
Dr Eric Malbos
Paris, France – Outre la rééducation post-AVC, la douleur, ou la téléchirurgie, les troubles anxieux sont l’une des indications de choix des applications de la réalité virtuelle dans le soin. Ne relevant plus de la science-fiction, la thérapie par exposition à la réalité virtuelle (TERV) pourrait même entrer dans les foyers français dans un futur très proche puisqu’une entreprise française qui commercialise ces environnements les mettra à compter du mois d’août à disposition des patients après accord de leur thérapeute. Le Dr Eric Malbos qui expérimente cette thérapie cognitivo-comportementale (TCC) du XXIème siècle à l’hôpital de la Conception à Marseille depuis déjà 15 ans en a présenté les principaux avantages et les indications phares lors du 16ème Congrès international de l’association de recherche et de soutien de soins en psychiatrie générale (ARSPG) [] 1 ].
Technologie pas si récente
Comme l’intelligence artificielle, la réalité virtuelle a quitté les mondes futuristes de la littérature de science-fiction pour entrer de plain-pied dans notre quotidien. Mais que recouvre exactement ce terme ? La définition communément admise parle d’un ensemble de matériels technologiques qui permet aux individus d’interagir en temps réel avec des environnements en 3D créés par ordinateur. La réalité virtuelle est en fait bien plus ancienne que l’on peut le penser puisque les premiers visiocasques remontent à 1966 – on estime aujourd’hui que 7 millions ont été vendus dans le monde.
Initialement développé et utilisée par les militaires (simulation de pilotage), dans la domaine de la recherche scientifique (ingénierie, chimie,…) et dans celui du jeu vidéo, la réalité virtuelle a fait son entrée dans le médical il y a une trentaine d'années. Le premier essai thérapeutique de réalité virtuelle en psychiatrie date de 1992 par l’équipe de Max North pour l’aviophobie. « On a donc déjà 26 années de recul sur ces méthodes par exposition virtuelle. De nombreux protocoles cliniques, publications et méta-analyses attestent que cette thérapie est au moins aussi efficace que les TCC classiques dans de nombreuses pathologies (sans leurs inconvénients), et en particulier pour les troubles anxieux liées à toutes les phobies possibles (spécifiques, phobie sociale, agoraphobie) » remarque le Dr Malbos.
Le saviez-vous ?
Contre toute attente, la paternité du terme si scientifiquement connoté de « réalité virtuelle » ne revient pas à Georges Orwell, Aldous Huxley, Isaac Asimov ou à tout autre maitre du roman d’anticipation ou de science-fiction mais à …Antonin Artaud. L’écrivain français l’utilise pour la première fois en 1938 dans sa série d’essais, Le théâtre et son double, plaçant sur le même plan la réalité virtuelle du théâtre et les symboles de l’alchimie, et rappelant une fois encore la parenté entre art et science.
En pratique
Comment se déroule la thérapie concrètement ? « Une fois le diagnostic posé, le psychiatre procède à des pré-tests pour évaluer la sévérité de la pathologie du patient, accompagnés de mesures physiologiques comme celle de la variabilité cardiaque » explique le Dr Malbos. Commence ensuite une série de séances, où le thérapeute expose et apprend à son patient tous les éléments de la TCC classique (psychoéducation, relaxation, gestion des émotions, imagerie mentale…), indissociable de la thérapie par exposition virtuelle (TERV). C'est alors, seulement, que démarre l’exposition en réalité virtuelle, de façon progressive, dans un environnement choisi de façon adapté (du moins stressant au plus anxiogène). Dans le cas de l’agoraphobie, ce pourra être dans un supermarché, puis un cinéma, un parking sous-terrain, le métro et enfin l’avion. « Le patient est plongé dans un environnement qui créé l’illusion de la réalité afin de ressentir les mêmes émotions et les mêmes processus de pensée qu’en situation réelle » commente le psychiatre marseillais.
Progressivité et douceur
Les avantages de cette méthode sont nombreux. D’abord, nul besoin de s’aventurer à l’ « extérieur » au début de la thérapie, la TERV permet de bénéficier du traitement complet dans un environnement intérieur contrôlé – soit un gain de temps et d’argent certain. Outre la possibilité de créer tout type de situation, la réalité virtuelle permet de tout mettre sous contrôle en faisant varier chacun des paramètres de l’environnement en question. Si le patient a peur de l’avion, le psychiatre peut intervenir sur la qualité du décollage, le nombre de personnes dans l’appareil, les turbulences, etc. Pour une personne claustrophobe, il est possible de faire varier l’opacité des vitres d’un ascenseur, d’y loger plus ou moins d’individus, etc. « Cette grande capacité de progression des différents paramètres de façon à augmenter l’aspect anxiogène de la situation donne une grande douceur à la thérapie avec des conséquences positives sur la clinique ». Autre intérêt : une motivation plus forte des patients, en particulier des plus jeunes, très intéressés par des technologies avec lesquelles ils ont grandi.
Les addictions, les tocs et le SPT à l’étude
Aujourd’hui, le champ d’action de la TERV tend à s’élargir, avec des applications à d’autres troubles psychiatriques comme, par exemple, le stress post-traumatique (SPT). Chez des vétérans de différentes guerres (Vietnam, Irak), il a été démontré une réduction significative de l’anxiété et des réactions d’évitement (Rothbaum 2001, Rizzo 2005, MacLay 2017). Des civils victimes des attentats du World Trade Center en 2001 ont aussi expérimenté la méthode avec succès. Les troubles du comportement alimentaire, les addictions, les troubles obsessionnels compulsifs ou les aspects sociaux et cognitifs du traitement de la schizophrénie avec la création d’avatars font aussi l’objet d’études.
Dans un futur proche
« La présence de la réalité virtuelle dans le domaine du soin va aller en s’amplifiant », prédit le psychiatre marseillais. Son énorme potentiel est lié à la possibilité d’enrichir les environnements de synthèse et les situations virtuelles (à l’infini pour peu que l’on ait, en sus, des compétences de designer 3D comme le Dr Malbos), mais aussi d’utiliser des matériels toujours plus immersifs. Ainsi, « le champ visuel couvert à raison de 100° par les casques actuels va passer à 210° avec la sortie prochaine du STAR VR».
On peut aussi imaginer combiner la réalité virtuelle avec d’autres technologies. Des études cliniques se sont intéressées à une utilisation conjointe avec le biofeedback dans le traitement du trouble anxieux généralisé. Par ailleurs, des expériences sont actuellement en cours dans le service du Pr Lançon au CHU Sainte-Marguerite couplant la réalité virtuelle à la stimulation magnétique transcrânienne (TMS) dans le but de soigner la dépression.
Diffusion accrue
La démonstration de l’intérêt grandissant de la TERV, parallèlement à la chute significative du coût du matériel de réalité virtuelle (PC et casque ad hoc) mettent aujourd’hui cette technologie à portée d’un plus grand nombre de professionnels de santé (hôpitaux, cliniques) mais aussi des individuels (cabinets de psy, à domicile). Et n’importe quel psychiatre peut aujourd’hui l’acquérir – environ 300 professionnels de santé sont déjà équipés en 2018. Plusieurs sociétés fournissant du matériel professionnel s’engagent désormais à produire des environnements virtuels thérapeutiques en réalité virtuelle pour les particuliers. A l'instar de la société marseillaise C2Care dont les environnements qui seront disponibles, à compter du mois d’août 2018, en téléchargement payant à destination du grand public, après accord du thérapeute afin de pouvoir poursuivre leur « entrainement thérapeutique » à la maison.« Les patients vont donc de s’adresser aux professionnels de santé pour savoir comment les utiliser et il est important que ces derniers soient formés, ou au minimum informés, pour pouvoir leur répondre », estime le Dr Malbos, qui, pour les y aider, a rédigé avec deux collègues, l'ouvrage présenté ci-dessous.

Devenez un geek
Pour ceux que cela intéresse, l’équipement requis en termes de hardware et de software (logiciels d’environnements virtuels) est décrit – tableau comparatif et conseils inclus – dans un ouvrage sorti fin 2017 co-écrit par le Dr Eric Malbos. Le guide s’adresse aussi bien aux professionnels de santé, qu’à toute personne souhaitant expérimenter le dispositif (dans le cadre, par exemple, de la poursuite d’une thérapie à domicile). L’ouvrage reprend l’essentiel de l’intérêt et du fonctionnement de la thérapie par réalité virtuelle pour se libérer des troubles anxieux. Il est agrémenté de nombreuses situations en vie réelle et rappelle les techniques classiques de TCC, sur un mode pratique. Empreint de bienveillance et d’ouverture d’esprit, il réjouira les geeks avec ses références à Matrix et à Dune, et tous ceux qui aiment que technologie rime avec autonomie et empathie.
Dr Eric Malbos, Rodolphe Oppenheimer et Pr Christophe Lançon. « Se libérer des troubles anxieux par la réalité virtuelle » aux Editions Eyrolles, décembre 2017, 185 p, 10 €.
Le Dr Eric Malbos est consultant pour la société de réalité virtuelle C2Care. Crédit photos : Dr Malbos. |
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Citer cet article: Troubles anxieux : une thérapie virtuelle pour des résultats bien réels - Medscape - 4 juin 2018.
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