Enregistré le 24 juin 2018, à Orlando, Floride, É.-U.
Bernard Charbonnel (Université de Nantes), Ronan Roussel (Hôpital Bichat), et Emmanuel Cosson (Hôpital Jean-Verdier) commentent l’actualité des stratégies thérapeutiques dans le diabète de type 2, présentée à l’ADA 2018 : résultats à 6 ans de l’étude EDICT comparant traitement conventionnel par étapes à la triple thérapie initiale avec les nouveaux agents ; et introduction de l’insuline glargine 100U vs NPH en vraie vie.
TRANSCRIPTION
Ronan Roussel — Bonjour, je suis Ronan Roussel, diabétologue à l’hôpital Bichat, et nous sommes sur le plateau de Medscape, en direct du congrès de l’American Diabetes Association (ADA) 2018, à Orlando, avec Bernard Charbonnel, de Nantes, et Emmanuel Cosson, de Jean-Verdier à Bondy, pour évoquer des présentations qui nous ont marqués pendant ce congrès. Cette partie sera consacrée plutôt au traitement et notamment au suivi de certaines études. Ralph DeFronzo a présenté la suite de son étude EDICT.[1] Qu’en est-il ?
Résultats à 6 ans de l’étude EDICT : traitement conventionnel par étapes ou triple thérapie initiale ?
Bernard Charbonnel — EDICT est une étude qui compare, dans le diabète de type 2 qui vient d’être découvert, deux stratégies de traitement.
La première est la stratégie classique recommandée dans la plupart des pays : commencer par la metformine, et en cas d’élévation d’HbA1c, y associer en l’occurrence un sulfamide, et puis si deux comprimés classiques ne marchent pas, passer à l’insuline, en l’occurrence de l’insuline glargine U100. Donc une stratégie tout à fait classique qui a tout de même la caractéristique dans l’étude EDICT d’être conforme à ce qui doit être fait, c’est-à-dire sans la moindre inertie clinique. Autrement dit, si au bout de trois mois on est au-dessus de 6,5%, qui était le seuil proposé, on a cette intensification.
le deuxième bras de cette étude randomisée, c’est au nom des théories bien connues de Ralph DeFronzo qu’il faut adresser pas une seule voie pathogénique, mais plusieurs voies pathogéniques dans la physiopathologie du diabète de type 2, en même temps − ce n’est sans doute pas très raisonnable en pratique, mais c’est du proof of concept − une triple thérapie est mise en route dès le départ : pioglitazone (au nom de son effet protecteur insulaire assez bien démontré), un agoniste du récepteur du GLP-1 (qui n’est pas le plus moderne, mais c’est une étude qui a été lancée depuis une dizaine d’années, qui est BYETTA deux fois par jour), et puis la metformine (parce que j’ai envie de dire : c’est politiquement correct).
On compare donc cette stratégie par étapes traditionnelle à une triple thérapie initiale avec ce qu’on appelle les nouveaux médicaments.
Le résultat à six ans (ce qui est quand même une longue durée pour deux groupes qui ne sont pas très gros — 130 et 130 dans chaque groupe) est surtout, à mes yeux, impressionnant par le résultat de la thérapeutique conventionnelle, car on a une courbe d’HbA1c pendant les six ans qui est absolument plate, sans le moindre échappement, et qui est à 6,7 %, je crois. C’est-à-dire un peu plus que les 6,5% proposés dans l’étude, mais nettement en dessous de sept après six ans de suivi. Alors, il y a un avantage de la triple thérapie initiale, puisque l’HbA1c est tout aussi plat, sans qu’il soit besoin, là, d’intensifier, ce qui est quand même intéressant. Il n’y a pas, ou très peu de passages à l’insuline et tu as 6,3 ou quelque chose comme ça.
Ronan Roussel — D’accord, mais c’est quand même un bénéfice assez ténu, et DeFronzo démontre plutôt ce qu’il ne voulait pas démontrer, c’est-à-dire que le traitement conventionnel avec cette escalade marche finalement très bien, quand bien même on utilise des versions un peu anciennes de l’escalade avec des sulfamides… ce qui est recommandé certes, mais pas toujours mis en pratique.
Bernard Charbonnel — Alors bien sûr ce n’est pas du tout la conclusion de DeFronzo, mais je suis d’accord, comme je disais plus haut, avec cette interprétation. Sauf sans doute des cas particuliers que chacun connaît, une escalade étape par étape, qui est souvent critiquée en disant « on court après l’échec », enfin il y a tout un discours convenu là-dessus. Mais une stratégie étape par étape bien menée, sans inertie…
Ronan Roussel — Oui, c’est plutôt ça le problème.
Bernard Charbonnel — … ça marche très bien. Moi, c’est ma lecture de cette étude et de ce point de vue-là, c’est très intéressant.
Ronan Roussel — Alors, soit on est très engagé dans le suivi et on peut faire étape par étape, soit on sait qu’on ne va pas revoir le patient, rien ne va être changé, à la limite on lui donne la totale et comme ça on peut le revoir juste six ans plus tard.
Bernard Charbonnel — Ou bien peut-être, comme le disent beaucoup de recommandations, sinon la totale, du moins un traitement, une bithérapie d’emblée, si on part d’une HbA1c de départ élevée. Là, ce n’était pas le cas.
Emmanuel Cosson — Le poids était-il différent dans les deux groupes ?
Bernard Charbonnel — Autant que je m’en souvienne, le poids n’était pas très différent dans les deux groupes et il faut être conscient que dans le groupe triple… Il y a un mélange PIO/BYETTA, mais qui s’annule quand même pour le poids. Par contre, il y avait un avantage sur l’hypoglycémie.
Emmanuel Cosson — Forcément. Et les taux d’insulinothérapie… tu t’en souviens un peu ?
Bernard Charbonnel — Je ne suis pas sûr de ce que je vais dire, mais de l’ordre de 25 % de mises à l’insuline.
Emmanuel Cosson — En six ans …
Bernard Charbonnel — Oui, mais pour être en dessous de 6,5.
Emmanuel Cosson — … 6,5, c’est terrible, oui. C’est quand même beaucoup.
Ronan Roussel — Et l’insuline était, par design, la glargine à 100 unités ?
Bernard Charbonnel — Oui.
Introduction de l’insuline en vraie vie chez les patients DT2
Ronan Roussel — D’accord. Il y a eu aussi une autre présentation justement portant sur cette introduction de l’insuline en vraie vie, chez des patients diabétiques de type 2. « Vraie vie » voulant dire une analyse de registre de grande taille − 25 000 ou 26 000 patients diabétiques de type 2 chez qui une insuline a été initiée. C’était une présentation [2] par Kasia Lipska qui a été publiée dans le JAMA simultanément, qui est assez poil à gratter, parce que c’est basé sur le registre Kaiser Permanente de Californie — très large, avec beaucoup de données pour ajuster. Et que dit-il ? La question posée est : est-ce qu’il y a un bénéfice à introduire plutôt un analogue lent, donc justement pour beaucoup cette insuline glargine à 100 unités — c’est une étude sur la base de données de 2005 à 2015, donc avant la nouvelle génération des insulines — ou est-ce légitime d’introduire l’insuline NPH, comme cela a été fait beaucoup plus fréquemment du reste, sur cette période qui va presque jusqu’au début de la glargine mais qui est aussi pour des raisons de remboursement. Et Kaiser Permanente, aujourd’hui encore, limite à la NPH pour beaucoup de patients, y compris de type 1, je l’ai appris récemment — c’est la dure loi de l’argent. D’autant que les prix des analogues aux États-Unis sont extravagants, donc la question se pose vraiment.
Résultat des courses : après ajustement sur un score de propension, donc pour tenir compte de tous les facteurs différents entre les patients qui initient la NPH et ceux qui initient la glargine U100, à un an l’HbA1c a baissé du même ordre − en partant de 9 et quelques, on arrive à du 8,2-7,9. Je ne me rappelle plus quel est le bras qui a l’un ou l’autre mais on n’est pas du tout à l’équilibre et notamment pas du tout à ces 6,8 % qu’on mentionnait à l’instant, alors que ce sont des patients qui se ressemblent finalement. Surtout, concernant les hypoglycémies — pas juste rapportées dans le dossier ou de l’information dont on ne sait pas ce qu’elle vaut — des hypoglycémies vous amenant aux urgences…
Emmanuel Cosson — Parce que là, c’est facturé, donc tu as l’info.
Ronan Roussel — Oui, exactement. Pour la Kaiser, ça compte — et pour tout le monde, je pense. Sur ce critère de jugement, le risque d’hypoglycémie associée aux analogues — donc pas exclusivement la glargine, il y avait aussi la détémir à l’époque — versus NPH était un risque augmenté, +16 %, ce qui est quand même assez déstabilisant. Et on comprend que cela puisse intéresser les payeurs qui se demandent pourquoi ils payent à la fin, puisque aux États-Unis le prix est beaucoup plus élevé pour les analogues. Alors, ce +16 % n’était pas significatif, pour dire les choses jusqu’au bout, mais n’empêche que ce n’était pas dans l’autre direction. Et l’interprétation peut être aussi que quand on utilise mal des outils – c’est-à-dire pas comme dans l’étude de DeFronzo, dans le bras contrôle, en tout cas, puisqu’on amène ces patients seulement à huit et quelques pour cent, finalement peu importe l’outil, pour faire un job qui n’est pas très bien fait. Mais là, la question est posée clairement de la valeur ajoutée. Il faut qu’elle soit démontrée, y compris dans la vraie vie.
Bernard Charbonnel — Ce qui est intéressant dans ce que tu viens de rapporter, c’est qu’on a là un exemple — il y en a quand même un certain nombre – de contraste, d’opposition entre les études randomisées, qui disent, et je crois que c’est indiscutable, qu’il y a un avantage qui en valeur absolue est faible, de la Lantus, ou maintenant des insulines de nouvelle génération, en termes de risque hypoglycémique. Donc contraste entre ça qui est validé, même si c’est moins que ce qui se dit quelquefois en valeur absolue, en nombre vrai d’événements, et donc un contraste avec ce qu’on appelle les études en vraie vie. Dans ce côté en moi, je pense que quand les études en vraie vie confirment les études randomisées, on a là quelque chose qui se tient bien, autant quand il y a des différences, et des différences sur un point central là, puisque c’est l’avantage théorique des nouveaux analogues lents, il faut chercher une explication. Quand même, moi je crois les études randomisées, qui ont raison sur le fond.
Ronan Roussel — S’il faut choisir entre les deux, c’est ce qu’on a tendance à penser. Mais effectivement… confusion ? Est-ce qu’on met la NPH plus aux uns ou plus aux autres ? Est-ce que, justement, on ne met pas l’analogue lent chez quelqu’un dont se dit à raison que son risque d’hypoglycémie est élevé et que, de ce fait, évidemment, on twiste tout à fait l’étude ?
Emmanuel Cosson — Mais là, il n’y avait pas d’ajustement sur ce facteur. Par exemple, [avaient-ils plus] d’information, antécédents d’hypo, avant… ?
Ronan Roussel — Alors lors de la présentation on n’a pas eu tous les détails, c’est passé rapidement sur le score de propension. Ça méritera de regarder, effectivement, est-ce qu’on cerne vraiment une population à risque similaire d’hypoglycémie, mais cela ouvre indiscutablement la question et l’éditorial qui accompagne dans le JAMA demande vraiment pourquoi l’investissement est-il fait et en vaut-il la chandelle…
Bernard Charbonnel — Et puis un mot quand même aussi sur le « score de propension »… on a l’impression qu’une fois qu’on a dit ça, on a tout dit – c’est évidemment ce qu’il faut faire dans les études observationnelles, mais cela n’ajuste jamais que sur ce qu’on met dedans…
Ronan Roussel — Bien sûr.
Emmanuel Cosson — Il y a eu justement une belle session avant-hier les études en vie réelle, c’était assez intéressant, où ils comparaient des résultats dans les études randomisées, contrôlées, et les études en vie réelle. Et c’est vrai que déjà les critères de sélection, quand tu rentres dans une étude contrôlée, tu es très sélectionné, il y a des biais de sélection à cause des critères d’exclusion, etc., ce sont souvent des patients qui sont moins à risque, qui sont très observants, contrairement à la vie où nous, on a des patients non observants et c’est ça ce qu’on voit aussi dans les études de vie réelle. Donc, je pense que les deux, c’est quand même intéressant. Maintenant, on n’arrive pas à ajuster sur tout dans les études de vie réelle et tu ne peux ajuster que sur les facteurs que tu connais, mais il y a plein d’autres facteurs où, si tu ne randomises pas, tu ne peux pas ajuster dessus.
Ronan Roussel — Bernard, Emmanuel, merci beaucoup. Et merci pour votre attention.
Voir, la première partie « spéciale ADA 2018 » consacrée au diabète gestationnel.
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Citer cet article: Diabète de type 2 : quid des nouvelles stratégies thérapeutiques en vraie vie ? - Medscape - 29 juin 2018.
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