POINT DE VUE

Cancer du poumon : les avancées de l’immunothérapie

Dr Suzette Delaloge, Dr Maurice Pérol, Pr Bernard Escudier

Auteurs et déclarations

11 juin 2018

Voir la 2e partie : Actualité de l’ASCO dans les cancers du rein et du sein

Enregistré le 4 juin 2018, à Chicago, É.-U.

TRANSCRIPTION

Suzette Delaloge — Bonjour, je suis le Dr Suzette Delaloge, oncologue médicale à l’Institut Gustave Roussy, responsable du comité de pathologie. Je suis aussi membre de la Société Française du Cancer, qui est partenaire de Medscape. Nous avons la chance d’être aujourd’hui au congrès de l’ASCO 2018, où de nombreuses choses très intéressantes ont été présentées et que nous allons vous résumer. J’ai la chance aussi d’être accompagnée de deux illustres oncologues médicaux français : Bernard Escudier, qui travaille à Gustave Roussy, où il est oncologue médical également et qui est un grand spécialiste mondial du cancer du rein, et le Dr Maurice Pérol, onco-pneumologue au centre Léon Bérard, à Lyon. Nous allons d’abord parler de l’actualité très chargée et très intéressante en termes d’oncopneumologie.

Maurice Pérol — Le congrès de l’ASCO s’inscrit un peu dans une dynamique de tsunami d’immunothérapie pour le cancer du poumon, avec tellement d’études de phases 3 qui sont présentées les unes à la suite des autres qu’il est parfois difficile de s’y retrouver. Donc globalement, l’immunothérapie avait été validée en deuxième ligne de traitement dans les cancers du poumon et logiquement elle a été développée ensuite en première ligne. La problématique actuelle est celle de la première ligne. Il y avait trois grandes pistes pour développer l’immunothérapie en première ligne dans le poumon :

La première était de sélectionner les patients à haute probabilité de réponse, donc sur le degré d’expression de PDL-1, en prenant uniquement les patients avec un niveau d’expression supérieur à 50 %, et de comparer une monothérapie, un anti-PD-1, à la chimiothérapie cytotoxique classique double et à base de platine. Cette première piste a été développée d’abord dans la KEYNOTE-024[1], qui avait été présentée en 2016, qui montrait que le pembrolizumab était très supérieur à la chimiothérapie, avec une amplitude de bénéfice qu’on avait rarement vue, la médiane de survie passant de 14 mois dans le bras contrôle à 30 mois dans bras expérimental. Ici a été présentée, à l’ASCO, en séance plénière, une étude un peu semblable, qui est la KEYNOTE-042, si ce n’est que la cible avait été élargie en prenant les patients dont la tumeur exprimait PDL-1 à plus de 1 % des cellules tumorales seulement. Alors c’est un peu la même étude : comparaison entre le pembrolizumab et la chimiothérapie à base de platine — avec quand même des petites particularités qui sont importantes. Tout d’abord, il n’y avait pas de cross-over et ceci est important puisque dans la KEYNOTE-024 il y avait un cross-over dans 60 % des patients du bras contrôle, donc c’est un gros argument pour dire « l’immunothérapie, il vaut mieux l’utiliser d’emblée, en frontline, plutôt qu’attendre la seconde ligne » et puis surtout cela a été fait dans des pays dans lesquels l’accès à l’immunothérapie était relativement faible, donc cela les prémunissait également d’un cross-over en dehors d’un cross-over organisé dans l’essai. L’étude est positive – c’est-à-dire que sur plus de 1 %, il y a un bénéfice de survie avec un hazard ratio qui est nettement moins favorable que la 024, mais il faut quand même rentrer dans le détail statistique de l’étude pour comprendre comment ils ont procédé pour arriver à ce résultat. Ils ont fait une analyse hiérarchique en commençant par les patients qui exprimaient PDL-1 à plus de 50 % qui, dans cette étude, étaient très nombreux − près de la moitié des patients − ce qui est beaucoup plus que dans notre pratique, où c’est à peu près 30 %, 35 %. Là, c’était pratiquement 50 % des patients. Ils ont eu un bénéfice qui était évidemment important, comme dans l’étude précédente.

Après ils ont regardé dans les plus de 20 %, mais qui incluaient les patients qui avaient plus de 50 % — c’était encore positif — et après dans les plus de 1 %. Et là cela reste positif, mais évidemment de manière moins importante. Et quand on regarde l’analyse exploratoire entre 1 % et 50 %, il n’y a pas de bénéfice de survie, ce qui montre bien que le bénéfice est drivé par les plus de 50 % et donc que cela ne change pas nos pratiques. C’est-à-dire que la monothérapie doit être réservée aux patients dont le niveau d’expression de PDL-1 est très élevé.

À côté de cela, la deuxième piste qui a été développée et qui est une piste qui entraîne un grand nombre d’études, qui sont toutes positives, c’est de combiner la chimiothérapie et l’immunothérapie anti-PD-1 ou anti-PDL-1 versus la chimiothérapie. Ceci répond également à un besoin qui est important : on s’est aperçu que même chez les patients à plus de 50 %, on avait parfois des patients qui progressaient très vite, qui ne répondaient pas du tout à l’immunothérapie. Et le fait d’associer une chimiothérapie permet de se prémunir contre ce risque de progression précoce des patients. À l’AACR, on a eu une des études du pembrolizumab, qui est la KEYNOTE-189, qui montrait dans les non épidermoïdes, car ces études ont été faites histologie par histologie — non épidermoïde et épidermoïde — alors que les études qui sélectionnaient les patients sur le niveau de PDL-1 étaient toutes histologies. Là, pour les combinaisons avec la chimiothérapie, puisque la chimiothérapie est variable selon l’histologie, les études ont été faites de manière séparée. Donc, à l’AACR, la KEYNOTE-189 montrait qu’il y avait un bénéfice de survie en ajoutant le pembrolizumab à la chimiothérapie. Et là, « l’avantage », c’est qu’il n’y a pas besoin de sélectionner sur le niveau de PDL-1 : le bénéfice est plus important pour les patients qui ont un haut niveau d’expression, mais il reste significatif pour les patients qui n’ont pas d’expression de PDL-1 quand on combine à la chimiothérapie. Donc, la KEYNOTE-189 avait jeté un peu une première base, c’est-à-dire que chez les patients à faible expression de PDL-1, la combinaison s’impose ; chez les patients à hauts niveaux, on a le choix entre une combinaison et une monothérapie. Ici, à l’ASCO, on a eu deux essais, cette fois-ci dans les épidermoïdes : un essai exactement comme la 189, qui est la KEYNOTE-407 – là, la chimiothérapie carboplatine/taxol ou carboplatine/nab-paclitaxel, qui a l’AMM dans les cancers épidermoïdes mais qu’on ne peut pas utiliser en France dans le poumon. Et l’étude a été faite de manière très simple : adjonction du pembrolizumab à cette chimiothérapie par rapport à un placebo, donc quand même une étude en double aveugle. Cross-over relativement important, là encore, qui était organisé dans l’essai, mais malgré ce cross-over il y a un bénéfice en termes taux de réponse, de survie sans progression et de survie. Curieusement, il n’y a pas tellement d’influence du niveau d’expression de PDL-1 dans le bénéfice, qui est à peu près homogène, quel que soit le niveau d’expression de PDL-1. Donc, dans les épidermoïdes aussi il est très probable qu’on va avoir la possibilité d’utiliser des combinaisons, au moins pour les non-expresseurs et les faibles expresseurs de PDL-1, avec toujours cette discussion : faut-il faire une monothérapie ou une bithérapie pour les hauts expresseurs de PDL-1 ? On a une étude semblable avec l’atézolizumab, également avec la carboplatine/nab-paclitaxel comme chimiothérapie de référence, dans les épidermoïdes et, curieusement, un petit peu comme dans les non épidermoïdes, l’amplitude de bénéfice est un peu moins important avec l’atézolizumab — qui est un anti-PDL-1 — qu’avec les anti-PD-1, parce qu’ils n’arrivent pas, pour l’instant, à sortir la survie, ils ont un bénéfice en survie sans progression d’amplitude plus faible, mais n’arrivent pas à sortir la survie…

Bernard Escudier — Est-ce qu’on peut te demander si on guérit des patients ?

Maurice Pérol — Alors, c’est une question finalement qu’on n’ose pas avouer…

Bernard Escudier — Oui. C’est une question qu’on se pose…

Maurice Pérol — Que les patients se posent, surtout. Et on a un recul, maintenant, de plus de cinq ans dans le premier essai de phase 1 au nivolumab — il y a 16 % de patients en vie à cinq ans, alors que c’était des patients qui avaient reçu 2, 3, 4, 5 lignes auparavant. Donc, on a à peu près un plateau à 15 %-16 % des patients qu’on ne sait pas encore formellement bien identifier. Au départ, il y a plus de PDL-1 fortement exprimé, mais il y en a qui n’était pas du tout exprimé, et on a dans les essais cliniques, des patients qui ont arrêté le traitement, soit parce qu’ils arrivaient au bout de deux ans prévus, soit pour des raisons de toxicité et qui sont en vie, indemnes de maladie à 3-4 ans.

Suzette Delaloge — Comme dans le mélanome, comme dans d’autres pathologies…

Maurice Pérol — Comme dans le mélanome. Alors, on n’ose pas trop l’avouer parce que finalement on n’a pas le recul qu’on avait dans le mélanome avec l’ipilimumab, on n’a pas encore un recul aussi important, mais il y a des patients qui sont en rémission, indemnes de maladie.

Bernard Escudier — Et on arrête le traitement dans le cancer du poumon ?

Maurice Pérol — C’est une question majeure et que, pour l’instant, est totalement empirique : certains essais continuaient le traitement jusqu’à progression, d’autres essais arbitrairement arrêtaient à deux ans. Pour l’instant, on essaie un peu de louvoyer, on fait des PET scans, lorsqu’ils sont en réponse complète, on essaie d’arrêter. On a l’expérience des patients qui ont arrêté pour toxicité et qui, globalement, vont plutôt bien…

Bernard Escudier — Oui. Comme dans beaucoup d’autres tumeurs.

Maurice Pérol — Comme dans beaucoup de tumeurs. Ils vont plutôt bien. Mais ça reste un débat important. Est-ce qu’on pourrait réduire la durée ? Ça reste relativement complexe.

Suzette Delaloge — Donc la place la chimiothérapie, finalement c’est un immuno-attractant, un immuno-sensibilisant, c’est l’impression qu’on a. C’est-à-dire qu’en fait, la chimio est utile dans les peu immuno-sensibles.

Maurice Pérol — En fait, c’est une excellente question, parce qu’on ne sait pas réellement s’il y a une synergie ou pas. Au bout du compte, cette proportion de longs bénéficiaires, est-ce qu’elle va augmenter si on leur a fait en même temps la chimiothérapie, ou est-ce qu’on s’est prémuni contre le risque de progression précoce, simplement ? C’est difficile à dire. Autant, avec l’ipilimumab, on a vraiment l’impression d’une synergie dans la CHECKMATE-227[2], autant avec la chimiothérapie, lorsqu’on regarde à partir d’un an, un an et demi, on a l’impression qu’on a la même proportion de patients, mais cela reste à voir avec plus de recul. Mais la chimiothérapie ne disparaît pas, contrairement à ce qu’on avait pensé ou espéré. Je pense que de manière très pragmatique beaucoup de cliniciens vont faire des combinaisons chimio/immuno pour tout le monde, ce qui est un peu « dommage ». Mais finalement, cela sera beaucoup plus simple, même si la monothérapie par un anti-PD-1 chez les plus de 50 % se justifie probablement chez les patients à faible risque.

Bernard Escudier — Et tu peux nous dire un dernier mot sur le néoadjuvant dans le poumon ?

Maurice Pérol — Alors, le néoadjuvant, ce n’était pas tellement à l’ASCO, plutôt à l’AACR. Donc, un essai de néoadjuvant qui — enfin il y a plusieurs essais en cours — dont les résultats ont été rapportés : les patients avaient un cancer opérable, deux injections de nivolumab à un mois et 15 jours avant l’opération et un taux de réponse histologique majeur — moins de 10 % de cellules viables — dans 40 % des patients. Avant même, finalement, qu’il y ait une réponse morphologie qui soit visible, c’est-à-dire que les patients n’avaient même pas le temps de diminuer leurs tumeurs, mais il y avait très peu de cellules tumorales viables avec deux injections. Donc cela paraît extrêmement attractif, puis c’est peut-être plus logique de le faire en néoadjuvant qu’en adjuvant, quand la tumeur est encore en place, d’amorcer la réponse immunitaire.

Suzette Delaloge — Bien sûr. Il y a beaucoup de raisons et dans le cancer du rein on le voit, aussi, que l’immunothérapie semble plus efficace avec tumeur en place. Cela veut-il dire qu’il y a une demande d’enregistrement et qui va survenir pour le néoadjuvant ?

Maurice Pérol — Je pense que c’est trop tôt. C’est vraiment un essai de faisabilité. Il y a des essais randomisés qui commencent.

Suzette Delaloge — D’accord. Donc, nous avons passé en revue ces actualités extrêmement brûlantes dans le cancer du poumon et on est probablement dans la pathologie dans laquelle il se passe plus de choses, mais il y a d’autres choses intéressantes, quand même et dans une seconde partie​​​​​​​, nous allons passer en revue l’actualité du cancer du rein avec, en particulier, une présentation française très brillante et puis un peu d’actualité du cancer du sein, quand même. Merci.

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