Love story avec la metformine : faut-il tourner la page ?

Marine Cygler, Lisa Nainggolan

Auteurs et déclarations

29 juin 2018

Orlando, Etats-Unis – Rires et sourires lors de la première après-midi des sessions scientifiques de l' American Diabetes Association (ADA) 2018. Une atmosphère bon enfant s'est dégagée du débat sur l'intérêt de la prise de metformine en première ligne dans le diabète de type 2[1].

D'un côté, le Dr Alice Cheng (University of Toronto, Canada) qui argumente contre. Pour elle, la metformine « est comparable à des amours adolescentes. On est persuadé que son premier amour durera pour toujours ». « Et puis, on se rend compte qu'il y a pleins de poissons dans la mer et qu'il est temps d'avancer ». Elle a logiquement détaillé les « cinq raisons de rompre avec la metformine ».

Pour défendre la metformine, le Dr Vanita R. Aroda (Brigham and Williams Hospital, Boston, Etats-Unis). Sa formule est lapidaire : « la metformine est un traitement éprouvé en première ligne ». Elle souligne le nombre considérable de sociétés savantes du monde entier qui continuent à recommander la metformine en première ligne.

Les arguments « pour » : efficacité, sécurité et économie

Première à présenter ses arguments, le Dr Aroda a passé en revue l'historique des essais thérapeutique démontrant l'efficacité et la sécurité de la metformine dont la place comme thérapie initiale est « bien établie ».

« A quatre dollars par mois », il est difficile d'opposer un argument économique, ajoute-t-elle.

Différents médicaments plus récents ont montré des bénéfices cardio-vasculaires dans des études cliniques : les inhibiteurs des SGLT2 - l'empagliflozine (Jardiance®) dans l'essai EMPA-REG OUTCOME (Diabète : l’empagliflozine réduit la mortalité CV dans EMPA-REG) ou la canagliflozine (Invokana®) dans l'essai CANVAS et les agonistes des récepteurs GLP-1, le liraglutide (Victoza®) dans l'essai LEADER  (L’agoniste GLP-1 liraglutide réduit les évènements CV dans LEADER) et le semaglutide (Ozempic®) dans SUSTAIN-6.

Mais les études ont été menées avec des patients diabétiques à haut risque avec une maladie déjà bien installée dans le temps et déjà une maladie CV ou un nombre important de facteurs de risque.

« Ces données ne concernent pas la grande majorité, 87 %, de notre population diabétique de type 2 » qui a besoin d'un traitement de première ligne, argumente le Dr Aroda.

Autre argument avancé par la spécialiste : la sécurité. « La metformine peut engendrer des troubles gastro-intestinaux et des déficits en vitamine B12 » mais cela n'est pas grand-chose en comparaison aux nouveaux médicaments à l'origine de nombreux problèmes de sécurité décrits ces dernières années.

Une étude récente a montré que la metformine pouvait être prescrite chez des patients atteints d'une pathologie rénale plus avancée qu'on ne le pensait jusque-là.

« La metformine en monothérapie devrait être débutée dès le diagnostic, sauf contre-indications. La metformine est efficace, sûre, bon marché et peut réduire les risques CV et la mortalité. »

Pour clore son plaidoyer, le Dr Aroda a souligné qu'il s'agissait aussi des conclusions les plus récentes des recommandations de bonnes pratiques de l'ADA.

 
La metformine est efficace, sûre, bon marché et peut réduire les risques CV et la mortalité Dr Vanita R. Aroda
 

Les arguments « contre » : 5 raisons de rompre

Le Dr Cheng a commencé son argumentaire contre la metformine comme traitement de première ligne par une déclaration d'amour à la molécule. « J'aime la metformine, la communauté de patients aime la metformine. L'an dernier, l'European Association for the Study of Diabetes (EASD) a dédié un numéro complet de Diabetologia à ce médicament, une sorte de longue lettre d'amour ».

Comparant cette relation à une romance adolescente, elle a commencé à énumérer les raisons pour lesquelles l'histoire d'amour doit s'arrêter. Elle s'est adressée directement à la metformine.

Premièrement, la metformine ne concerne pas à tous les mécanismes physiopathologiques du diabète de type 2.

Deuxièmement, « tu n'améliores pas les paramètres métaboliques alors que d'autres [médicaments] le font ». Bien que la metformine abaisse l'hémoglobine glyquée, elle n'a pas de bénéfice sur le poids, la pression artérielle et les lipides par exemple.

Ensuite, « tu ne peux pas sauver mes reins alors que d'autres [médicaments] peuvent potentiellement le faire », a-t-elle lancé, citant les bénéfices sur la fonction rénale observés dans des essais sur les effets CV des nouveaux médicaments antidiabétiques.

Et, « [Metformine] tu ne peux pas sauver mon cœur comme d'autres le font ». Les études menées avec quatre nouvelles molécules (l'empagliflozine, la canagliflozine, le liraglutide et le semaglutide) ont démontré une protection CV, tant pour le critère primaire composite que pour d'autres critères comme l'hospitalisation pour une insuffisance cardiaque.

Et enfin, « tu ne peux pas sauver ma vie, comme d'autres le font ». Le Dr Cheng a cité l'exemple des réductions de mortalité observées avec l'empagliflozine et le liraglutide.

 
[Metformine] tu ne peux pas sauver mon cœur comme d'autres le font  Dr Alice Cheng
 

« Selon les résultats des grands essais menés chez les patients à haut risque CV, les nombres de patients qu'il faut traiter (number needed to treat, NNT) pour prévenir une mort sont stupéfiants » a déclaré le Dr Cheng. Le NNT est de 39 au bout de trois ans avec l'empagliflozine et de 72 au bout de 3,8 ans pour le liraglutide. Ceci est à comparer aux NNT de 30 au bout de cinq ans pour la simvastatine et de 56 à cinq ans pour le ramipril, un inhibiteur de l'enzyme de conversion. 

Ces résultats impressionnants ont été principalement observés dans le cadre de la prévention secondaire, autrement dit chez des patients diabétiques à haut risque ou ayant déjà une MCV. Si le Dr Cheng le concède, elle indique néanmoins que les essais mimant la « vie réelle » ont plus de 80 % de volontaires concernés par la prévention primaire et dit « attendre les résultats de l’essai DECLARE qui évalue la dapagliflozine en prévention primaire ».

« Ces médicaments pourraient avoir un effet sur la mortalité dans une cohorte de prévention primaire. Dans ce cas, nous devrons reconsidérer le fait de les prescrire plus tôt ».

Et ce, alors que la metformine « n'a pas de bénéfice prouvé sur la mortalité », a-t-elle conclu.

Restons bons amis

Le Dr Cheng a indiqué qu'il existait déjà sur le marché un grand nombre de combinaison de traitement incluant la metformine et un nouvel agent, comme les combinaisons metformine/inhibiteur des SGLT2.

« Donc tu es déjà en train de papillonner » a-t-elle taquiné. Et de poursuivre « on peut rester amis. Passer à autre chose. Ce chapitre appartient au passé. Mais ne fermons pas le livre, tournons seulement la page ».

Pour la défense de la metformine, le Dr Aroda a souligné le vote 50/50 de l'auditoire en faveur du maintien de la metformine comme traitement de première ligne, un vote qui n'a pas vraiment changé après l'exposé des deux argumentaires.

« Pourquoi tant d’incertitude ? » La vérité, dit-elle, est que « les preuves restent du côté de la metformine pour l’instant ».

Concernant le coût, le Dr Cheng a admis qu'il était difficile de rivaliser avec celui de la metformine (4 dollars/ mois) mais que « la vraie économie se calcule lorsqu'on change le cours de la maladie elle-même », en prévenant ou en réduisant les complications micro et macro-vasculaires du diabète.

 
La vraie économie se calcule lorsqu'on change le cours de la maladie elle-même  Dr Cheng
 

Invitation au poly-amour ?

« Si les meilleures choses de la vie sont gratuites, le bon marché n'est pas toujours ce qu’il y a de mieux, et vous recevez ce pourquoi vous payez. Interrogez-vous : quel médicament donneriez-vous à votre mère ? Et lequel donneriez-vous à votre belle-mère ? » a-t-elle conclu.

Le débat s'est finalement achevé sur une note amicale. Les deux spécialistes se sont accordées sur le fait que demain les traitements se feront sous forme de combinaison.  Notant que vraisemblablement de plus en plus de patients commenceront leur traitement médicamenteux avec plus d'une molécule antidiabétique.

 
Demain les traitements se feront sous forme de combinaison.
 

 

Le Dr Aveda a déclaré des liens avec Adocia, Astra Zeneca, Novo Nordisk, Sanofi, Calibra, Eisai, Janssen, Theracos. Le Dr Cheng a déclaré des liens avec Abbott, Astra Zeneca, Boehringer Ingelheim, Eli Lilly, Janssen, Merck,  Novo Nordisk, Sanofi, Servier, Tadeka.

 

 

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