, générant moult données, les outils d’analyse doivent l’être, eux aussi, pour être capables d’en saisir la totalité dans toute leur subtilité et leur complexité – le séquençage génétique en est un parfait exemple.

Notre cerveau n’étant plus capable d’en faire la synthèse en un temps acceptable, l’intelligence artificielle apparait comme la seule voie pour les gérer, les optimiser et les personnaliser. Aide au diagnostic, agents conversationnels, analyses comportementales, chirurgie robotisée, comment l’intelligence artificielle va-t-elle révolutionner la santé ?

Quand IA rime avec big data

Conséquence directe de la révolution numérique, et de l’avènement des objets connectés, les données collectées et stockées dans le cloud sont de plus en plus nombreuses et pèsent de plus en plus lourd. Si l’on s’en tient aux seules données médicales, on calcule que leur nombre devrait doubler tous les 73 jours à partir de 2020. Selon IBM, une personne génèrera 1 million de gigabytes de données liées à la santé au cours de sa vie – ce qui, pour donner une idée concrète, équivaut à plus de 300 millions de livres.

D’où viendront toutes ces données ? Essentiellement de la génomique, grand pourvoyeur de datas, et de l’imagerie. A titre d’exemple, un séquençage, c’est aujourd’hui 150 gigabytes de données et on réalise 1,4 millions de séquençage dans le monde. L’imagerie alourdit elle aussi considérablement le cloud. Alors qu’un scanner générait, il y a 20/30 ans, 10 à 15 images, on peut obtenir jusqu’à 15 000 images en 20 secondes. Soit un immense volume de données qui devra être traité par l’intelligence artificielle si l’on veut en tirer quelque chose (aide au diagnostic, personnalisation thérapeutique, prédiction du traitement, etc), l’homme étant tout simplement incapable de traiter et d’analyser cette quantité sans l’assistance des machines.

Les GAFA mais pas que

Médecine prédictive, chat bots médicaux, analyses comportementales, aide au diagnostic…Quelles sont aujourd’hui les applications les plus prometteuses de l’IA en santé ? Les projets majeurs et précurseurs issus des GAFA comme Watson d’IBM, qui en, août 2016, avait diagnostiqué un cas de leucémie qui n’avait pas été détecté par l’intelligence humaine, ou Deepmind de Google, qui a signé, en 2016, un partenariat avec le National Health Service (NHS) britannique pour aider le personnel hospitalier à détecter le plus rapidement possible les cas d’insuffisance rénale aiguë en épluchant les données des dossiers médicaux patients en temps réel, sont ceux qui viennent les premiers à l’esprit.

Mais ce sont loin d’être les seuls. Aujourd’hui de nombreuses start-ups – quitte à se faire aider par de plus grosses entreprises qui mettent à disposition leur puissance machine et des cerveaux –, se sont engouffrées dans le créneau avec des projets, plus ou moins aboutis (voir encadré Pépinière de talents français).

Quelques applications de l’IA et de la robotique en santé

Traitement et analyse des données médicales

Imagerie

Médecine PPPP

Consultations en ligne et agents virtuels

Conception de médicaments

Chirurgie

Assistance, suivi de traitement

Réparation, ré-adaptation

Quand l’IA donne des super pouvoirs

Mammographie, dermatologie, rétinopathie diabétique… sont autant de domaines où l’IA accélère le travail médical grâce à ses capacités d’analyse de l’imagerie, comme en témoignent les premières transpositions à la pratique clinique. Ce n’est surement pas un hasard que l’administration américaine ait accordé sa première AMM – et donc sa confiance – à un algorithme de détection de la rétinopathie diabétique à partir de fonds d’œil ou il a été récemment montré que la machine discrimine mieux les mélanomes des grains de beauté bénins que les meilleurs experts en dermatologie.

Car l’imagerie, c’est vraiment son domaine à l’IA et l’un de ceux où elle challenge directement le médecin, et en particulier le radiologue ou l’anatomopathologiste. Cela explique aussi pourquoi de si nombreuses start-ups françaises, comme Therapixel, Owkin ou le consortium Epidemium se sont positionnées en oncologie. « L’IA consiste à apporter des supers pouvoirs aux anapaths parce que l’œil humain est limité » considère Vincent Lepage, chef de produit chez Owkin, une jeune pousse qui se concentre sur la création d'outil d'IA analysant les images d'anatomopathologie [1]. Quand il s’agit de tissus hépatiques, elle vise l'aide au diagnostic du cancer du foie. Dans le mésothéliome, « l’idée est d’identifier sur les lames des biomarqueurs qui mettent en évidence un bon pronostic des patients » explique Vincent Lepage, qui travaille sur ce projet avec le centre de lutte contre le cancer (CLCC) Léon-Bérard à Lyon.

 
L’imagerie, c’est vraiment le domaine de l’IA, l’un de ceux où elle challenge directement le médecin, et en particulier le radiologue ou l’anatomopathologiste.
 

Diminuer les faux-positifs

Chez Therapixel, on s’intéresse au cancer du sein. Ici, l’idée, c’est trouver « le bon compromis entre ne pas passer à côté d’un cancer (faux négatif) et inquiéter à tort (faux positif) », a expliqué Olivier Clatz, co-fondateur de la start-up qui vient de mettre au point un algorithme qui diminue de 5 % le taux de faux positifs comparés aux meilleurs radiologues [1].  Là encore, pas question de remplacer l’humain, a fortiori le médecin, a rassuré le chercheur lors de sa présentation à la ParisHealthCare Week : « à l’instar de ce qui s’est passé avec l’automatisation lors des siècles précédents, l’IA ramène l’humain dans des tâches plus complexes et plus intéressantes en lui libérant du temps » considère-t-il. De cette façon, elle réduit aussi fortement le risque d’erreurs (humaines) d’inattention auxquelles la machine, par définition, échappe.

Mais si la machine peut analyser des images, elle peut aussi « comprendre » des mots, et ainsi faire avancer la recherche. Ainsi, un partenariat vient d’être signé avec l'Institut Curie à Paris qui dispose de 10 millions de documents textes concernant plusieurs centaines de milliers de patients qu’elle va mettre (de façon sécurisée) au service de la plateforme logicielle Owkin Socrates afin de trouver des corrélations entre des données médicales (textes issus de dossiers médicaux, imageries, données génétiques, etc.) et certains phénotypes cliniques.

Protocoles thérapeutiques sur mesure

Toujours dans le domaine de l’oncologie, si l’IA est susceptible d’améliorer le diagnostic et le pronostic des cancers, elle peut aussi être très utile sur le versant thérapeutique en optimisant la prise en charge. C’est le cas, par exemple, d’Inner Eye, un assistant en radiothérapie dédié aux glioblastomes et développé par Microsoft. En très peu de temps, à partir d’imagerie IRM, cet outil est capable, sous contrôle du médecin, de délimiter avec une grande précision, d’une part, les contours de la tumeur de façon à établir une segmentation 3D, et, d’autre part, ceux des organes à éviter, permettant d’établir un protocole de radiothérapie sur mesure pour un patient donné.


Inner Eye, assistant en radiothérapie (Microsoft)

Pépinière de talents français

La France a une très grande capacité en recherche en matière d'intelligence artificielle, a affirmé Cédric Villani, à l’occasion de la remise de son rapport détaillé sur le sujet en mars dernier. Et il existe effectivement dans l’Hexagone toute une pépinière de jeunes talents, notamment dans le secteur de la santé. Bien loin de se limiter à l’oncologie, l’AI s’immisce dans tous les secteurs de la médecine. La liste des projets aboutis ou en cours serait bien trop longue à établir.On peut néanmoins citer en vrac :  l’assistant virtuel d’aide à la prescription, Galien (Grand Prix PEPITE 2016) qui permet de détecter les éventuelles interactions existantes entre médicaments mis au point par un jeune médecin bordelais, la solution d’interprétation automatique des électrocardiogrammes (ECG) capable de diagnostiquer n’importe quelle arythmie mise au point par Cardiologs (voir IA : un formidable outil pour interpréter ECGs ou Holters), l’analyse cognitive des mimiques afin d’apprécier et de quantifier la douleur du petit enfant en oncologie (recherche en cours) et d’autres encore que l’on peut retrouver dans différents rapports consacrés à la question dont celui du Conseil national de l’Ordre des Médecins[2,3].

Et si une AI remplissait le codage PMSI à votre place ?

On y pense moins, mais, de manière plus terre à terre, l’intelligence artificielle devrait aussi grandement aider le fonctionnement administratif hospitalier. Deux exemples, parmi beaucoup d’autres, donnent une idée concrète des capacités de l’AI en la matière. La première concerne le codage des actes qui constitue une réelle charge administrative pour les médecins, exigeant la lecture longue et fastidieuse de documents et comptes-rendus en tout genre (CRH, CRO...). « Pas loin de 26 000 codes possibles entre les actes et le diagnostic » rapporte Thomas Duval de la start-up SanCare qui travaille à améliorer le codage des séjours hospitaliers grâce à l’intelligence artificielle [1]. Une activité incontournable pour le paiement des actes mais chronophage pour le clinicien.

Plusieurs sociétés se sont attelées à la tâche, dont Collective Thinking, spécialisée en deep learning et en sémantique, et « il ne faut pas croire que ce soit facile pour autant, affirme Vincent Susplugas, son directeur général [1], ce qui est un challenge pour l’humain, l’est aussi pour l’IA avec la multiplicité des codes, de problème lié à la qualité des documents initiaux, la structuration variable de l’information, la question d’antécédents, les règles variables d’interprétation des séjours, ou encore les spécificités lexicales et sémantiques. »

Autre exemple, imaginez un agent conversationnel qui aiderait les patients à remplir leur dossier en ligne lors de l’admission à l’hôpital, répondant patiemment et sans jamais s’énerver à leurs interrogations et pouvant adapter son niveau de langage ou la langue utilisée pour répondre à chacun…Des entreprises, et notamment Microsoft, travaillent actuellement au développement de ce type de chat bot.

Comme on le voit, ce ne sont pas les idées qui manquent quand il s’agit de déléguer des tâches du domaine médical, répétitives, administratives ou fastidieuses – et pour lesquelles la machine imperturbable et infatigable est inévitablement meilleure que l’humain – à l’intelligence artificielle. Reste à savoir si, comme on nous le promet, chacun des acteurs du système, professionnels de santé patients et société, s’en portera mieux et si l’éthique suivra le mouvement, et au même rythme.

Chronologie des grandes découvertes en intelligence artificielle (abrégé)

330 avant J.-C. : Invention par Euclide de l'algorithme de calcul du plus grand diviseur commun de deux nombres entiers ;

833 : Le mathématicien Al-Khawarizmi, dont les travaux fondent l'algèbre, invente des méthodes précises de résolution des équations du second degré, qui seront appelées algorithmes. Son nom latinisé est à l'origine du mot « algorithme » ;

1694 : Leibniz construit la première machine à calculer 

Alan Turing

1936 : Formulation des fondements théoriques de l'informatique par Alan Turing (inventeur de la  « machine de Turing ») par l'introduction des concepts de programme et de programmation ;

1950 : Invention du « test de Turing » en vue d'évaluer l'intelligence d'un ordinateur par rapport à celle d'un être humain ;

1966 : Invention par Joseph Weizenbaum du premier agent conversationnel « Eliza » ; un chatbot psychothérapeute

1997 : l’ordinateur DeepBlue bat aux échecs Gasparov, pourtant champion du monde

2011 : Watson, un programme informatique d'intelligence artificielle conçu par IBM défraie la chronique en participant au jeu télévisé Jeopardy!. Watson s’est beaucoup spécialisé dans la médecine depuis sa création.

2014 : sortie de Superintelligence: Paths, Dangers, Strategiesle du philosophe suédois Nick Bostrom qui s’inquiète de la création d’une intelligence artificielle qui, si elle surpassait l'intelligence générale humaine, pourrait remplacer et dominer les humains, conduisant à une catastrophe sauf à lui inculquer des objectifs compatibles avec la survie humaine et son bien-être. Ouvrage qui influencera notamment Elon Musk et Bill Gates.

2016 : l’intelligence artificielle AlphaGo (programme de DeepMind), bat le Sud-Coréen Lee Sedol, numéro 3 mondial au jeu de Go.

Mars 2018 : le mathématicien et député Cédric Villani rend son rapport sur l’intelligence artificielle visant à soutenir son développement en France. Parmi les nombreuses pistes proposées : créer un réseau d’Instituts interdisciplinaires d’intelligence artificielle, mettre en place un supercalculateur conçu spécifiquement pour les applications d’IA, ou encore rendre plus attractives les carrières dans la recherche publique afin d’éviter la fuite des cerveaux.

Avril 2018 : Pour la première fois, la U.S. Food & Drug Administration (FDA) autorise un dispositif d'intelligence artificielle à poser un diagnostic médical.

 

 

 

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