Chicago, Etats-Unis – Deux essais présentés cette année au congrès de l’ASCO 2018 devraient changer les standards de prise en charge du cancer du pancréas.
Cancer localisé : résultats impressionnants du FOLFIRINOX après chirurgie
Le premier, l’essai randomisé de phase III GI PRODIGE 24/CCTG PA.6 a comparé le régime de chimiothérapie mFOLFIRINOX au traitement standard par gemcitabine chez des patients qui ont pu avoir leur tumeur pancréatique opérée – sachant que seuls 15 à 20 % des patients atteints d’un cancer du pancréas ont un cancer opérable [1,2]. Et les résultats sont impressionnants : les patients qui reçoivent le FOLFIRINOX vivent en moyenne 20 mois de plus et ont une moyenne de survie sans progression supérieure de 9 mois par rapport à ceux qui reçoivent la gemcitabine.

Dr Manuel Rodrigues
« Il s’agit de résultats majeurs dans le cancer du pancréas, l’un des cancers avec le plus mauvais pronostic. Les français avaient déjà montré dans le NEJM il y a quelques années que leur cocktail de chimiothérapie FOLFIRINOX était plus efficace que la gemcitabine quand le cancer était métastatique. Les nouveaux résultats chez les patients non-métastatiques sont très impressionnants. Près de 50 % des patients étaient encore vivants 5 ans après leur diagnostic de cancer du pancréas ce qui est absolument exceptionnel. De plus, on peut noter que les quatre drogues incluses dans le régime FOLFIRINOX sont connues depuis longtemps et bon marché contrairement à la plupart des traitements sur le devant de la scène à ce congrès », a commenté le Dr Manuel Rodrigues, oncologue à l’Institut Curie et Vice-Président de la Société Française du Cancer dans le cadre du partenariat Medscape/SFC.

Dr Thierry Conroy
« Ces données en survie globale sont les meilleures qui aient jamais été obtenues avec un traitement adjuvant. Nous avons été heureux de voir que les résultats de cette étude étaient meilleurs que ce que nous attendions lorsque nous avons élaboré l’essai en 2012. Le FOLFIRINOX devrait être considéré comme nouveau standard de soins », a commenté l’auteur principal de l’étude, le Dr Thierry Conroy (oncologue médical et Directeur de l’Institut de Cancérologie de Lorraine, Nancy, France), lors de la conférence de presse de présentation des résultats.
L’étude en bref
L’essai a enrôlé des patients atteints d’adénocarcinome du pancréas (90 % des cancers du pancréas) non-métastatiques avec une résection totale ou partielle de leur tumeur. Trois à 12 semaines après la chirurgie, 493 patients ont été randomisés en France et au Canada pour recevoir soit de la gemcitabine, soit du mFOLFIRINOX (oxaliplatine, irinotécan, 5-FU, acide folinique) pendant 6 mois.
Principaux résultats après un suivi moyen de 33,6 mois
Critère de jugement |
FOLFIRINOX |
Gemcitabine |
RR |
Moyenne de survie sans progression |
21,6 mois |
12,8 mois |
RR=0,59 (IC 0,47-0,74) |
Survie globale |
54,4 mois |
34,8 mois |
RR=0,66(IC 0,49-0,89) |
Temps moyen avant métastases |
30,4 mois |
17,7 mois |
RR=0,59(IC 0,46-0,76) |
Les auteurs soulignent que ces bons résultats ont été observés dans tous les sous-groupes de patients quel que soit l’âge, le sexe, le stade de la tumeur…
En termes de tolérance, les patients ont eu plus d’effets secondaires de grade 3-4 dans le bras FOLFIRINOX (surtout hématologiques) (75,5 % versus 51,1 %) mais ces effets étaient « gérables », selon les auteurs. Les patients du groupe FOLFIRINOX avaient significativement plus de diarrhées sévères (18,6 % vs 3,7 %), de fatigue (11% vs 4,6 %), de vomissements (5% vs 1,2 %), de neuropathies (9,3 % vs -) et de mucites (<2%). Les effets secondaires liés à la gemcitabine étaient les maux de tête, la fièvre, les symptômes grippaux, les oedèmes et la leucopénie. Aucune différence significative n’a été observée entre les deux bras en termes de neutropénie. Un décès lié au traitement est survenu dans le bras gemcitabine et aucun dans le bras FOLFIRINOX.

Dr Andrew Epstein
« Au final, le patient devrait recevoir le FOLFIRINOX lorsque cela est possible mais en cas de comorbidité comme des neuropathies, par exemple, il faut être plus prudent et dans ce cas peut-être proposer plutôt une association de gemcitabine + capecitabine », a commenté le Dr Andrew Epstein (centre anti-cancéreux Memorial Sloan Kettering, Etats-Unis) au nom du comité scientifique de l’ASCO.
« La gemcitabine reste une option pour les patients qui sont fragiles 12 semaines après l’opération ou chez ceux qui ont de claires contre-indications au FOLFIRINOX. Il s’agit d’un petit nombre de patients », a renchéri le Dr Conroy.
Les antécédents de maladies cardiaques ischémiques représentent notamment un risque particulièrement important avec le FOLFIRINOX.
Pour la suite, le nouvel enjeu sera de déterminer la séquence thérapeutique optimale pour les patients. Ceux-ci pourraient-il bénéficier du FOLFIRINOX avant la chirurgie (traitement néoadjuvant) ? Une autre option serait de délivrer la moitié du traitement de chimiothérapie avant, puis l’autre moitié après la chirurgie (chirurgie périopératoire). Des essais cliniques sont actuellement en cours de réalisation pour tester ces deux hypothèses.
Passer à la radio-chimiothérapie en néoadjuvant ?
Autres données chocs présentées cette année à l’ASCO[3,4] dans le cancer du pancréas, l’administration pré-opératoire d’une radiothérapie associée à une chimiothérapie permettrait d’augmenter l’espérance de vie des patients atteints de cancer du pancréas, selon les résultats préliminaires de l’essai randomisé de phase III PREOPANC-1.

Pr Geertan Van Tienhoven
« Il s’agit du premier essai randomisé à avoir montré que le traitement pré-opératoire améliore les résultats chez les patients atteints d’un cancer du pancréas à un stade précoce opérable. Nous pensons que cet essai peut changer les pratiques », a commenté l’auteur principal de l’étude, le Pr Geertan Van Tienhoven (oncologue radiothérapeute, Academic medical center, Amsterdam, Pays Bas).
L’essai PREOPANC-1 a inclus 246 patients atteints d’un cancer du pancréas opérable. Les patients ont été randomisés pour recevoir soit une chirurgie immédiate, soit une chimioradiothérapie pour 10 semaines, suivi d’une exérèse de la tumeur. Les deux groupes de patients ont reçu une chimiothérapie standard, dans les mêmes proportions, après la chirurgie.
Principaux résultats
Critère de jugement |
Radiochimiothérapie pré-opératoire |
Chirurgie d’emblée |
RR, p |
Survie globale moyenne |
17,1 mois |
13,7 mois |
RR=0,74, p=0,074 |
Survie sans progression |
11,2 mois |
7,9 mois |
RR= 0,67, p= 0,010 |
Survie globale moyenne à 2 ans |
42 % |
30 % |
|
Aussi, les chercheurs précisent que dans le sous-groupe de patients chez lesquels la tumeur a été retirée avec succès, la survie globale moyenne étaient de 42,1 mois avec le traitement pré-opératoire versus 16,8 mois avec la chirurgie d’emblée. Ils précisent que la résection a pu être réalisée chez 72 % des patients du bras « chirurgie d’emblée » et chez 62 % des patients du bras « chimioradiothérapie » (p=0,15). Enfin, parmi les patients qui ont eu leur tumeur retirée, la résection a été considérée comme complète pour 63 % des patients ayant reçu le traitement néoadjuvant versus 31 % des patients ayant eu une chirurgie d’emblée (p<0,001).
En termes de toxicité, aucune différence statistiquement significative n’a été observée pour les effets secondaires de grade ≥ 3 (p=0,17).
Pour l’avenir, les chercheurs ont indiqué qu’après la publication de l’analyse complète des données, ils espéraient trouver des traitements néo-adjuvants encore plus performants, comme le FOLFIRINOX ou le FOLFIRINOX associé à une radiothérapie stéréotaxique.
En pratique
Comment les résultats de ces deux études vont-ils changé les pratiques ?
Invité à commenter ces deux études par le comité scientifique de l’ASCO, le Dr Epstein a répondu de la façon suivante : « je pense qu’après les résultats de l’étude du Dr Conroy et coll., face à un patient avec une tumeur résécable, donner du FOLFIRINOX après la chirurgie doit être discuté dès que cela est possible. En revanche, en cas de doute sur l’intérêt d’opérer un patient et si on se demande ce qui serait nécessaire avant la chirurgie pour améliorer les résultats, la radio-chimiothérapie semble une bonne option ».
En conclusion, pour le Dr Rodrigues : « Il y a fort à parier que dans le futur, nous envisagerons une chimiothérapie par FOLFIRINOX ou une radio-chimiothérapie avant la chirurgie afin de la faciliter et d’améliorer la survie associée à la reprise de la chimiothérapie en post-opératoire. A ce prix, l’histoire naturelle du cancer du pancréas sera probablement modifié en profondeur ».
L’étude Prodige 24-PA.6 conduite en France par Unicancer et au Canada avec la collaboration du Groupe canadien des essais sur le cancer (CCTG) a été financée en France par le Ministère de la Santé et par la Ligue nationale contre le cancer et au Canada par la société canadienne du cancer et “7 days in May,”. L’étude PREOPANC-1 a reçu des financements de la Dutch Cancer Society KWF. Les liens d’intérêts des auteurs sont listés dans les abstracts. Le Dr Epstein n’a pas de liens d’intérêt en rapport avec le sujet. |
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Citer cet article: Cancer du pancréas : changements de pratique en vue - Medscape - 5 juin 2018.
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