
Pr Arnaud Méjean
Chicago, Etats-Unis – La néphrectomie pratiquée en routine dans le cancer du rein avancé depuis plus de 20 ans pourrait être évitée chez de nombreux patients sans compromettre leur survie, selon l’étude CARMENA (Cancer du Rein Métastatique Néphrectomie et Antiangiogéniques) présentée en séance plénière au congrès de l’ASCO 2018[1,2]par le Pr Arnaud Méjean (urologue, hôpital européen Georges Pompidou, Université Paris Descartes, Paris, France) et publiée simultanément dans le New England Journal of Medicine[3].
Dans cet essai de non-infériorité, la survie globale moyenne des patients recevant seulement l’antiangiogénique sunitinib (Sutent®) était de 18,4 mois versus 13,9 mois pour la thérapie ciblée après néphrectomie.
« Jusqu’à maintenant, la néphrectomie d’emblée était considérée comme le standard de soins chez les patients avec un cancer du rein métastatique, soit 20 % des patients atteints d’un cancer du rein. Notre étude est la première à questionner l’intérêt de la chirurgie à l’heure des thérapies ciblées et montre clairement que la chirurgie ne devrait plus être le standard de soins pour certains patients », a commenté le Pr Méjean.
À l’époque où des traitements comme l’interféron étaient utilisés, des études avaient démontré que pratiquer une néphrectomie d’emblée à des patients atteints d’un cancer du rein métastatique au diagnostic améliorait leur prise en charge. Mais, depuis que les antiangiogéniques, comme le sunitinib ont été mis à disposition, la pertinence de commencer la prise en charge de ces patients par une néphrectomie se pose.
Une question importante puisqu’éviter la chirurgie permet d’une part d’empêcher les complications dues à la néphrectomie (hémorragies, infections, embolie pulmonaire, problèmes cardiaques…) et d’autre part de démarrer immédiatement le traitement médical sans retarder la prise en charge.
Pas de perte de chance en termes de survie
Initiée par l’Association française d’urologie (AFU) et le GETUG (Groupe d’Etude des Tumeurs Uro-Génitales) et promu par l’AP-HP, l’étude CARMENA, essai randomisé multicentrique français de non-infériorité de phase III, a permis de répondre à cette question.
L’essai a enrôlé 450 patients atteints de carcinome rénal métastatique entre 2009 et 2017. Les participants ont été randomisés pour l’exérèse de leur tumeur suivi de sunitinib 4 à 6 semaines plus tard (n=226) ou pour le sunitinib seul (n=224).
Après un suivi moyen de 50,9 mois, la survie n’était pas inférieure chez l’ensemble des patients ayant reçu le sunitinib seul (18,4 mois versus 13,9 mois ; RR=0,89). En particulier, elle n’était pas non inférieure chez les patients à risque intermédiaire (23,4 mois versus 19 mois ; RR=0,92) et chez ceux de mauvais pronostic (13,3 mois versus 10,2 mois ; RR=0,85).
Le taux de réponse aux traitements était similaire dans les deux groupes (27,4 % versus 29,1 %) et la moyenne de survie sans progression était légèrement supérieure dans le bras sunitinib seul (8,3 mois versus 7,2 mois). Un bénéfice clinique a été observé chez 47,9 % des patients traités par sunitinib seul comparé à 36,6 % des patients traités par chirurgie et sunitinib.
« Grâce à ces résultats, la néphrectomie et les effets secondaires sévères fréquents qui l’accompagnent seront épargnés à de nombreux patients atteints de cancer du rein métastatique », a commenté le Dr Sumanta K. Pal (City of Hope, ASCO, Duarte, Etats-Unis) lors de la conférence de presse de présentation des résultats.
« En pratique, le fait de ne pas être opéré pour des patients qui ont une survie relativement limitée compte tenu de la gravité de leur maladie est très intéressant. Mais, en revanche, si les patients répondent très bien au traitement, on pourra leur faire une néphrectomie secondaire », a conclu le Pr Méjean pour Medscape édition française.

Dr Manuel Rodrigues
Pour le Dr Manuel Rodrigues, oncologue à l’Institut Curie et Vice-président de la Société Française du Cancer, ces résultats s’expliquent en grande partie par le net enrichissement en patients présentant un haut risque (environ 40 %). « Cette proportion élevée de patients à haut risque pourrait expliquer l’absence de bénéfice dans cette situation. La chirurgie doit donc toujours être utilisée chez les patients à faible risque mais semble donc moins nécessaire chez les patients à risque intermédiaire ou à haut risque », a-t-il souligné.
Des résultats importants dans un contexte d’évolution des traitements
Lors de son commentaire, le Pr Pal a souligné l’importance de ces données à l’heure où le paysage des traitements du cancer du rein évolue rapidement. Il a précisé que la question de la pertinence de la néphrectomie allait se poser avec le cabozantinib et le lenvatinib qui ont reçu une AMM en deuxième ligne de traitement à l’été 2016 en Europe et surtout avec l’association de nivolumab et d’ipilumab approuvée en première ligne du cancer du rein métastatique depuis mi-avril par la FDA (évaluation en cours de l’EMA).
L’étude a été financée par un PHRC gouvernemental. Les liens d’intérêt des auteurs sont listés dans le papier du NEJM. |
Cancer du rein avancé à haut risque : une double immunothérapie mieux que le sunitinib
Cancer du rein métastatique : la surveillance active comme option possible
Cancer du rein métastatique : le nivolumab bientôt autorisé en Europe
Cancer du rein métastatique : doublement de la survie sans progression sous cabozantinib
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Citer cet article: Cancer du rein avancé : la néphrectomie en routine pourrait être évitée chez de nombreux patients - Medscape - 4 juin 2018.
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