L’avis sur les bénéfices/risques des statines de l’Académie de médecine ne fait pas l’unanimité

Vincent Richeux

1er juin 2018

Paris, France Le débat sur l’intérêt des statines en prévention du risque cardio-vasculaire devrait encore perdurer. C’est désormais au tour de l’Académie nationale de médecine de donner son avis, nettement en faveur des statines, surtout pour les patients les plus à risque, dans un rapport intitulé « efficacité et effets indésirables des statines: évidences et polémiques ».

Ce rapport, émis sous la direction du Pr Michel Komajda (CHU Pitié-Salpétrière, Paris), vise à « analyser de manière objective les preuves en faveur de l’efficacité, de l’efficience et des effets indésirables des traitements par statines, mais aussi d’étudier les raisons qui sous-tendent la polémique et les conséquences pour la population des arrêts intempestifs de traitement ».

Manque de rigueur scientifique

Si le texte a été adopté en séance par une majorité des membres de l’Académie, il ne fait pas l’unanimité, puisque le décompte rapporte 43 voix pour, 14 voix contre et 19 abstentions. « Le nombre de voix contre est inhabituel. Généralement, seul un ou deux membres s’opposent ainsi à ce type de rapport », a commenté auprès de Medscape édition française, un médecin hospitalier, qui a souhaité garder l’anonymat. Les potentiels liens d'intérêt des auteurs, qui questionnent sur leur légitimité à écrire ce rapport, ne sont d’ailleurs peut-être pas étrangers aux réticences exprimées lors du vote. 

Sur une quinzaine de pages, le document évoque les bénéfices des statines, en s’appuyant sur quelques méta-analyses, en particulier pour les personnes à haut risque cardio-vasculaire, avant d’aborder la question du risque médicamenteux « non négligeable » et du risque d’arrêt traitement associé, qui s’est retrouvé accentué par les polémiques successives.

En conclusion, les auteurs indiquent espérer ainsi apporter un éclairage aux patients traités sur le bénéfice des statines « très important et sans commune mesure par rapport aux effets secondaires rapportés », notamment en prévention cardiovasculaire secondaire. Ils ajoutent que l’arrêt de traitement « peut avoir des effets désastreux ».

Néanmoins, pour le médecin hospitalier que nous avons interrogé, « ce rapport manque de rigueur scientifique. Il n'y a pas de corrélation systématique entre baisse de cholestérol sous traitement et amélioration de la morbidité-mortalité. Les études sont contradictoires et le rapport n'est pas exhaustif sur ce point. Il oublie de signaler que seules certaines statines ont montré leur efficacité et pas toutes comme indiqué. »

« On ne prend pas un médicament pour baisser son cholestérol, mais pour espérer vivre mieux et plus longtemps. S’il y a bien un effet hypolipémiant avec les statines, répondre ainsi à un critère intermédiaire n'est pas suffisant pour démontrer l'efficacité d'un médicament », ajoute-t-il. « Pour rappel, les fibrates réduisent également le cholestérol, mais n'ont pas montré de bénéfice sur la mortalité ».

 
Si le texte a été adopté en séance par une majorité des membres de l’Académie, il ne fait pas l’unanimité.
 

 « Indispensables» en cas de risque élevé

L’avis se veut rassurant après des débats récurrents, qui ont progressivement forgé le doute dans l’opinion publique sur l’intérêt réel de cette classe thérapeutique. L’un d’entre eux a été marqué par la diffusion sur Arte, à la fin de l’année 2016, d’une émission intitulée « Cholestérol: le grand bluff », suivie par près d’un million et demi de téléspectateurs.

En réaction, la Société française de cardiologie (SFC) avait émis un communiqué, dans lequel elle effectue un rappel historique des faits, avant d’indiquer que les résultats de publications sont convergents et sans appel: « quelle que soit la situation, les statines sont bénéfiques en diminuant le nombre de décès ».

Dans son rapport, l’Académie nationale de médecine affirme, elle, que l’excès de cholestérol est un facteur de risque cardiovasculaire avéré. « Sur un plan épidémiologique, plusieurs types d’études ont démontré qu’une concentration de LDL-c élevée, quelle qu’en soit la cause, augmente le risque cardiovasculaire».

Des conséquences « aggravées par la présence d’autres facteurs de risque », comme l’âge, le fait d’être un homme ou une femme ménopausée, le tabagisme ou le diabète. Autant de facteurs pris en compte pour identifier les personnes à risque et « déterminer les groupes de patients bénéficiant le plus d’un traitement par statine ».

Selon l’Académie, les statines apparaissent « indispensables quand le risque de faire un accident cardio-vasculaire est élevé ou très élevé ». Pour le justifier, elle s’appuie sur les résultats d’une méta-analyse montrant que le traitement de 10 000 personnes à très haut risque a permis d’éviter 1 440 accidents cardio-vasculaires lorsque le LDL-c est abaissé de 2 mmol/L (0,77 g/L) [1].

 
On ne prend pas un médicament pour baisser son cholestérol, mais pour espérer vivre mieux et plus longtemps Médecin hospitalier
 

« Peu utile » pour les patients à risque faible

Si le bénéfice des statines est « majeur » pour les populations à haut risque, «donner une statine à quelqu’un qui présente un faible risque est certes associé à une réduction de la morbidité et de la mortalité, mais cette indication est considérée comme peu utile en raison du nombre de patients à traiter pour éviter un événement et en raison de son coût».

Pour les patients à risque intermédiaire « la décision est à prendre au cas par cas », conformément aux recommandations, ajoute l’Académie de médecine. Par ailleurs, pour les patients très âgés, le rapport bénéfice/risque du traitement « doit être soigneusement pesé ».

D’un point de vue économique, le document rappelle que, selon la Haute autorité de santé (HAS), « toutes les études ont conclu que le traitement par statine était une stratégie efficiente en comparaison à l’absence de traitement médicamenteux chez les patients en prévention primaire à haut risque CV et les patients en prévention secondaire ».

Le risque d’effets secondaires est toutefois à mettre dans la balance, estime l’Académie, qui précise qu’il existe une variabilité interindividuelle plus importante pour les statines métabolisées par le cytochrome CYP3A4 (atorvastatine, simvastatine) que par le cytochrome CYP2C9 (rosuvastatine, fluvastatine) et absente pour la pravastatine.

Un risque médicamenteux « non négligeable »

Les trois principaux effets indésirables évoqués sont le risque musculaire et hépatique, le risque de diabète et le risque cognitif. Il est rappelé que les effets musculaires, en majorité des myalgies (crampes et raideurs musculaires) se retrouvent chez 10 à 25% des patients, avec un risque dépendant de la dose de statine.

« L’arrêt des statines est recommandé en cas d’augmentation des CPK (créatine phosphokinase) supérieure à 5 fois la normale ». Par ailleurs, si des cas de rupture tendineuse ont été rapportés, « une étude portant sur 800 000 personnes n’a pas trouvé de lien entre prise de statine et rupture tendineuse » [2].

En ce qui concerne l’effet diabétogène des statines, désormais reconnu, l’Académie note que « différentes méta-analyses ont permis d’étayer ce risque avec des odds ratio allant de 1,12 à 1,25 » [3,4]. L’effet serait lié à la dose, avec un cas sur 500 pour les doses faibles et un sur 155 pour les doses fortes [3].Enfin, l’Académie rassure sur le risque de troubles cognitifs lié aux statines, qui a fait l’objet d’une alerte en 2012 par la Food and Drug Administration (FDA): « deux méta-analyses  dédiées au risque cognitif des statines n’ont pas permis de conclure à une association entre la prise d’une statine et la survenue d’une altération des fonctions cognitives » [5,6].

Risque d’interruption de traitement

En conclusion, « le risque médicamenteux lié à la prise de statine n’est pas négligeable, en particulier au plan musculaire et peut conduire à un arrêt du traitement ». Un arrêt associé à « une augmentation de 45% de la mortalité et de 15% des événements vasculaires chez les patients prenant moins de 80% de leur traitement » [7].

Les répercussions d’une interruption de traitement sont ensuite évoquées à travers la polémique sur les statines, qui a débuté après la publication du livre du Pr Even, « La vérité sur le cholestérol », en 2013, rappelle l’Académie. Relayé par les médias, le message présentant notamment les statines comme inutiles, voire délétères, a suscité beaucoup de méfiance.

Une petite enquête menée à la suite de cette « crise médiatique » avait renforcé les inquiétudes de la communauté médicale: sur les 144 patients sous statines interrogés en consultation après publication du livre, 24% et 8% de ceux traités, respectivement en prévention primaire et secondaire, envisageaient de stopper leur traitement [8].

Trois fois plus d’événements CV après arrêt

Le rapport évoque également une étude de cohorte menée à partir des données de l’Assurance maladie confirmant la hausse des arrêts de traitement entre 2012 et 2013, sans pouvoir établir le lien de causalité avec la polémique. Le taux d’interruption a ainsi augmenté de 26% chez les patients en prévention secondaire et de 53% chez ceux à risque cardio-vasculaire faible [9].

Selon une seconde étude de l’Assurance maladie, « en cours de publication », le risque de décès ou d’événement cardio-vasculaire non fatal est triplé dans les trois mois qui suivent un arrêt de traitement chez les patients depuis plus d’un an sous statines en prévention secondaire, comparativement à ceux qui ne l’ont pas interrompu.

« Cette augmentation de la morbimortalité dans les 3 mois suivant l’arrêt des statines était moindre chez les patients à risque cardiovasculaire intermédiaire et non significative chez les patients à risque cardio-vasculaire faible. » Selon les auteurs du rapport, « ces données confirment que l’arrêt des statines chez les sujets à haut risque (…) est délétère ».

Quand l’Académie crie au « conspirationnisme médical »

Pour terminer, l’Académie nationale de médecine expose son analyse des facteurs à l’origine des crises de confiance envers les produits de santé, évoquant d’importantes évolutions dans la relation des citoyens à la médecine et l’émergence d’un « conspirationnisme médical ».

Profitant du développement des nouvelles technologies de l’information, « de nombreux acteurs ont su opportunément se saisir de ces nouveaux sujets pour accroitre leur visibilité, ou plus prosaïquement pour transformer la curiosité et l’intérêt de nos concitoyens pour les questions de sécurité sanitaire en ressources économiques », commentent les auteurs du rapport (dont on notera "opportunément" les liens d’intérêt conséquents que certains d’entre eux entretiennent avec l’industrie pharmaceutique !).

 

 

Le Pr Michel Komajda déclare avoir mené des travaux de recherche ou participé à des activités de conseils avec les laboratoires Servier, Novartis, MSD, BMS, Sanofi, Novo Nordisk.

Les autres auteurs ont déclaré des liens d’intérêt mentionnés dans le document.

 

 

 

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