Pénurie de médicaments : les recommandations de l’Académie de Pharmacie

Aude Lecrubier

Auteurs et déclarations

4 juillet 2018

Paris, France—Les pénuries de médicaments sont légion depuis maintenant des années. Elles empoisonnent la vie des médecins et des patients, sans signes d’amélioration. La situation semble même empirer.

« En 2017, l’ANSM a observé une hausse inédite de 30 % du nombre de médicaments d’intérêt thérapeutique majeur en rupture de stock ou en tensions d’approvisionnement, dans les officines et à l’hôpital, avec de possibles graves pertes de chance pour les patients. Toutes les classes thérapeutiques sont touchées », indique l’Académie nationale de Pharmacie dans un communiqué en date du 3 juillet 2018[1].

« Cela nécessite que de nombreux acteurs se coordonnent pour résoudre cette situation, au risque, si rien n’est fait de façon volontariste, de voir se dégrader encore davantage cette situation dans les prochaines années […]. Des solutions sont appliquées aux États-Unis avec succès : la France, et l’Union Européenne doivent prendre les mesures qui s’imposent pour le bien des patients qui vivent difficilement ces situations », souligne-t-elle.

Alors que le Sénat vient de  créer une  mission d’information sur la pénurie de médicaments et de vaccins, de son côté, l’Académie nationale de Pharmacie recommande des mesures à prendre d’urgence, et sur le plus long terme pour prévenir les ruptures d’approvisionnement[1].

 
La France, et l’Union Européenne doivent prendre les mesures qui s’imposent pour le bien des patients qui vivent difficilement ces situations Académie nationale de Pharmacie
 

Des médicaments courants et essentiels

Premier constat, les médicaments en rupture de stock ou en tensions d’approvisionnement sont des produits anciens dont l’usage thérapeutique est bien établi et considéré comme ayant un apport majeur. Pour les anticancéreux, c’est par exemple le cas du 5FU ou de la vincristine. Pour les antibiotiques, il s’agit, notamment, de l’amoxicilline. En ce qui concerne les vaccins, plusieurs d’entre eux sont inaccessibles régulièrement en France et en Europe.

Comment en sommes-nous arrivés là ?

L’Académie nationale de Pharmacie souligne que les causes de ruptures d’approvisionnements sont multiples : « on observe un effet ciseau entre, d’une part l’augmentation régulière des réglementations et des coûts associés, et, d’autre part, la baisse régulière des prix de vente, rendant progressivement impossible la commercialisation des médicaments anciens à bas prix, en dépit de leur intérêt thérapeutique évident ».

Les solutions d’urgence

L’Académie nationale de pharmacie a listé quelques mesures « urgentes » pour limiter la pénurie. Elle souhaite que le gouvernement n’attende pas d’avoir identifié l’ensemble des mesures à prendre dont celles à long terme, pour initier les premières démarches.

Dans un premier temps, elle préconise, entre autre :

- de désigner au plus haut niveau de l’État (par exemple au niveau du Premier Ministre) un coordonnateur des actions à mettre en œuvre qui constituerait un groupe de travail ;

- de recenser les « médicaments indispensables » et de définir le plan d’action pour chaque produit identifié ;

- de rendre public ce plan d’action et de publier régulièrement son état d’avancement.

Sur le plan économique, elle juge qu’il est indispensable d’identifier les « médicaments indispensables » dont le prix est la condition limitante et de réviser leur prix à la hausse.

En parallèle, au niveau hospitalier, elle recommande notamment de revoir d’urgence les conditions d’appels d’offres  pour encourager la multiplicité des fournisseurs  des « médicaments indispensables », afin de ne pas devoir compter que sur un seul fabricant. Elle préconise aussi de créer un plafond de différentiel de prix acceptable en cas de défaillance du titulaire du marché.

Enfin, au niveau réglementaire, elle souhaite un assouplissement et notamment que soit prévu « un système d’accompagnement et de dialogue avec les industriels, sur un mode de flexibilité réglementaire à l’instar de ce qui a été mis en place par les États-Unis en 2013 ».

Stratégies de prévention de la pénurie à moyen et long terme

Sur le plus long terme, pour prévenir la pénurie de médicaments essentiels, l’Académie nationale de Pharmacie fait plusieurs propositions et notamment celle de « solliciter la création d’un comité stratégique au niveau de la Commission Européenne dont une des missions serait de limiter les effets de "dumping" entre les États membres ».

Sur le plan économique, elle souhaite que « soient crées les conditions d’une relocalisation de la synthèse des substances actives (voire de certains excipients indispensables à la formulation pharmaceutique) en Europe, pour atteindre, par paliers, une indépendance de l’Europe (de l’ordre de dix ans) pour les « médicaments indispensables ».

 
Créer les conditions d’une relocalisation de la synthèse des substances actives en Europe, pour atteindre, par paliers, une indépendance de l’Europe pour les « médicaments indispensables ».
 

Comment faire ? Elle donne quelques exemples :

-en créant une taxe à l’importation en Europe des substances actives fabriquées hors Europe (sur le modèle de la redevance GDUFA américain) ;

-en développant un crédit d’impôt-production pour encourager la relocalisation de l’outil industriel pour les matières actives et les formes pharmaceutiques injectables en incluant, si nécessaire, le redéveloppement de procédés environnementaux compatibles ;

-en encourageant la recherche française et européenne en matière de nouveaux procédés de synthèse, notamment via la recherche institutionnelle ; --pour les « médicaments indispensables » identifiés, promouvoir l’harmonisation des formes et des formules pharmaceutiques au niveau européen.

Enfin, au niveau réglementaire, elle suggère notamment que la Commission européenne et l’EMA s’impliquent dans une démarche d’harmonisation internationale pour obtenir un cadre partagé d’évaluation des contenus des dossiers de variation (demandes de modifications des AMM), des définitions et des processus de décision harmonisés afin de prévoir une acceptation automatique au-delà de six mois sans réponse des administrations.

 

Mesures spécifiques aux vaccins

Concernant les vaccins, l’Académie nationale de Pharmacie propose de :

- réduire au strict nécessaire les contrôles de libération lot par lot réalisés par les autorités réglementaires.

- d’informer l’industrie le plus en amont possible des changements de recommandation vaccinale (calendrier et obligations) ;

- de rechercher une harmonisation des calendriers européens des vaccinations (obligatoires et recommandées).

- d’harmoniser le plus possible les conditionnements et les notices, pour faciliter la différenciation retardée (celle-ci consiste à standardiser au maximum les opérations de fabrication et à intégrer aussi tardivement que possible les éléments spécifiques à un produit, comme les mentions légales spécifiques à un pays, de manière à s’adapter au mieux au besoin du marché et aussi à réduire les coûts de stock).

 

 

 

 

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