Mise en danger de la vie d’autrui : 175 praticiens hospitaliers alertent le premier ministre

Jean-Bernard Gervais

Auteurs et déclarations

3 juillet 2018

France -- Faute d’être entendus, les praticiens hospitaliers remettent les pieds dans le plat par voie épistolaire : ils dénoncent, à nouveau dans une lettre ouverte à l’intention des politiques, le mal-être hospitalier, en évoquant même « une mise en danger de la vie d’autrui »[1].

Danger

En septembre dernier, 400 praticiens hospitaliers avaient en effet adressé une lettre ouverte à Agnès Buzyn, qui avait fait l’effet d’une bombe. À l’origine de cette initiative, des médecins de la région Auvergne-Rhône-Alpes, rejoints par d’autres médecins des quatre coins de la France. Ils dénonçaient la dégradation du service public hospitalier, causée par le plan triennal d’économie entre 2015 et 2017, le management destructeur, la loi HPST, la loi Santé… Cette première lettre ouverte avait été suivie d’un rassemblement devant le ministère de la Santé en début d’année. Mais, les revendications des médecins étaient restées sans réponse.

Cette fois-ci, les médecins, au nombre de 175 et revendiquant près de 1400 soutiens, ont décidé de s’adresser directement au Premier ministre, Édouard Philippe. Et le ton de la missive est on ne peut plus dramatique : « S’agissant de soins, nous vous alertons sur une mise en danger de la vie d’autrui et non-assistance à personne en danger. Mise en danger de la population qui s’adresse à nous, et mise en danger des professionnels qui doivent remplir cette tâche sans en avoir les moyens. »

Les signataires de cette lettre évoquent ensuite des «  décès médiatisés » en milieu hospitalier qui « seraient les signes patents de la dégradation nationale des services hospitaliers » (Lire Urgences saturées : plusieurs décès en quelques jours et Suicides des jeunes médecins : la liste s’allonge encore).

 
S’agissant de soins, nous vous alertons sur une mise en danger de la vie d’autrui et non-assistance à personne en danger 175 médecins
 

Désorganisation

Les auteurs font aussi certainement référence, au décès de la jeune Naomi Musenga, à Strasbourg. Cette jeune femme de 22 ans n’avait pas été prise immédiatement en charge par les services du Samu en décembre 2017, et avait succombé d’une « défaillance multiviscérale sur choc hémorragique ». Un rapport récent de l’Inspection générale des Affaires Sociales (Igas) a conclu à la culpabilité de l’opératrice de régulation médicale qui avait pris l’appel de Naomi, mais aussi a mis en cause l’organisation même du Samu du Bas-Rhin.

Plus récemment, un couple a porté plainte en avril dernier contre l’hôpital du Coulommiers. En janvier dernier, leur fils, Bryan, 12 ans, est mort au Kremlin-Bicêtre, après avoir été pris en charge dans cet hôpital. « Nous visons dans cette plainte le Grand hôpital de l’Est francilien, et notamment son site de Coulommiers, ainsi que le personnel médical intervenu dans la prise en charge de l’enfant. Nous leur reprochons leur négligence et leur désorganisation, malgré des signes cliniques alarmants », a notamment déclaré l’avocate de la famille, Maitre Haleblian, à nos confrères du Parisien.

Résistance

En juin dernier, c’est l’hôpital d’Aulnay-sous-Bois, le centre hospitalier intercommunal Robert Ballanger, qui est mis en cause après une mort suspecte. Admis aux urgences de l’établissement le 1er juin à 16 heures, Johan Laversane est autorisé à sortir à 21h30. Il décédera le 2 juin à l’hôpital Lariboisière (Paris), après qu’un médecin de garde a décelé une blessure grave. La direction de l’hôpital Robert Ballanger, qui a reçu les parents du jeune homme décédé, ont argué des manques de moyens de l’établissement…

Malgré cette pénurie, l’hôpital public, selon les auteurs de cette lettre au Premier ministre, résiste tant bien que mal : « La particularité et la qualité des services publics français que vous voyez résister jour après jour dans tous les secteurs vous montrent l'attachement de tous les professionnels qui y travaillent et l'esprit de responsabilité qui les anime. Les services publics ont toujours su prendre en charge les situations les plus complexes s’ils sont dirigés avec compétence et en lien étroit avec les médecins. » Les médecins vont jusqu’à ébaucher une réforme de l’organisation des soins en France : « il faut repenser les articulations entre la médecine de ville et l’hôpital et il faut réinjecter au plus vite dans le système de santé les moyens indispensables. Il s'agit de stopper immédiatement toute fermeture de lit, suppression de poste soignant et d'embaucher du personnel formé ou à former au plus vite. »

 
Il faut repenser les articulations entre la médecine de ville et l’hôpital et il faut réinjecter au plus vite dans le système de santé les moyens indispensables 175 médecins
 

Solidarité

Tout en gardant un lien fort avec la solidarité qui caractérise la médecine à la française : « nous restons attachés au principe fondateur de notre sécurité sociale : cotiser à proportion de ses moyens et recevoir des soins selon ses besoins. Cette solidarité n'est pas un archaïsme à nos yeux mais une des valeurs qui fonde la République. » L’un des auteurs de cette lettre, le Dr Olivier Varnet, interrogé sur la chaine LCI, a justifié le ton de cette missive, en affirmant que les médecins n’allaient plus taire les graves dysfonctionnements qu’ils constatent au quotidien. Aussi, a-t-il ajouté, cette lettre a été adressée au Premier ministre, devant le silence de la ministre de la santé.

Laquelle a répondu le 26 juin sur France Info que ce collectif de médecins avait été reçu par ses services en mars dernier. Agnès Buzyn a également annoncé qu’une réforme du système de santé serait annoncée cet été : « Il faut une refonte globale du système pour modifier les modes de tarification, faire en sorte que les hôpitaux ne soient pas en compétition, mais en coopération, faire en sorte que la ville et l’hôpital puissent coopérer, ce qui n’est pas possible pour des raisons de budgets ». Ce nouveau plan serait mis en place sur trois à cinq ans.

 

 

 

 

 

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