POINT DE VUE

Diabète gestationnel à l'ADA 2018 : risques métaboliques et d’autisme chez l’enfant, dépistage précoce remis en cause

Pr Ronan Roussel, Pr Emmanuel Cosson, Pr Bernard Charbonnel

Auteurs et déclarations

28 juin 2018

Enregistré le 24 juin 2018, à Orlando, Floride, É.-U

Remise en question de l’intérêt du dépistage précoce, baisse de l’insulinosensibilité et augmentation du risque d’autisme chez l’enfant : toute l’actualité du diabète gestationnel à l’ADA 2018, avec Emmanuel Cosson, Ronan Roussel et Bernard Charbonnel.

TRANSCRIPTION

Ronan Roussel — Bonjour, bienvenue au congrès de l’American Diabetes Association (ADA) 2018, sur le plateau de Medscape. Je suis Ronan Roussel, diabétologue à l’hôpital Bichat. Avec moi, pour commenter certains faits marquants et notre sélection de l’ADA : Bernard Charbonnel, de l’Université de Nantes, et Emmanuel Cosson, à Paris également.

Pour commencer (cette première partie), Emmanuel vous présentiez des données sur le diabète gestationnel qui est un thème sur lequel il y avait beaucoup de présentations, y compris internationales, de très haut niveau.

Intérêt du dépistage précoce ?

Emmanuel Cosson — C’est en effet un débat important, notamment sur le diabète gestationnel précoce. La question actuelle est qu’on dépiste maintenant précocement le diabète gestationnel et on ne sait pas vraiment si cela sert à quelque chose…

Ronan Roussel — Précocement, c’est-à-dire ?

Emmanuel Cosson — Avant 24 semaines d’aménorrhée. L’idée de dépister précocement était de dépister les femmes qui avaient un diabète de type 2 ignoré. Du coup, on a dit « si elles ont 1,26 g/L ou plus, ce sont des diabètes ignorés », donc on pense réellement que cela sert à quelque chose…

Ronan Roussel — Le dépistage est sur une glycémie à jeun ?

Emmanuel Cosson — Une glycémie à jeun…Et puis il y a une catégorie intermédiaire qui s’est créée, qui est le diabète gestationnel précoce — ce sont les femmes qui, en début de grossesse, ont une glycémie à jeun entre 0,92g/l et 1,25g/l. Dans les recommandations internationales et françaises, on a dit : ces femmes-là, il faut les traiter. Or il n’y a aucun niveau de preuve encore pour dire s’il faut les traiter ou pas. On a eu alors l’idée [1], sur la cohorte de femmes qui ont accouché à Jean-Verdier (donc à Bondy), de les séparer en deux groupes — c’était d’observation — les femmes qui avaient eu un dépistage précoce, qu’il soit positif ou pas, versus celles qui n’avaient pas eu de dépistage. Puis on a comparé le pronostic dans ces deux groupes. On avait 10 000 femmes à peu près : 5000 qui avaient eu un dépistage précoce, 5000 qui n’en avaient pas eu.

Ronan Roussel — Et la raison d’être dans l’un ou l’autre groupe…

Emmanuel Cosson — Notre politique locale est « dépistage précoce à tout le monde. » Justement, c’était pour cette étude qu’on avait dit cela. Mais en fait, en réalité, on voit qu’il n’y a que la moitié qui ont été dépistées. C’est le médecin qui l’a fait ou pas.

Ronan Roussel — La pratique, oui.

Emmanuel Cosson — Et souvent les femmes sont dépistées avant même d’aller à Bondy. Donc ce n’est pas nous qui décidons finalement.

Ronan Roussel — Oui. Elles sont plus à risque, celles qui ont été dépistées ? Il a quand même une tendance ?

Emmanuel Cosson — Oui. Quand même, elles sont plus à risque. Ce qui est logique aussi… Donc après on a dû ajuster nos résultats avec des scores de propension sur le risque… ce qui expliquait qu’on avait un dépistage précoce ou pas, et on a fait un score de propension sur les facteurs qui expliquent les événements.

Donc on a deux groupes de femmes — 5000/5000 — dépistées précocement, et non dépistées. Lorsque les femmes sont dépistées précocement, on a en gros 22 % de femmes qui ont une dysglycémie pendant la grossesse, parce qu’on a pas mal de femmes qui sont dépistées tôt.

Ronan Roussel — Dysglycémie : un point entre 0,92g/L et 1,26g/L…

Emmanuel Cosson — Oui, c’est cela, globalement... Dans ma cohorte de femmes qui ont été dépistées précocement, j’ai des diabètes gestationnels précoces — à peu près 10 % de femmes — et j’ai aussi des diabètes gestationnels dépistés plus tard forcément puisque si c’est négatif je re-dépiste après 24 semaines d’aménorrhée. Et puis, dans l’autre groupe, pas de dépistage précoce — en revanche, on les dépiste à partir de 24 semaines et là on a 18 % de femmes qui ont des diabètes gestationnels. Donc cela veut dire que quand on fait des dépistages précoces on a une augmentation des femmes qu’il faut prendre en charge : 22 % versus 18 %. Et, effectivement, quand on regarde sur la cohorte globale, on a 8 % des femmes enceintes dépistées précocement qui ont eu besoin d’insuline versus 6 % dans l’autre groupe. Donc on a vraiment fait une prise en charge augmentée, cela nous a pris du temps, etc. Notre objectif principal était de voir si dans le groupe de dépistées précocement, cela permettait de diminuer les événements pendant la grossesse : c’est-à-dire un gros bébé pour la gestationnelle, dystocie des épaules, prééclampsie… On a fait un critère composite et on retrouve exactement le même nombre, enfin la même incidence d’événements dans les deux groupes.

Ronan Roussel — Oui, mais c’est peut-être parce que vous vous en êtes occupés, parce qu’il n’y a pas de comparaison, il n’y a pas de contrôle...

Emmanuel Cosson — Alors on s’en est occupé, effectivement, mais justement, si on s’en est occupé, on peut se dire : « c’est grâce au fait qu’on s’en est occupé qu’il y en aurait moins ». Mais il n’y en a pas moins.

Ronan Roussel — Alors, il y en aurait peut-être eu plus si vous vous n’en étiez pas occupés. Il manque le contrôle, en gros…

Emmanuel Cosson — Si. Le contrôle, c’est le groupe de femmes qui n’ont pas été dépistées.

Ronan Roussel — Oui, mais donc vous ne savez pas si…

Emmanuel Cosson — Non. On ne les a pas dépistées.

Ronan Roussel — Enfin, il est possible qu’il y ait un biais, qu’elles n’aient pas été dépistées comme malades parce qu’elles étaient globalement un peu moins graves. Enfin, cela veut dire, en gros, qu’on ne peut pas se passer d’une étude randomisée…

Emmanuel Cosson — De toute façon, il faut un essai randomisé. Il y en a un qui sera fait bientôt et il y en a plusieurs en cours où on recrute des femmes qui ont un diabète gestationnel précoce et on les randomise « je la traite ou pas ». Si je ne la traite pas, je la redépisterai à 24 semaines d’aménorrhée. Mais nous, on est en population globale … et on voit qu’il y a des femmes qui ont un diabète gestationnel précoce, mais qui sinon n’auraient jamais eu de diabète gestationnel. Il n’y a que la moitié des femmes qui ont un diabète gestationnel précoce qui ont réellement un diabète entre 24 et 28 semaines d’aménorrhée.

Bernard Charbonnel — Ce qui veut dire qu’elles s’améliorent en cours de grossesse…

Emmanuel Cosson — Oui. Exactement.

Ronan Roussel — Est-ce que vous avez eu l’opportunité, puisque vous avez tellement de femmes et que peut-être certaines ont eu plusieurs prélèvements de glycémie à jeun sur une période relativement courte, de voir la variabilité ? Parce qu’on a fait une mesure, mais est-ce qu’on est vraiment à jeun et puis la précision de la mesure… est-ce reproductible ce dépistage ?

Emmanuel Cosson — Pas tellement. En plus, on dit que c’est en début de grossesse, mais les glycémies, elles, varient même physiologiquement pendant toute la grossesse, donc on a pris 0,92g/L, mais le seuil peut varier, etc.

Ronan Roussel — Oui. Le risque de « sur-prise en charge » existe réellement, quoi.

Emmanuel Cosson — On le voit et on n’est pas sûr du tout que cela sert à quelque chose. Nous avons évalué sur les événements de la grossesse, c’est-à-dire à l’accouchement. Maintenant, on peut essayer de se dire — est-ce que cela pourrait être quand même bien ? Parce qu’on pourrait, même si on ne les traite pas vraiment comme un diabète gestationnel, faire des mesures hygiénodiététiques pour prévenir un diabète qui surviendrait à 24 semaines d’aménorrhée, puisque là on sait que le diabète gestationnel après 24 semaines d’aménorrhée est de mauvais pronostic. Hier, il y a eu une intervention [2]qui était assez intéressante où ils ont regardé chez des femmes qui avaient une charge en glucose en début de grossesse et en fin de grossesse — un peu comme nous, mais là des charges en glucose globales — et c’est une étude d’intervention, où ils ont mis en début de grossesse de l’hygiène de vie, quel que soit le statut glycémique. Mais ce qu’ils montrent, c’est que chez les femmes qui avaient déjà une charge en glucose anormale (si on considère les mêmes critères) en début de grossesse et qui ont eu des mesures hygiénodiététiques, cela ne réduit pas le risque d’avoir un diabète gestationnel plus tard. Donc c’est vraiment embêtant, c’est-à-dire qu’on fait plein de choses en début de grossesse pour prévenir les événements – nous on a l’impression que cela ne sert à rien, mais ce n’est pas une étude randomisée – mais même si on fait des mesures hygiénodiététiques en début de grossesse, on a l’impression qu’on ne prévient même pas un diabète gestationnel habituel après 24 semaines d’aménorrhée. Donc cela pose vraiment beaucoup de questions sur le dépistage.

Bernard Charbonnel — Donc ton message pratique aujourd’hui, pour le praticien est : en attendant des études randomisées, il faut en rester au contrôle recommandé du diabète gestationnel classique…

Emmanuel Cosson —Je pense qu’il faut quand même rester prudent, c’est-à-dire que les femmes qui sont très à risque et chez qui on pense qu’elles pourraient avoir un diabète de type 2 ignoré, il faut les dépister. Mais dans notre cohorte, c’est à peu près 1 % des femmes qui avaient un diabète découvert pendant la grossesse, avec 1,26.

Bernard Charbonnel — Donc ton message pratique est d’en rester aux recommandations actuelles.

Emmanuel Cosson — C’est de rester pour l’instant aux recommandations actuelles, mais lorsque vous avez vraiment un doute et que c’est une jeune femme qui n’est pas à risque, il ne faut pas la dépister et surtout ne pas s’exciter à 0,92…

Ronan Roussel — Oui, c’est ça. C’est que ce n’est pas du type 2 préalable. C’est que la dysglycémie reste pour l’instant une notion pathologique limitée.

Emmanuel Cosson — Et surtout il y a quand même la moitié de ces femmes qui n’auraient pas de diabète gestationnel après, donc on les prend en charge peut-être pour rien. Enfin, en tout cas, cela fait beaucoup d’énergie. Or déjà, les prévalences sont énormes — cela fait beaucoup de femmes à prendre en charge.

Devenir métabolique de l’enfant : suivi de l’étude HAPO

Ronan Roussel — Beaucoup de nouvelles recommandations sont basées sur l’étude HAPO (Hyperglycemia and Adverse Pregnancy Outcome) [3], qui était un grand registre qui a permis de définir des nouveaux seuils. Là, il y avait un suivi de HAPO — qu’est-ce qu’il nous a apporté ?

Emmanuel Cosson — C’était super. Je trouve que ce sont de très beaux résultats, parce qu’on suit vraiment les enfants des femmes qui ont eu leur grossesse pendant HAPO.

Ronan Roussel — Quelle est la taille de l’échantillon ?

Emmanuel Cosson — HAPO, c’était 18 000 femmes, 25 pays de tous les continents représentés, donc c’était énorme. Ces femmes avaient eu des dépistages par une charge en glucose entre 24 et 30 semaines d’aménorrhée, mais elles n’avaient pas été traitées. Donc on les reclassifie a posteriori — elles avaient eu un diabète gestationnel, mais non traité. On a l’accord des enfants et ils ont été suivis entre 10 et 14 ans, donc c’est un super suivi. Chez ces enfants, ils ont fait des charges en glucose. Les investigateurs nous ont montré des résultats, suivant que la femme avait eu un diabète gestationnel traité ou pas, est-ce qu’il y avait des anomalies de la charge en glucose, etc. ? Ce qu’on trouve, c’est qu’il y a deux fois plus d’anomalies de la charge en glucose lorsque la maman a eu un diabète gestationnel non traité, donc c’est quand même beaucoup. Et la prévalence était de 10,2 % (je crois) versus 5 %. C’est quand même 10 % des enfants entre 10 à 14 ans qui ont déjà une charge en glucose anormale. Ce que cela prédisait, c’était l’intolérance au glucose. En revanche, la glycémie à jeun était identique dans les deux groupes, donc cela marche plutôt sur la post-charge.

Ronan Roussel — D’accord. Et ils avaient du C-peptide, des choses qui permettaient d’aller toucher l’insulinosécrétion ?

Emmanuel Cosson — Oui. Ils ont fait des index d’insulinosensibilité et elle est plus basse dans le groupe des enfants dont la maman avait eu un diabète gestationnel. Et ils ont ajusté sur plein de facteurs de confusion : l’IMC de la mère, le poids de naissance, etc. Ce sont de belles études.

Ronan Roussel — C’est donc l’avenir métabolique des enfants ; est-ce qu’ils ont évoqué l’avenir à d’autres titres, par exemple le cognitif, le développement?

Diabète gestationnel et autisme de l’enfant

Emmanuel Cosson — Il y a eu une autre présentation[4][publiée simultanément dans le JAMA] très intéressante de la Kaiser Permanente — ce sont des énormes cohortes, puisque ce sont des suivis. Ils ont regardé le pronostic de l’enfant suivant le statut glycémique de la mère pendant la grossesse. En fait, déjà l’année dernière ils avaient montré que lorsque la mère avait un diabète gestationnel avant 26 semaines d’aménorrhée, cela prédisait les troubles de type autisme chez l’enfant. Donc c’est assez flippant, je trouve. Ce sont des diabètes gestationnels précoces.

Ronan Roussel — Il y a une communication qui est faite sur le risque d’autisme chez les enfants de femmes diabétiques de type 1…

Emmanuel Cosson — Justement. C’est la même équipe en fait. L’année dernière ils avaient montré ça. Et puis, quand ils avaient voulu publier, on leur avait dit « regardez les diabètes de type 2 aussi puisque vous pensez qu’éventuellement les femmes qui ont un diabète gestationnel avant 26 semaines d’aménorrhée, c’est du diabète de type 2 ». Ils avaient montré aussi un risque augmenté d’autisme chez les enfants de mamans qui avaient un diabète de type 2. Cette année, ils ont travaillé sur le diabète de type 1 et ils retrouvent exactement les mêmes résultats — même à un odds ratio un peu plus fort — chez les enfants des mères qui ont un diabète de type 1.

Ronan Roussel — C’est effectivement assez édifiant et surprenant, aussi parce que l’exposition à l’hyperglycémie in utero n’est pas la même chez le diabète gestationnel que dans le diabète de type 1. Cela veut-il dire que c’est plus tardif… ?

Emmanuel Cosson — L’exposition au diabète gestationnel précocement pendant la grossesse prédit l’autisme, mais si vous avez un diabète gestationnel découvert après [26 semaines], cela ne le prédit pas du tout. Donc on pense qu’il y a une fenêtre d’exposition à l’hyperglycémie. Lorsqu’il y a un diabète de type 2 ou un diabète de type 1, c’est un peu plus fort que lorsque c’est un diabète gestationnel. Visiblement, ils ont regardé si les traitements pouvaient avoir une interaction ou l’expliquer en partie, en tout cas en plus de l’exposition à l’hyperglycémie, mais cela ne sort pas.

Ronan Roussel — OK. Merci beaucoup. Merci de votre attention.

Voir la 2e partie de cette émission consacrée à L’ADA 2018 : Quid des nouvelles stratégies thérapeutiques en vraie vie ?

 

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