POINT DE VUE

Diabète : comment le télénursing peut-il améliorer la prise en charge ?

Dr Boris Hansel, Gladys Gubranski

Auteurs et déclarations

6 juillet 2018

COLLABORATION EDITORIALE

Medscape &

Enregistré le 23 mai 2018, à Paris

Le télénursing permet d’enrichir l’offre de soins aux patients diabétiques, selon Gladys Gubranski, infirmière à l’hôpital Bichat. Explications, avec Boris Hansel.

TRANSCRIPTION

Boris Hansel — Bonjour et bienvenue sur Medscape. Vous le savez, les moyens thérapeutiques du diabète ont beaucoup progressé ces dernières années : nouvelles classes thérapeutiques, nouvelles insulines, capteurs du glucose. Bref, on progresse. Pourtant, on a encore de la peine à amener beaucoup de nos patients à l’objectif thérapeutique, peut-être parce que finalement les progrès technologiques, ça ne fait pas tout. Et pour traiter les maladies chroniques, il y a autre chose qui est important : l’éducation, voire peut-être le coaching de nos patients. Alors il y a une méthode qui n’est pas spécialement nouvelle, mais qui est peu utilisée aujourd’hui dans le traitement du diabète : c’est l’accompagnement par les infirmières, plus précisément l’accompagnement à distance, ce qu’on peut appeler — d’ailleurs, c’est le terme utilisé dans la littérature scientifique — le télénursing. Nous allons voir aujourd’hui comment ce télénursing peut être utilisé et pourquoi il n’est pas utilisé plus que cela aujourd’hui. Et pour en parler, nous sommes avec Gladys Gubranski, infirmière d’éducation, plus précisément dans le domaine du diabète.

Vous travaillez dans le service du Pr Ronan Roussel, en diabétologie à l’hôpital Bichat, et vous avez mis en place, à l’initiative du Pr Roussel, une consultation de télénursing. Vous me disiez, en préparant cette émission, que pour vous c’était devenu indispensable. Pourquoi une telle consultation, un tel télénursing, est-il devenu indispensable pour prendre en charge les diabétiques ?

Gladys Gubranski — Il faut savoir qu’actuellement l’offre de téléconsultation s’intègre déjà à une offre de soins au niveau de l’éducation, c.-à-d. la consultation infirmière directement au niveau du service de diabétologie, en consultation face-à-face (patient/infirmière). On avait de la difficulté à maintenir le nombre de consultations, on a alors envisagé ce suivi à distance pour une certaine tranche de nos patients. Cela nous a paru indispensable, d’une part parce qu’il y a de plus en plus de patients diabétiques à prendre en charge, notamment à l’hôpital pour ce qui nous concerne, et cela nous permet de faire face aux nouveaux enjeux auxquels l’hôpital est confronté.

Boris Hansel — C’est-à-dire qu’à l’hôpital, on vous demande de prendre de plus en plus de patients, avec de moins en moins de moyens, et on vous demande de faire de l’ambulatoire…

Gladys Gubranski — Exactement. C’est vraiment les nouveaux enjeux et il faut savoir que les outils technologiques avançant, cette téléconsultation peut utiliser aussi tout ce qui est innovant et ce qui arrive actuellement sur le marché, notamment en termes de diabète, de lecteur de glycémie, ou de logiciels de suivi ou de carnets de glycémie… automatisés.

Boris Hansel — On va poser une question directe : beaucoup de personnes − médecins, patients, soignants en général − se disent « oui, mais maintenant, la téléconsultation, ce qu’on fait à distance, l’utilisation d’emails etc. déshumanise la relation patient/soignant ». Qu’est-ce que vous répondez à cela ? Est-ce que pour vous le fait de ne plus forcément voir votre patient en face à face ne déshumanise-t-il pas cette relation qui est pourtant si importante quand on fait de l’éducation thérapeutique ?

Gladys Gubranski — Bien sûr. Cette relation soignant/soigné est d’ailleurs essentielle. J’ai envie de dire que les réticences sont même presque plus du corps médical ou infirmier que des patients eux-mêmes. Les patients sont relativement demandeurs de choses un peu innovantes et d’un suivi qui serait un peu autre que le suivi actuellement en place. Ceci étant, dans la pratique, on se rend compte que la relation soignant/soigné en téléconsultation se fait de manière très intuitive et très simple.

Boris Hansel — Donc, finalement, on se téléphone tout le temps… comme à nos proches, à nos amis…

Gladys Gubranski — C’est ça. Pour ce qui est de notre expérience dans le service, c’est une infirmière dédiée au patient. Donc il n’y a pas plusieurs interlocuteurs qui suivent le patient. C’est une infirmière qui suit son patient en téléconsultation, donc on est très bien identifiées, il n’y a absolument aucun problème. Et on se rend compte que le suivi est très apprécié des patients et qu’on rentre vraiment dans leur quotidien. Cela leur permet aussi d’avoir une qualité de vie autre — ils ne sont pas obligés d’aller à l’hôpital pour les différents rendez-vous médicaux ou infirmiers, en tout cas infirmiers en ce qui me concerne, et du coup on a une plus grande flexibilité avec eux pour décliner les rendez-vous ou les interventions.

Boris Hansel — Vous diriez qu’on améliore la relation entre le soignant et les soignés ?

Gladys Gubranski — Je dirais qu’on l’améliore — en tout cas, qu’on l’enrichit. Et c’est vrai que plus on enrichit l’offre de soins du patient, plus c’est bénéfique pour lui. Donc la téléconsultation arrive au milieu des consultations médicales, éventuellement d’un suivi avec la diététicienne. Donc, je ne dirais pas que cela améliore, mais que cela enrichit, et il reste encore à découvrir tout ce que la téléconsultation peut nous apporter vis-à-vis du patient.

Boris Hansel — Quand on regarde la littérature scientifique ces dix, vingt, voire trente dernières années — on peut voir des études avec du coaching, l’accompagnement par infirmière il y a plusieurs décennies — on a du mal à se faire une idée de l’efficacité ou non de ces techniques. Alors, si on regarde de près les études, on voit une grande hétérogénéité – certaines études concernent des patients de faible niveau socioprofessionnel, d’autres de niveaux plus élevés, certaines des diabètes de type 1, d’autres des diabètes de type 2, parfois c’est la même infirmière qui appelle les patients, parfois…

Gladys Gubranski — … c’est plusieurs infirmières, parfois.

Boris Hansel — C’est d’une grande hétérogénéité, on aurait donc tendance à se dire que cela ne marche pas. Est-ce que cela ne vous décourage pas de voir qu’on n’a pas aujourd’hui de preuve scientifique formelle pour dire « Voilà : le télénursing, ça fonctionne. » ?

Gladys Gubranski — C’est vrai que dans la littérature, c’est assez ancien tout ce qu’on peut lire autour de la téléconsultation. Les preuves n’ont pas vraiment été apportées, puisque comme vous le dites, c’est très hétérogène : tantôt on regarde l’hémoglobine glyquée en termes de résultats, tantôt on va regarder le respect des règles diététiques ou éventuellement l’observance du patient. Cependant, tout reste à faire et il me semble primordial de se dire que c’est un suivi qui forcément va se développer aussi parce que les outils technologiques actuels se développent et que cela va correspondre de plus en plus à une attente des patients — par exemple ne pas avoir à se déplacer à l’hôpital, être en déplacement à l’étranger et bénéficier encore de conseils de l’infirmière d’éducation. On a des patients qui sont diabétiques de plus en plus jeunes, et de plus en plus de patients… un patient qui va étudier pendant un an à l’étranger pourra ne pas avoir de rupture de suivi avec son infirmière d’éducation en passant par la téléconsultation. On peut aussi penser à des patients plus isolés, plus fragiles, ne nécessitant pas de transport à l’hôpital pour avoir des réponses sur des problématiques données, donc je pense que c’est forcément amené à se développer. Reste à en apporter la preuve de l’efficacité. Cependant, le bon sens montre bien que…

Boris Hansel — Alors, le bon sens parfois… en médecine on veut des preuves. Il faut dire qu’on ne peut pas — et c’est souvent peut-être un tort que nous avons, nous, médecins, et habitués à la recherche –aujourd’hui évaluer un programme de télénursing ou tout programme d’accompagnement comme on évalue un médicament. Quand on évalue un médicament, quel qu’il soit, on évalue une molécule qui est toujours la même, chez un certain type de patient bien catégorisé, avec des critères d’inclusion et d’exclusion, et on peut répondre « ça fonctionne ou ça ne fonctionne pas » sur un certain critère. Là, on est en train d’évaluer non pas une manière unique de prendre en charge les gens, mais des manières multiples, parce que le télénursing, ça peut être Gladys… et peut être demain Marine ou Maria…

Gladys Gubranski — Ça peut même être une plate-forme d’infirmières dédiées.

Boris Hansel — Une plate-forme, voilà. Donc on ne teste pas une molécule. On teste une manière de travailler et on est en train de tester chez des profils de patient extrêmement différents.

Gladys Gubranski — Exactement.

Boris Hansel — Donc peut-être que la solution, si on veut essayer d’évaluer, c’est de se dire d’abord d’évaluer précisément un certain type de prise en charge et chez certains types de patient qui sont potentiellement des patients qui vont adhérer. Si on veut dresser le portrait-robot de l’infirmière, ou plutôt les modalités de prise en charge, en trois ou quatre mots-clés, qu’est-ce qui définit un télénursing qui peut marcher et qu’il faut évaluer précisément ?

Gladys Gubranski — À mon sens, il faut une infirmière connaissant extrêmement bien la pathologie et les thérapeutiques, et aussi ce pour quoi on travaille — atteindre les objectifs glycémiques fixés par le diabétologue. Le rôle d’une infirmière en téléconsultation n’est pas de remplacer le médecin au sens propre du terme. C’est vraiment d’avoir un accompagnement autre entre les différentes consultations et donc d’atteindre les objectifs fixés par le diabétologue. C’est donc de permettre au patient d’opérer des changements dans ses habitudes — par exemple des habitudes en termes d’hygiène alimentaire ou d’adaptation de dose, pour des patients de type 1 essentiellement — et c’est vraiment ne pas se substituer au médecin. Donc, les compétences : connaître extrêmement bien la pathologie, faire preuve de beaucoup d’écoute — parce qu’en téléconsultation on n’a pas le patient en visuel et donc on ne peut pas repérer les mêmes choses, on n’a pas le même feed-back qu’en consultation pour intervenir et réussir à faire un bon entretien — et puis la qualité du suivi est d’avoir une personne référente auprès du patient…

Boris Hansel — Donc, garder la notion que c’est une infirmière qui connaît la pathologie et pas une opératrice standard qui est là pour écouter le patient.

Gladys Gubranski — Dans l’absolu, c’est ça.

Boris Hansel — Deuxièmement, d’avoir un objectif précis fixé par le diabétologue.

Gladys Gubranski — Bien sûr.

Boris Hansel — Et troisièmement, d’avoir une infirmière dédiée.

Gladys Gubranski — Exactement.

Boris Hansel — Et si on se place du point de vue du patient, quel est le portrait-robot du patient qui va adhérer, bénéficier et profiter du service de télénursing ? Est-ce que, par exemple, c’est plutôt les jeunes, les personnes âgées, les hommes ou les femmes ?

Gladys Gubranski — J’ai envie de dire qu’il n’y a pas de portrait-robot finalement du patient suivi en téléconsultation. C’est tout patient motivé à atteindre les objectifs fixés par le diabétologue et à améliorer sa santé. Au sein de ma téléconsultation, je peux avoir effectivement des jeunes, des jeunes à l’étranger, mais aussi des patients plus âgés qui sont juste motivés à être suivis par une infirmière, et pour le coup des fois sur des populations un peu plus fragiles, rassurées par ce suivi régulier avec une infirmière qui ne nécessite pas de déplacement à l’hôpital itératif.

Boris Hansel — Donc, en clair, un patient qui n’est pas motivé, on n’essaie pas de le motiver au télénursing. S’il n’adhère pas rapidement, c’est qu’il n’adhérera pas sur le moyen terme et le long terme.

Gladys Gubranski — Comme au suivi en consultation de manière un peu plus classique, avec de l’absentéisme à différentes consultations… mais comme pour tout patient, on essaie de les faire adhérer au suivi. Malheureusement, il y a des ratés…

Boris Hansel — Merci beaucoup Gladys Gubranski.

Vous voyez que c’est un sujet à la fois moderne et ancien. On voit qu’il est nécessaire de faire appel à du suivi à distance, à des infirmières d’éducation, mais en même temps que ce n’est pas encore bien codifié et qu’il reste à mettre en place ce type de prise en charge de manière plus généralisée, parce qu’on a ça dans les hôpitaux… dans certaines associations qui proposent une aide avec des infirmières d’éducation, mais cela reste à se mettre en place… et puis restent encore à faire des évaluations précises avec des questions précises, des populations précises et à mon avis des méthodes de télésuivi qui soient précises. Merci beaucoup et à très bientôt sur Medscape.

 

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