France -- Personne ne s'y attendait vraiment, et c'est certainement la raison pour laquelle la chambre disciplinaire nationale de l'Ordre des médecins a rendu sa décision publique : à l'issue d'une audience en appel le 19 juin dernier, elle a annulé la décision de radiation du 8 juillet 2016 prononcée par la chambre disciplinaire de première instance du Languedoc-Roussillon contre le Pr Henri Joyeux, qui avait, entre autres, lancé une pétition contre les vaccins hexavalents, et pour la réintroduction du vaccin HDT-Polio. Le Cnom a décidé de se pourvoir en cassation.
Pétition contre les vaccins hexavalents
Pour rappel, le Conseil national de l'Ordre des médecins (Cnom) avait porté plainte contre le Pr Henri Joyeux en juin 2015. L'affaire avait pris un tournant politique, après que la ministre de la Santé de l'époque, Marisol Touraine, l'a publiquement condamné pour ses propos.
Henri Joyeux, professeur de cancérologie et de chirurgie digestive, avait lancé une pétition en mai 2015 contre les vaccins hexavalents (qui à ce jour a recueilli plus de 1,5 million de signatures), en particulier l'Infanrix Hexa, car ce dernier contient «de l'aluminium et du formaldéhyde, deux substances dangereuses, voire très dangereuses pour l'humain, et en particulier le nourrisson ». En outre, s'était insurgé le professeur Joyeux dans les médias, ce vaccin, sept fois plus cher que le DT-Polio, est une véritable manne pour les laboratoires, « une escroquerie » avait-il considéré.
Le professeur Henri Joyeux était aussi poursuivi pour une deuxième pétition de septembre 2014 contre une recommandation du Haut Conseil de la santé publique, préconisant d’abaisser de 11 à 9 ans l’âge de la vaccination contre le papillomavirus chez les filles.
Manquements à la déontologie
La chambre disciplinaire du Languedoc-Roussillon avait estimé, dans sa décision de radiation du 8 juillet 2016, que le Pr Joyeux avait commis des manquements d'une extrême gravité au code de déontologie et a enfreint la loi en indiquant des dangers pour la santé de suivre les recommandations du Haut conseil de la santé publique. Le Pr Joyeux avait fait appel de sa décision et la radiation avait donc été suspendue, en attente du jugement en appel. Lequel jugement, donc, « réhabilite » en quelque sorte le Pr Joyeux.
Liberté d’expression
Pour ce faire, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins fait appel aux principes de liberté d'expression, et considère que « dans le contexte de débat scientifique et de controverse dont faisaient l'objet le vaccin contre les papillomavirus et l'indisponibilité du vaccin DTP », les propos du Pr Joyeux, notamment ses deux pétitions, « ne méconnaissaient pas la déontologie médicale ». Plus précisément, si la chambre disciplinaire relève que la pétition « comporte des expressions imagées et des affirmations fortes, elles ne portent que sur les raisons de s'opposer à l'institution de la vaccination massive des enfants contre le HPV et n'excèdent pas les limites que comporte le principe de la liberté d'expression, y compris dans un contexte de défiance croissante du public à l'égard des vaccinations ».
La chambre disciplinaire considère par ailleurs que, au sujet de la deuxième pétition sur la réintroduction du vaccin HDT-Polio, le Pr Joyeux peut s'appuyer sur une décision du conseil d'Etat du 8 février 2017, laquelle enjoint la ministre de la santé à réintroduire sur le marché le vaccin incriminé, HDT-Polio.
Pourvoi en cassation
Cette décision de la chambre disciplinaire a provoqué l'ire du Conseil national de l’Ordre des médecins, qui a décidé de se pourvoir en cassation. Dans son communiqué, l'ordre rappelle que « la vaccination est un outil fondamental de santé publique [...] que la rougeole a fait une deuxième victime dans notre pays en 2018 ». Tout en prenant acte de la décision de la chambre disciplinaire nationale, indépendante, elle justifie son pourvoi en cassation « au nom de la déontologie et de son engagement plein et entier en faveur de la vaccination.
En parallèle, six académies (Académie des Sciences, Académie d’Agriculture de France, Académie nationale de chirurgie-dentaire, Académie nationale de médecine, Académie nationale de Pharmacie et Académie Vétérinaire de France) ont fait connaitre leur indignation face à la décision de réhabilitation du Pr Joyeux. Dans un communiqué commun, elles ont rappelé que « la liberté d'expression a des limites et qu'elle n'excuse en rien des allégations irresponsables de certains professionnels de santé » et s’insurgent des « propos d’Henri Joyeux qui, se prévalant de la levée de sa radiation du Conseil National de l’Ordre des Médecins, prétend « qu’il a raison » concernant ses positions sur la vaccination. »
Carton rouge
Il faut dire que, de son côté, le Pr Joyeux s'est réjoui de cette décision en déclarant notamment à l'AFP : « Je ne suis pas du tout radié, je n’ai pas de blâme. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que j’ai raison ! » Si la chambre disciplinaire l'a blanchi, le tribunal médiatique ne l’a pas raté, à l’instar du Dr Michel Cymes, a qui profité de la tribune que lui offre l’émission qu’il co-anime sur France 5 pour lancer un sévère carton rouge au Pr Joyeux. S’indignant que cette victoire judiciaire allait lui permettre de « continuer sa campagne contre les vaccins, à instiller l'esprit du doute dans la tête de parents », il a lui lancé, sur un mode culpabilisant : « si dans quelques mois ou dans quelques années, un enfant venait à mourir des suites d'une infection parce que ses parents avaient refusé un vaccin à la suite de vos pétitions ou de vos interventions dans les médias, j'espère que ses parents, se sentant responsables, ne vous demanderont pas de rendre des comptes, parce qu'être médecin, c'est être responsable ». A suivre.
C’est dans ce contexte pour moins qu’agité que les Entreprises du Médicament (LEEM) lancent une plateforme en 15 axes pour rappeler « l’intérêt majeur de la vaccination sur la santé à un moment on l’on constate que la confiance dans les vaccins se fragilise » qui a pour but de « Faire de la France la référence européenne de la politique vaccinale à l’horizon 2022 ».
Actualités Medscape © 2018 WebMD, LLC
Citer cet article: L’annulation de la radiation du Pr Joyeux entraine des réactions épidermiques - Medscape - 4 juil 2018.
Commenter